Fyctia
A la rencontre des émissaires.
…
— Je suis désolé Pierre pour m’être emporté ce matin. Mais je suis tellement passionné par mon travail, par ces réalités qui nous entourent et dont nous ne percevons pas l’existence. Et je vous rencontre, vous, qui détenez en quelque sorte la clef de la serrure du monde Noir. Vous comprenez, Carole m’en veut à cause des relations que j’ai entretenu avec sa mère pendant des années. Mais son père avait délaissé sa femme et lorsque nous nous sommes rencontrés, la mère de Carole était seule. Je ne veux pas critiquer mon ami, il m’a beaucoup aidé financièrement pour mes expérimentations et puis en général c’était un homme généreux. Mais ses affaires le prenaient tellement qu’il avait fini par négliger sa femme.
— Ecoutez Professeur tout cela ne me regarde pas c’est votre vie privée, c’est la vie en général. Et les couples qui se rencontrent et qui s’aiment sont des histoires finalement banales.
— Pierre si je suis venu vous voir ce soir, c’est pour vous demander de réfléchir très sérieusement à nos propositions qui rendent possible le contact avec votre monde Noir. Je peux vous assurer que ces expériences sont sans aucuns dangers, nous les pratiquons depuis vingt ans. Le protocole est rigoureux et nous avons l’expérience de nos expériences, si je puis dire. – Dit-il en souriant. –
— Jean, j’ai réfléchi toute la journée à votre offre de ce matin, mais également aux arguments de Carole, je souhaiterais avant de me décider, de consulter mon psychiatre et mon psychologue. J’aimerais même que vous puissiez vous rencontrer et que ces expériences se déroulent sous leur contrôle.
Le Professeur Bernard reste un moment silencieux, puis répond.
— Je respecte votre choix, je peux même vous proposer de me communiquer leurs coordonnées, je les contacterais personnellement.
Je recopie donc les numéros de téléphone de ma psychiatre et de ma psychologue sur le dos de ma carte de visite que je remets au professeur Jean Bernard.
…
Je me sens défaillir, je suis attaché, je me cambre, je me contorsionne, je tente de me libérer de mes liens mais rien n’y fait, où suis-je ? Que se passe-t-il ? Une forte lumière m’éblouie, deux doigts écartent délicatement mes paupières.
— Sa pupille se rétracte, c’est bon signe, il reprend enfin connaissance. Tout va bien Monsieur Maurel, vous êtes dans une ambulance. – Me dit une voix de femme. – Vous avez été pris de convulsions. Heureusement, vôtre ami Monsieur Bernard été présent, il a pu appeler les secours, vous n’avez plus rien à craindre, nous vous conduisons à l’hôpital Necker.
Je suis incapable de sortir un mot, qu’à t-il bien pu se passer ? J’étais en train, à l’instant même, de noter les numéros de téléphone de mes deux psys, j’étais assis sur mon canapé, chez moi !
Pendant que je réfléchis à ce qui a bien pu se produire, j’entends l’entêtante sirène de l’ambulance. Puis tout à coup tout disparaît, la lumière, l’ambiance générale et la présence de l’ambulancière.
Je me retrouve dans un lieu de néant, où il n’y a rien. Il y fait noir, un noir absolu, un noir d’encre, c’est une atmosphère opaque et oppressante.
J’ai l’impression d’être dans un tombeau. Il semble que ce lieu énigmatique, ce lieu obscur soit hermétique. Je manque d’air. Habituellement au bout d’un petit instant nôtre vision s’habitue aux lieux sombres et nous finissons par apercevoir les nuances, les formes et les volumes. Mais là, rien n’y fait !
Cette ambiance me paralyse, je suis allongé sur quelque-chose de dur, de froid, d’humide, j’entends d’ailleurs des bruits de clapotis qui se succèdent constamment semblant marquer une cadence interminable.
Puis je perçois des murmures. Des gens se parlent à voix très basse. Je ne distingue pas ce qu’ils se disent. Mais une peur panique me gagne. Il y a quelqu’un dans ce lieu ?
Mais apparemment mon intervention ne semble pas interpeller ceux qui chuchotent, elle ne les interrompe même pas car leur messe basse continue de plus belle, sans gêne !
Tout à coup de ce lieu profond et obscur j’entends une voix qui perce enfin ce long et lourd silence.
— Tu penses qu’il réalise où il se trouve ?
— Je ne sais pas, il est probable qu’il pense qu’il habite toujours son trois pièces à Paris, qu’il est agent immobilier, qu’il s’appelle Pierre et qu’il a quarante-trois ans, qu’il est veuf, qu’il a aimé une femme qui s’appelait Stella avec laquelle ils ont eu une magnifique petite fille Freïne, qu’il souffre depuis cinq ans de leur perte et qu’il vit désormais une histoire d’amour avec une jeune-femme qui s’appelle Carole.
Une troisième voix intervient.
— Je vous en prie mes frères, parlez plus bas, nous ne devons ni le déranger, ni le perturber. L’homme « Pierre » est suffisamment tourmenté comme cela.
Une nouvelle voix se joint au dialogue.
— Après tout, quelle importance pour cet homme « Pierre » s’il préfère vivre plus intensément sa réalité dans le monde des humains ?
Une autre voix se joint à ce symposium.
— Vous avez fini par le réveiller !
— Ce n’est pas certain. L’autrefois, il nous a regardé mais il ne nous a pas vu.
— Moi, je ne suis pas en accord avec toi. Je te l’ai dit et je persiste à dire que la fois dernière il nous a bien vu.
— Oui, mais souvent il a les yeux ouverts, il regarde dans notre direction mais ne nous voit pas parce que sa conscience est concentrée dans la réalité tridimensionnelle des hommes.
J’écoute leur conversation, j’entends ces personnages parler mais je ne les perçois pas à cause du noir absolu. Cette atmosphère insondable comprime ma poitrine, j’ai toujours du mal à respirer. Je cherche désespérément de l’air pour gonfler mes poumons, mais un poids anormal écrase ma poitrine.
— Je vous entends, j’entends très bien vos paroles, je n’ai pas manqué un seul mot de vous. Mais bon sang ! Qui êtes-vous ?
Il y a un silence profond, vertigineux, effrayant, tout est inquiétant, tout est angoissant. Comme si j’étais seul, comme s’il n’y avait absolument personne. Je n’en peux plus de tout cela, de toutes ces épreuves, de ce monde tragique qui m’accable.
— Mais putain ! Répondez-moi à la fin ? Quand est ce que tout cela va s’arrêter ?
***
Je m’enfonce dans un profond désespoir, désemparé, je me sens perdu comme quand enfant je me retrouvais dans le noir de ma chambre, que mes parents m’avaient « abandonnés » pour assistés à leurs assemblées du parti communiste pendant les soirs d’hiver. Ma peur alors grandissait ! Grandissait ! Et puis une colère folle, hargneuse, sauvage, animale m’envahissait ! La Bête naissait dans la douleur comme quand une femme met un enfant au monde.
***
Mon esprit troublé bascule dans un gouffre abyssal de détresse. Je plonge dans ce vide infini. Je suis pris de spasme et ne parvient plus à me calmer, je pleure à chaudes larmes.
Et tout en pleurant, je m’adresse à ces voix qui n’ont pas d’image.
…
7 commentaires
Leoden
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Il y a 6 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 6 ans
Sylène
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Il y a 6 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 6 ans