Fyctia
Entretien avec Anne-Marie.
Lundi matin, Carole m’accompagne chez moi. Elle m’attend devant la porte d’entrée de mon immeuble stationnant en double file, je n’ai pas le temps d’attendre l’ascenseur, je gravis quatre à quatre, les marches du large escalier Haussmannien. J’arrive devant la large porte d’entrée lorsque Madame Collombey m’interpelle, la brave dame devait être à l’affût derrière sa porte. Il se dégageait de la personnalité de cette vieille dame quelque chose d’étrange, d’inexplicable, de malsain mais je ne parvenais pas à le définir, je ne percevais plus cette personne, innocente comme à mon habitude.
— « Mon petit Pierre, vous voilà enfin, je me suis inquiétée pour vous. Ce n’est pas que je veuille m’immiscer dans votre vie, mais il se passe tellement de choses de nos jours. Je n’avais plus de nouvelles depuis vendredi. «
— « Ne vous inquiétez pas Madame Collombey, en fait ! J’étais encore chez moi vendredi soir. Je suis parti seulement de mon domicile samedi matin vers dix heures trente. »
— « Vous êtes parti loin ? »
— « Non, juste en banlieue. »
— « Vous vous êtes trouvé une petite fiancée ? Oh ! Pardon je suis indiscrète, c’est mon défaut. Je suis curieuse de tout. «
Je coupe court à notre conversation sur le palier.
— « Excusez-moi Madame Collombey, je n’ai pas trop le temps, je dois me rendre à mon travail. »
Et je referme la porte derrière moi. Madame Collombey continue à parler mais je ne porte plus cas. Elle m’irrite un peu par son comportement intrusif.
Chez moi, je retire rapidement la chemise que Carole m’a prêté, trop voyante. Je me revêtis d’une chemise blanche, plus discrète et passe partout. Je saisis ma serviette et je referme rapidement ma porte sentant Madame Collombey derrière la sienne m’observant par son judas. Je pénètre dans la voiture de Carole qui démarre en trombe avant même que je puisse refermer la porte. Nous arrivons devant le bureau. A l’agence, nous trouvons Magali en pleurs et Paul qui la réconforte.
Monsieur Henri fulmine, il est tout cramoisi, son visage gonflé de colère, il crie, il vocifère que Magali n’est qu’une gourde, une idiote, une tête de linotte. La pauvre est mise plus bas que terre et nous nous regardons éberlués, nous prenons tous la défense de Magali en expliquant que tous le monde peut commettre des erreurs ce qui a pour effet d’interloquer Monsieur Henri nous fixant bouche bée.
— « Ah c’est ça soutenez là ! C’est un complot, une conspiration ! Pire une conjuration ! «
— « Monsieur Henri, il ne faut quand même rien exagérer. « - Répond Carole. -
— « Vous vous acharnez sur cette pauvre femme, pour une petite erreur, vous poussez quand même un peu. »
Le père Henri tourne les talons, retourne dans son bureau et claque la porte. Où il continue à hurler des insanités.Nous finissons de consoler Magali et retournons chacun dans nos bureaux respectifs.
Peu avant midi Carole entrouvre la porte de mon bureau, par laquelle elle passe juste la tête et parlant en catimini comme une confidence.
— « Pierre, j’ai eu Jean au téléphone, il peut te recevoir Mercredi matin, ça te convient ? «
— « A quelle heure ? «
— « A neuf heures ? »
— « Oui, c’est très bien, ok pour Mercredi neuf heures. »
A midi, je me rends à mon rendez-vous bimensuel chez Anne Marie Berton ma psychologue. Cette femme me suit depuis la mort de ma femme et de ma fille. Elle me prend toujours à midi pour que cela n’interfère pas dans mes heures de travail. Carole souhaitait déjeuner avec moi, mais j’ai dû refuser l’offre prétextant un rendez-vous professionnel. J’arrive dans la salle d’attente mais je n’y reste pas longtemps. Anne-Marie ouvre la porte de son cabinet, me regarde sans parler comme pour me dire « allez, on y va ! ». Nous nous faisons la bise, Anne-Marie fait un peu partie de la famille.
— « Alors Pierre, comment se sont passés ces deux dernières semaines depuis notre rencontre. »
— « La chose est revenue. »
— « Celle qui hantait vos nuits quand vous étiez enfant ? «
— « Oui, celle-là. Mais elle était également revenue quelquefois au cours des années suivantes. Mais il n’y a pas que cela ! Je me suis retrouvé transporté dans le monde sombre de la bête. »
— « C’est-à-dire comment l’entendez-vous ? Comme une sensation réelle ? »
— « Oui, oui, c’est-à-dire que ce monde est aussi réel et palpable que nôtre monde. Je sens les odeurs, la poussière noire qui se soulève sous mes pas. Des êtres vaquent à leurs occupations et pas toujours de la manière la plus innocente. »
— « Continuez Pierre, je vous écoute. »
— « Je veux dire qu’il y habite des créatures qui pourchassent des humains complètement désemparés comme du gibier. C’est un monde tellement sombre que je l’appelle le monde noir. Tout semble avoir brûlé, tout est transformé en cendre. Il n’y règne que la folie. »
— « Pierre, avez-vous entendu parler de ce qu’on appelle les terreurs nocturnes ? Ce sont des cauchemars répétitifs conséquents à des situations traumatisantes. Elles proviennent de diverses maladies du système nerveux, dont l’une d’entre-elle est identifiée en tant que dépression nerveuse. «
— « Anne-Marie, je veux bien accepter votre explication si ce n’était sans compter le phénomène qui m’est arrivé samedi matin dans la rame n°6 en plein jour, pratiquement au midi du soleil. Le train s’est arrêté de lui-même et notre monde a été recouvert un court instant par le monde noir. Alors que nous avons été les passagers du wagon et moi-même agressés par une bande de loubards, la bête dont je vous parle est intervenue pour les dévorer. »
Anne-Marie me toise de son regard sévère et marque un long silence
— « Pierre vous prenez toujours votre traitement ? Vous le suivez assidûment ? Qu’est-ce que vous a prescrit votre psychiatre pour votre pathologie ?"
— « Du Zyprexa et du Risperdal. «
— « Quel est la posologie ? «
— « Trois de chaque par jour. «
— « Cet après-midi je vais appeler vôtre psychiatre, votre état de santé m’inquiète beaucoup. Vos visions se sont accentuées, une hospitalisation doit peut-être s’imposer. «
J’accuse le coup, je comprends qu’Anne-Marie n’a pas cru le moindre de mes mots, visiblement elle pense que ma schizophrénie est désormais doublée d’une paranoïa de forme grave.
Je quitte le cabinet de ma psychologue affecté par sa réaction, je me sens humilié de m’être confié à elle. Je l’ai fait pourtant avec sincérité. Suis-je stupide ! A quoi m’attendais-je ? Qu’elle me prenne par la main et me dise, » Montrez-moi Pierre ou sont ces vilaines bêtes que je les réprimande ! » ou bien « Nous allons tout de suite en informer le ministère de la défense ! Et y lancer un raid aérien ! Deux escadrons de Rafale feront l’affaire ! ».
Quel con ! Je peux tout à fait reprendre l’expression de Michel Audiard « Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner. »
Frustré par ma niaiserie, je marche le long des boulevards en regardant le sol. Je suis en colère contre moi-même.
9 commentaires
Sand Canavaggia
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Il y a 6 ans
Plume Jamais
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Il y a 6 ans
Calivert864
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Il y a 6 ans