Fyctia
Chapitre 9.2 Kaël
— J’opterais bien pour de l’abstrait, choisit-elle en faisant parcourir ses yeux dans le coin de la salle où les toiles de ce style sont exposées.
C’est alors que Pat se lance dans des explications ennuyeuses sur ce genre artistique, puis parade en informant Zoé que son grand-père a exhibé les oeuvres de Vassily Kandinsky en son temps. Ma voisine semble subjuguée. Lorsqu’il aborde Pablo Picasso, elle en porte sa main devant sa bouche tant elle est impressionnée.
— Malheureusement, reprend Patrick qui passe ses doigts dans ses longs cheveux parsemés de blanc, les artistes d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier.
— J’ai cru comprendre que vous traversiez quelques difficultés, dernièrement, remarque Zoé.
— Oui, Mademoiselle. Je crains de mettre la clé sous la porte avant la fin de l’année si je ne trouve pas une solution.
— Sérieusement, Pat ? lâché-je, effaré et loin de me douter que la situation était aussi désespérée.
Le regard affligé qu’il me lance répond pour lui.
Bien après que ce moment soit passé, je n’arrive pas à me faire à cette idée. Zoé a choisi l’œuvre d’un artiste plus ou moins anonyme. Elle y discerne du génie, là où je vois des taches de peinture en patchwork.
Lorsque nous quittons Pat pour nous rendre à la place du Tertre, j’ai encore les mots du père de mon ami en tête.
— Tu aimerais l’aider, n’est-ce pas ? s’enquiert Zoé, qui a deviné où me menaient mes pensées.
— Je ne vois pas très bien ce que je pourrais faire pour lui. J’ai pas assez de fric pour…
— Il lui faudrait un événement qui lui amène du monde. Il a peut-être besoin qu’on l’aide à se renouveler.
— Comment ça ?
— On ressent une telle passion dans ses mots que je crois qu’il ne changera jamais d’activité, mais…
Je suis suspendu à ses lèvres.
— Imagine un peu qu’un événement lui attire du monde, poursuit-elle. Il pourrait faire de la pub sur les réseaux sociaux, faire du bruit autour de ça pour ramener des touristes et pourquoi pas des journalistes dans sa galerie.
Je m’esclaffe, bien que je sois attendri par son idée.
— Patrick n’a pas Instagram, dis-je.
— Mais toi, tu l’as, non ?
J'acquiesce, ne comprenant toujours pas où elle veut en venir.
— Je ne vois pas en quoi un acteur porno pourrait lui attirer du monde. Quand bien même j’ai gagné un prix, je n’ameuterai pas les foules avec un simple post Instagram.
— C’est ça ! crie-t-elle soudain en stoppant sa marche.
— Quoi ? dis-je en l’imitant.
— Il faudrait que l’événement tourne autour de toi.
— Moi ?
— Tu es connu dans ton milieu. Tu pourrais faire des photos et les exposer ici.
— Faire des photos ?
— Être le modèle !
Je hausse un sourcil pas convaincu.
— Imagine les titres dans les journaux : « Une star du X s’essaie au mannequinat et pose comme modèle dans la galerie Prévost ». Ça va attirer des curieux, c’est certain.
— Mais non…
— Tu as combien de followers ?
— Trente mille.
— Trente mille ! La vache ! Bah, dis donc, tu dois être sacrément bon dans ton domaine.
Aussitôt ces mots passent ses lèvres qu’elle rougit.
— Tu n’as toujours pas regardé mes films.
Elle secoue la tête en riant.
— Non.
Je souris, et nous reprenons notre marche, tous deux pensifs à l’issue de cette conversation.
Chez Eugène, ma table habituelle est préparée. J’aime ce bistrot, j’y viens souvent. Seul, la plupart du temps. Mais pas ce soir… Non, ce soir, il y a Zoé. Et j’ai besoin d’elle. De sa lumière pour m’y lover. Dès qu’elle s’installe, l’expression ébahie en découvrant les lieux, je me sens bien. Son engouement à l’idée d’aider Patrick renforce mes impressions sur elle. Mais derrière ses sourires, je sais qu’elle dissimule ses fêlures. Je les vois, je les sens. Me fera-t-elle assez confiance pour un jour me les confier ?
Nous commandons l’apéritif. Il n’est que dix-huit heures et je n’ai pas vraiment faim. Zoé opte pour un cocktail sans alcool, moi un rhum. Il me faut au moins ça après cette rude journée. Je suis heureux de me dire qu’elle terminera mieux qu’elle n’a commencé. Mes pensées reviennent aux idées de ma voisine pour aider Patrick.
— Je suis d’accord, lancé-je en coulant mon regard dans le sien.
— Comment ça ?
— Je suis d’accord pour que tu me prennes en photo afin d’exposer chez Pat.
— Quoi ?! Ah non, non, pas moi.
— C’est ma condition.
— Quelle condition ?
— Si nous voulons aider Patrick, alors faisons-le ensemble.
— Mais je n’ai jamais parlé de…
— C’est toi qui as eu l’idée de faire des clichés de moi à poil dans une galerie.
— Je n’ai jamais dit à poil !
— Parce que tu crois que les gens qui vont venir ne voudront pas voir de photos de moi à poil ?
Elle se mord la lèvre, l’air ennuyé. Elle sait que j’ai raison. Je réprime un éclat de rire devant sa mine défaite.
— J’étais photographe paysagiste, pas photographe de mode.
— Et alors ? T’as tout le matos, non ?
Ses yeux roulent dans ses globes. Ses joues s’empourprent et je ne peux plus retenir mon amusement face à son embarras.
— Bien. Ce n’est pas grave, fais-je semblant d’abdiquer en haussant les épaules. Je suis sûr qu’on trouvera un autre moyen d’aider Patrick. Dommage, je crois qu’il aurait adoré cette idée.
Elle me fusille du regard, mais un sourire ourle ses lèvres. Mes yeux se font taquins quand je comprends que j’ai bel et bien réussi à la piéger.
— Je… D’accord, cède-t-elle.
Le serveur nous apporte nos apéritifs et je lève mon verre.
— Ton jour sera le mien.
Elle hésite avant de trinquer, puis se lance. Je déclare :
— À notre future collaboration !
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Charlie Rune
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Il y a 3 ans
Laurence Chevallier
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Gwenaelle Teyssier
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Le_monde_livresque_de_delf
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Laurence Chevallier
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