Fyctia
Chapitre 4
C’est avec enthousiasme que je profite d’avoir recouvré la vue. Le mobilier est plutôt rustique, avec comme un air de Provence, tout y est parfaitement propre et ordonné. Même l’odeur qui se dégage de la pièce est agréable. J’ai presque l’impression que ça sent la lavande. À ma droite, une immense armoire marron foncé longe le mur, jusqu’à la porte d’où est sortie ma charmante infirmière. Face à moi, au fond de la chambre, il y a une commode, elle aussi marron, mais plus claire. Par ailleurs, je confirme que la pièce est vraiment très grande (du moins, pour une chambre). Mes yeux passent de la cloison du fond au plafond. Il doit y avoir quoi, sept mètres jusqu’à l’extrémité de la pièce ? Et trois mètres vingt en hauteur ? Le sol, lui, est recouvert de … ah merde, comme ça s’appelle déjà ? Ce n’est pas exactement en terre cuite, non …
Ah oui ! Du carrelage de corps de ferme !
Je suis assez impressionné (et satisfait je dois dire) de ce que ma mémoire a gardé en stock. D’un autre côté, ça me rend fou d'être capable de me souvenir du « corps de ferme » et pas de mon prénom, ni de ce que j’ai fait pour arriver à cette situation.
Après une courte interruption neuronale, mon activité d’analyse reprend de plus belle et mes globes oculaires roulent comme des billes. Je remarque que la pièce est asymétrique. À ma gauche, il y une baie vitrée sur toute la longueur, mais qui dévie à la moitié pour créer une sorte de renfoncement. Devant, des rideaux filtrent la luminosité extérieure. Je perçois quelques rayons de soleil à travers et il me semble qu’il y a de la verdure là-devant, sans certitude. Oui ma vision est revenue, mais je ne suis pas encore prêt à devenir pilote de chasse, ça, c’est certain !
Quelques minutes plus tard, tandis que je reste statique, les paupières fermées, profitant de la lumière qui me caresse le visage, du bruit me parvient de l’extérieur. Ça discute. De quoi, je ne sais pas, mais je reconnais immédiatement la voix singulière de Marianne parmi toutes celles que j’entends.
La porte s’ouvre, trois personnes entrent. Marianne, accompagnée de deux hommes. L’un est imposant, charismatique, des cheveux poivre et sel ondulés et coiffés en arrière, avec un ventre bien fourni, bien rempli. L’autre est petit, maigre, mais ce qui me frappe vraiment, ce sont ses yeux, non pas de biche mais plutôt de hibou grand-duc, un regard sévère qui ne flanche pas.
— Bonjour Jonathan, commence le charismatique dont les graves sont aussi viriles que l’ossature. Comment est-ce que vous vous sentez ?
Alors qu’il se tient au pied du lit, je le scanne, je suppose qu’il s’agit du Docteur, mais il ne s’est pas présenté.
— Le réveil était un peu compliqué, mais maintenant ça va. Et vous êtes ?
Le voilà qui brandit un carnet de notes sur lequel il griffonne je ne sais trop quoi, puis ajuste ses lunettes et se gratte le menton avant de reprendre.
— Je suis le Docteur Pamart, mais vous pouvez m’appeler Doc ou Richard, à votre convenance. Et voici une partie du personnel qui vous accompagnera pendant votre convalescence. Marianne, notre infirmière dévouée que vous connaissez déjà (nous échangeons un regard, je souris, elle sourit, puis baisse la tête), et voici François, qui sera votre kiné attitré.
François le kiné. OK. J’espère que je courrai rapidement un marathon parce que la manière qu’il a de me scruter est quelque peu angoissante.
— Est-ce que j’ai vraiment besoin d’un kiné, Doc ?
— À vrai dire, nous avons déjà testé toutes vos capacités motrices pendant votre période de réveil et vous répondez parfaitement aux stimuli. En revanche, vous n’allez pas être en capacité de courir un marathon tout de suite et il va falloir faire du renforcement musculaire pour éviter un traumatisme.
Je m’aperçois que Doc Richard est vraiment aux commandes ici, car la jolie infirmière et le kiné inquiétant sont tous deux en retrait, tels les petits premiers de la classe écoutant attentivement la leçon du prof.
— Je comprends Docteur. J’ai une autre question. Comment se fait-il que je me souvienne de plein de choses comme des chanteurs, des titres de films, des noms d’animaux, mais que concernant ma vie, je suis incapable de me souvenir jusqu’à mon propre prénom ?
Marianne et François se raidissent spontanément et regardent de manière synchrone le Docteur Pamart. À croire que j’ai posé une question fondamentale sur l’essence même de la vie et que seul leur gourou détient la clef de la rédemption (j’avoue, je pars loin là).
— Ecoutez, dit-il avec cet air impassible qu’il a depuis le début, le cerveau humain est quelque chose de fascinant, mais aussi de très complexe. Et plus particulièrement la mémoire. Si vous me demandez la cause de votre coma, c’est assurément le coup que vous avez reçu à la tête. Pour ce qui est de votre amnésie, partielle ou totale, elle n’est pas forcément due au trauma, mais peut être causée par de nombreux facteurs tels qu’un traumatisme psychologique et on parlera alors d’amnésie dissociative. C’est peut-être votre cas.
Je fronce les sourcils et affiche une moue synonyme d’incompréhension. Oui, je vois ce qu’il veut dire, mais alors si personne n’est capable de connaître la raison pour laquelle j’ai gommé ma vie entière, comment va-t-on solutionner le problème ?
— OK, et quelles sont les chances que je recouvre un jour la mémoire ?
— Il est encore trop tôt pour pouvoir se prononcer là-dessus. Je ne suis pas un spécialiste de la mémoire, en revanche, nous avons une psychologue au sein de notre maison dont c’est justement la spécialité.
Ah ?
— Oui, poursuit-il comme s’il m’avait entendu, mais je connais tout de même les bases du fonctionnement de la mémoire. J’ai ma propre interprétation sur le sujet. Malheureusement, en médecine, il ne devrait pas y avoir de place pour un quelconque avis personnel tel que le mien.
— Dac, mais moi ça m’intéresse Doc …
— Bien, dit-il en ajustant ses lunettes avec son index. Pour moi, tout est une histoire de suggestion.
Constatant mon absence de réaction, il se sent dans l’obligation de préciser :
— Oui, en fait il y a plusieurs étapes dans le processus de la mémoire, que vous aborderez probablement avec notre psychologue, l’une d’elle étant le stockage. Cette étape permet en règle générale de consolider un souvenir pour qu’il soit ancré en nous et qu’il soit beaucoup plus difficile à oublier. C’est là qu’intervient mon interprétation personnelle …
Mes yeux sont écarquillés au possible, je bois ses paroles.
— La suggestion a un rôle important. Primordiale je dirais même !
— C’est-à-dire ?
— Oui, eh bien, nous emmagasinons tout au long de notre existence un tas de souvenirs. Certains sont issus de notre vécu. D’autres sont …
Voilà qu’il marque une pause, maitrisant le suspense à la manière d’un Harlan Coben ou d’un Pierre Lemaitre (et voilà qu’aux repères musicaux et cinématographiques s’ajoutent maintenant des références littéraires !)
— D’autres sont tronqués. Ils sont les fruits d’une suggestion. Une pure invention.
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clecle
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Il y a 10 mois
Jay H.
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Cara Federsan
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Mira Perry
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ZELI
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Jay H.
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