Fyctia

J'émerge vers 21h. Angela m'a recouverte d'un plaid et s'active dans la cuisine. Je me redresse et vais la voir. Elle me souris sans un mot et me montre que les enfants doivent se coucher et qu'on parlera ensuite. Je machouille l'assiette qu'elle m'a préparée, ayant l'impression de manger du papier froissé. Je n'ai aucune envie de manger, je le fais juste pour me tenir en vie. Je bouge comme une mamie, tous mes membres sont douloureux.

Je retourne sur la balancelle où Angela me rejoint.

— J'ai prévenu Anton que tu étais chez moi et que tu avais vraiment besoin de repos. Il veut tous les détails évidemment, mais j'ai refusé de te le passer et de le laisser venir. Je l'ai prévenu que tu lui parleras quand tu seras prête. Il est juste très très inquiet et veut savoir ce qui s'est passé au point que tu puisses craquer.

Je me met à pleurer, je ne sais plus faire que ça. Y'a rien qui sors d'autre. Je ne suis plus capable de réfléchir et d'exprimer ce qui se passe dans ma tête et dans mon coeur.

Angela me berce doucement.

— Allons, allons... tout va bien ma toute belle, tout va bien...

Je me couche dans mon lit moelleux et m'endors avec cet immense sentiment de douleur et de chagrin. J'ai trouvé un endroit en paix, je ne veux plus en sortir. Je passe toute la journée le lendemain dans le lit, entre sommeil et pleurs. Hoquets et sanglots. Ce n'est qu'au bout du troisième jour que j'accepte de sortir du lit.

Angela a ouvert les fenêtres et me dit :

— Allez, Debout ! Tu sors de cette chambre. Dehors, le soleil te fera du bien. J'emmène les enfants sur la plage. Prends un chapeau et viens avec nous. Tu n'as pas le choix.

Je la suis gentiment sans rechigner, mais vide de toute énergie, avec un mal de tête carabiné. Les enfants font quelques tentatives pour que je joue avec eux, mais je n'arrive qu'à leur esquisser un sourire et refuser mollement.

Le vent me caresse, le soleil me réchauffe et la joie simple des enfants me fait un immense bien. Je retrouve un petit peu d'énergie, le battement dans mes tempes s'estompe très légèrement, la lumière du soleil m'éblouie un peu moins. Angela me demande de surveiller Ella pendant qu'elle pars se baigner. Ella babille, c'est un beau bébé, elle est toute potelée et adorablement joyeuse.

Je la caresse doucement alors qu'elle émet des petits cris et des gloussements. Les larmes sont aux coins de mes cils. Elle est tellement d'amour et de bonheur à elle toute seule, c'est...

Je lui souris. J'apprécie son contact et réalise qu'elle est ce qu'il y a de plus beau au monde. Je crois que oui, moi aussi j'aimerai avoir une famille, fonder un foyer mais je me sens incapable de recréer une telle bulle de bonheur. Pour ça, il faudrait que je trouve vraiment l'amour mais je n'attire que de sombres connards. Je n'ai que 24 ans et puis, déjà, il faut que j'assure un minimum mon travail.

J'étouffe un sanglot, j'ai envie de m'enfuir, mais je ne peux pas laisser Ella toute seule. Je me détourne d'elle pour lui cacher ma tristesse et mon chagrin. Je ne veux pas qu'elle voit toute l'horreur de ce monde. Ella est l'innocence et la douceur, moi je ne suis qu'une ratée.

Angela revenue, me regarde de son air soucieux.

— Tu sais, Lila, il faut que tu accordes aussi un peu de confiance aux autres. Tout le monde ne te veux pas forcément du mal, tout le monde ne t'abandonnera pas ou te quittera. Parfois il faut juste sauter vraiment dans le grand bain et tu peux avoir de belles surprises. C'est en nageant qu'on apprends à affronter les tempêtes...

Allez, va te baigner, maintenant... justement :).

Ses paroles résonnent. Je les laisse s'échouer doucement sur mon coeur comme les vaguelettes qui caressent mes pieds.

Plusieurs jours s'écoulent et je reprends de nouveau pied. La présence et les quelques mots chaleureux que me distille Angela me font énormément de bien. Elle est comme une maman pour moi et je fais de mon mieux pour mériter sa générosité.

Un jour elle me tends le téléphone.

— Anton... Tu prends ?

— Merci Angela. OK, passe le moi.

— Lila, enfin, je te retrouve. Merci de prendre mon appel. J'ai besoin de te voir. Il faut qu'on règle quelques détails, et promis, je ne t'embêterai pas longtemps. Je peux passer te prendre tout à l'heure ? Je t'emmène déjeuner. On parlera tranquillement.

— D'accord Anton, oui. Je...

J'entends sa voiture arriver. Il est sorti pour m'ouvrir la porte. Il ne parle pas, mais je le sens vouloir me rassurer. Nous arrivons sur un joli petit restaurant de plage. Il nous emmène droit vers une table réservée sur la terrasse dehors. Entourée de plantes, nous sommes à l'abri des regards.

Il tire la chaise derrière moi pour que je m'assois.

— Lila, je dois m'excuser auprès de toi. Tu n'as pas mérité ce qui t'arrive et sache que je me suis arrangé pour remettre de l'ordre dans tout ça.

Je lève les yeux avec crainte.

— Tu as..

— Chut. Tout va bien, tout est arrangé.

Je me résigne à lui faire confiance mais je suis terriblement inquiète. Je ne veux pas que Hayden perde son job ou que Sandy perde le contrat d'hébergement ou que Zach soit reparti fâché avec sa soeur. Qu'ils se soient disputés tous...

— Tu vas pouvoir y retourner quand tu seras prête et je serai avec toi deux jours par semaine. Le projet avance parfaitement, ils sont tout à fait en mesure d'avancer sans que tu supervises tout.

— Je ne sais pas si je suis encore prête.

— Alors on prendra un peu plus de temps, jusqu'à ce que ce soit de nouveau possible.

Il me regarde avec un sourire doux et bienveillant. Sa douceur me berce et me rassure un peu. Il reprends avec une voix douce :

— Je suis extrêmement fier de ce que tu as accompli, et je peux t'assurer que tu ne perdras jamais ta place. Tu es la meilleure recrue que j'ai eu depuis des années et je ne compte pas te laisser filer. Est-ce que toi tu es prête à me faire confiance maintenant ?

— Anton, je, ... je crois que oui.

— Je n'ai pas pris en compte que tu pouvais aussi avoir besoin de soutien pour t'intégrer. Tu sembles si à l'aise avec chacun. Tu n'as jamais montré l'ombre d'un doute sur une difficulté quelconque. Je m'en veux terriblement de ne pas l'avoir détecté. Jamais je n'accepterai que tu partes... et je ne te parle pas seulement de travail.

Il ne reprends pas tout de suite, mais se lance :

— C'est peut-être trop tôt pour toi ce que je viens de te dire... Et bien sûr on continuera de bosser ensemble, comme avant. Je ne veux pas que ça s'arrête.

Mais, je voudrai vraiment que tu me laisses aussi une chance, à moi. Lila, acceptes-tu de faire un petit bout de chemin avec moi ?

Me voyant incapable de lui répondre il poursuit :

— Que puis-je faire pour te rassurer ?

Je décide de tenter le coup, après tout pourquoi pas... mais...

— Il me faut d'abord vraiment faire ta connaissance. Peut-être partir en week-end ?

Il se saisit de ma main et l'embrasse plongeant ses yeux pleins d'amour vers moi.

Mon coeur bat un peu plus fort. Je ne sais pas si je ne suis pas en train de faire une grosse connerie.