Fyctia

— Je vous l'avais dit. Comment voulez-vous que cette gonzesse puisse gérer un chantier pareil ! Sérieusement, elle ne s'est même pas rendue compte que ça collait pas sur le planning et le risque avec le marais !

— Hey mec, elle est toute seule ! Son job c'est la gestion de projet. Assume ton rôle, tu dois l'avertir s'il y a un problème c'est pas un devin.

— Ouais, mais on peut pas imaginer ce qu'elle sait pas. C'est comme bosser pour une princesse. J'aurai préféré un mec expérimenté. En plus ses méthodes, c'est hyper chiant, ça rallonge tout. Et nous on bosse comme des cons pour satisfaire ses exigences !

— Hayden ? Bonjour. Dans mon bureau, maintenant.

Mon ton est sans appel.

Il ne me regarde même pas quand il me grogne :

— Je peux pas, j'ai d'autres choses à foutre que de tout vous expliquer.

Je me campe devant lui, les poings sur les hanches.

— Ce n'est pas une option, vous venez immédiatement. Ici ce n'est pas des choses qu'on a à foutre mais un chantier à mener, malgré les obstacles. Ici on bosse et sérieusement. N'oubliez pas votre rôle de chef d'équipe et surveillez votre langage. Être chef c'est pas que donner des ordres, c'est aussi communiquer, et je pense que là dessus vous pouvez clairement vous améliorer.

Je le sens devenir rouge de colère. Je le toise de mon mètre 65 face à son mètre 80 de muscles. J'ouvre la porte de mon bureau :

— Alors, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?

Il rentre après avoir regardé avec colère son collègue.

Une fois qu'il est rentré, je ferme la porte et je vais m'assoir dans mon fauteuil de chef. Je l'empêche de prendre ses aises et alors qu'il tire une chaise vers lui, je le coupe dans son élan :

— Pas la peine de vous asseoir, je ne vais pas y aller par 4 chemins.

Il se fige. Oui, c'est exprès que je l'énerve et que je fais valoir ma position de chef puisque c'est ça dont il a besoin.

— Hayden, Oui, vous avez raison, je suis une gonzesse inexpérimentée lâchée sur un projet à plusieurs centaines de milliers de dollars de chantier, face à une cinquantaine de mecs qui ne vont pas s'en faire conter par une débutante. Et je serai trop conne pour ne pas m'en rendre compte ?

Inutile de répondre, c'est de la réthorique.

Si vous avez été choisi c'est justement parce que vous êtes susceptible de relever un challenge. Tout ce que je vais vous demander et qui ne colle pas avec la réalité du terrain vous serez capable de me le remonter afin qu'on puisse en tirer des enseignements. C'est ce travail de rectification qui est la mission principale de ce dossier.

L'objectif du projet est de bousculer vos petites habitudes. Il serait peut-être temps de le comprendre maintenant ! Et si vous n'êtes pas de taille, autant me le dire tout de suite. Je me chargerai de trouver quelqu'un d'autre.

Alors ?

Je le voie bouder, les bras croisés, le regard remplis de fureur. Il ne s'attendait pas à ce que je le tacle. Au moment où il inspire, je redémarre aussi sec :

— Bien, qui ne dit mot consent. Je veux un rapport ce soir sur tous les problèmes que vous avez identifié. En sortant, appelez-moi John, je dois aussi lui parler.

Je me lève et lui ouvre la porte.

Une fois refermée, je rejoins mon siège, j'ai les genoux qui flanchent, le coeur qui bat avec des râtés et les mains qui tremblent tellement ! J'espère qu'il n'a rien vu.

Purée, j'espère surtout que je ne suis pas montée trop haut dans les aigus non plus au risque de lui montrer trop facilement ma faiblesse.

Je déteste les rapports de force, et je me déteste de ne pas avoir levé le problème plus tôt. J'aurai du aller le voir directement, cela n'aurait pas pris ce genre de proportions.

J'ai les mains moites et alors que je les frotte sur mon jean, la porte s'ouvre en force.

Hayden est derrière, de toute sa fureur, de toute sa testostérone aussi.

Ses muscles roulent sous sa chemise à carreaux rouges et blancs et j'ai l'impression d'avoir un taureau furieux en face de moi.

— Je sais peut-être pas faire de jolies présentations comme vous, mais autant vous dire que c'est pas sur Word ou Excel que ça se passe. Prenez votre manteau et suivez moi. Je dois vous montrer deux trois trucs qui vous ferons réaliser qu'on joue pas et qu'on sait de quoi on parle. J'suis ptet qu'un gros con, mais je sais ce que je fais et ce qu'il faut faire, et c'est largement pas votre cas avec vos exigences à la con.

— Je vous suis, il suffisait de le demander. La prochaine fois, avec le mot magique ? Et sachez que les gros mots n'ont pas leur place avec moi !

J'étouffe un rire nerveux en me retournant, je sais que je l'énerve un maximum.

Peut-être qu'il faudra que je lui montre que je suis aussi capable d'apprendre et que ce n'est pas parce qu'on ne sait pas tout qu'on ne peut pas mener un projet. Dans tous les cas, la peur n'est pas une option. Je dois être courageuse et affronter toutes les tempêtes, même si pour cela je dois passer pour une pimbêche.

Il me fait une révérence au moment où je passe devant lui.

— Vous voulez vraiment jouer à ça ?

Je n'attends pas sa réponse et sors du bâtiment.

Il marche à grandes enjambées, volontairement pour que je doive lui courir après. Une manière de montrer à ses hommes que c'est lui qui mène la danse. Très bien.

— Hayden ?

Il ne se retourne pas et m'aboie dessus :

— Quoi ! Vous pouvez accélérer, j'ai pas toute la journée moi.

— Hayden !

— Quoi ?!

— Votre casque.

Je lui montre le mien sur ma tête. puis je lui passe devant pour lui signifier que je sais parfaitement où il va.

Il grommelle puis me suis un tout petit peu plus conciliant après avoir mis son couvre chef sur sa tête. Ouais, je lui en ai mis une petite, et ça fait du bien ! Il m'a donné l'occasion parfaite pour la lui boucler devant ses hommes. Non mais !

Après m'avoir montré l'étendue du problème, je clôture sa démo par un merci. J'ai posé un tas de questions, je l'ai fait parler, jusqu'à la dernière goutte.

— OK Haydan. Je vous remercie pour cet exposé. Il faut organiser une réunion avec les chefs d'équipe dès demain matin et on ne sors pas de la session tant qu'on n'a pas trouvé des solutions. Toutes les pistes doivent être explorées. J'espère que vous comprendrez ainsi l'estime que je vous porte ainsi que la responsabilité qui pèse sur vos épaules. Je me charge de lever les blocages administratifs et financiers. Si certaines choses coûtent plus chères, si d'autres nécessitent plus de temps ou de faire autrement, au moins je le saurai. A demain, 7h.

Je pars, le laissant devant ses gars, la tête haute.

Je vais devoir appeler Anton.

J'entends les gars derrière moi :

— Putain les mecs, elle est coriace la grenouille ! Impossible de la coincer, elle glisse trop bien entre les doigts!

— J'aimerai bien l'avoir moi sous les doigts, elle doit savoir bien gigoter !

— Bordel les mecs, du respect ou je vous casse la tête. Jouez pas aux cons, elle peut vous virer si elle veut ! Et elle a faillit le faire tout à l'heure. Donc bouclez la.