Fyctia

— Sacha Teller, quel miracle.

— Tu m'as manqué aussi, maman.

Je roule des yeux, et elle me sourit. C'est avec force qu'elle m'attire dans ses bras, et je dois me pencher un peu pour enrouler mes bras autour de sa taille.

Je ferme les yeux. Enfin, je suis à la maison.

— Tes baggages sont prêts? C'est Phil, mon beau-père, qui pose la question, une main chaleureuse sur mon épaule, et je hoche la tête. Phil et moi, c'est comme ça: en un regard on se comprend.

Depuis que papa est parti, il y a maintenant dix ans, c'est Phil qui a pris la relève. Maman dit souvent qu'elle avait peur qu'il ne l'accepte pas: une mère célibataire, un ado et deux gamines en pleine crise, un père absent. Et pourtant, il nous a acceuilli dans son coeur sans faire de bruit. Avec un sourire et de bons plats.

— Sacha!

J'ai à peine le temps de me retourner qu'un poids s'abat sur moi, manquant de me faire vaciller. Des parfums qui se mélangent, une étreinte à quatre bras.

— C'est cliché de vous dire que vous avez grandi? demandé-je quand Emelyn et Lina reculent un peu.

— C'est cliché oui, répond Emelyn en même temps que Lina rétorque:

— Mais tu es vieux, donc on te pardonne.

— Vieux? J'ai vingt-quatre ans et je suis vieux?"

— Tu préfères "âgé"?

Je tire la langue à Em, et Lina éclate de rire.

— Allez, on embarque, dit Maman. Quand je croise son regard, elle a les larmes aux yeux.

***

Chioni, c'est un peu mon repère.

Un village de ski au nord de la France, loin de tout, avec une connection WIFI instable et des couples âgés spécialisés en raclette.

La dernière fois que j'y étais, c'était il y a deux ans, et le souvenir me tord encore l'estomac.

Mais décembre 2023 n'est qu'un mauvais souvenir maintenant, et la personne que je suis aujourd'hui ne s'attarde plus sur cette souffrance.

Chioni, c'est quatre heures de route, bercé par la voix grave de Phil qui nous raconte les mêmes anecdotes de son adolescence, les chamailleries des jumelles qui se battent pour choisir une chanson, le parfum de la maison.

Chioni, ce sont des bons souvenirs d'enfance, des batailles de boules de neige, des chutes en ski, du chocolat chaud devant la cheminée à supplier Maman pour qu'elle nous raconte une autre histoire.

C'est une bouffée d'air frais avant de repartir dans un mois.

***

Je suis réveillé par l'agitation d'Em, qui a déjà sortie son téléphone pour filmer notre chalet: elle se croit influenceuse, et c'est un peu drôle.

— Sach? Tu es levé?

La main de Lina sur mon avant-bras me ramène au présent, et je me frotte les yeux.

— On est arrivé, Belle au Bois Dormant, Maman lance du siège passager et ça faisait longtemps que mon coeur n'avait pas été aussi rempli de joie.

On débarque les valises et les sacs aidés par Stan, le vieux majordome qui est là depuis la création des chalets Chioni, et Phil fait la conversation avec lui comme à un vieil ami.

Ma valise en main, je m'apprête à suivre Stan vers mon chalet habituel, connaissant déjà le chemin du bout des doigts.

— Mr. Teller, ce sera par ici, cette fois, explique Stan, un brin embarassé devant mes sourcils froncés, nous avons fait des rénovations récemment, suite à une inondation générale, et les chalets n'accueillent maintenant plus que deux personnes."

Je reste silencieux. J'ai toujours eu l'habitude de partager ma chambre avec mes soeurs - et Léon, mais je ne veux pas y repenser. Les filles prenaient un des lits à étage, et Léon et moi partagions le deuxième. Même si on finissait souvent par s'endormir tous les deux sur le lit du bas, notre torche encore allumé sur la BD qu'on lisait ensemble.

Je hoche pourtant la tête et suis Stan vers la droite du chalet principal, un énorme carré où se trouvent la réception et le restaurant, jusqu'à un petit bloc un peu plus loin de ceux que je connais. Les chalets ici sont plus espacés, et plus modernes.

— C'est la première année que nous ouvrons cette partie au public, raconte Stan alors qu'il gravit les quelques marches qui nous mène à la minuscule terrasse et à la porte d'entrée. Vous nous direz ce que vous en pensez.

Il me tend la clé de ma porte, et me laisse entrer avant lui.

Et wow. Je reste bouche bée un instant.

Même si le chalet est plus petit que les autres, la lumière du soleil de midi filtrant par les rideaux couleur crème et l'agencement des meubles lui donnent un côté spacieux, cozy. Les meubles sont en bois, et les décorations simples, des tableaux aux teints de beige, des coussins et des couvertures jetés ci et là sur les fauteils près de la cheminée. Un tapis recouvre la majeure partie de la moquette, et je souffle, impressionné.

— Vous aimez?

Mais il connait déjà la réponse.

— J'adore.

Stan sourit, et ses yeux se plissent légèrement, les rides au coin de ses paupières un peu plus prononcé. Je me dis qu'il devait être beau dans sa jeunesse, avec la douceur qui émane de ses mots et ses yeux rieurs.

— Vous trouverez tout ce que vous avez besoin dans la petite kitchenette, Stan reprend en tendant la main vers le coin droit de la pièce d'entrée, où se trouvent, en fait, un mini-frigo, un micro-onde, et une bouilloire sur un comptoir, ainsi qu'une petite table et deux chaises. Et la salle de bain est derrière cette porte.

Mes yeux suivent ses indications vers une porte fermée à l'opposé de la cuisine, à l'arrière de la pièce, pas trop loin du petit salon.

— Et la chambre est à l'étage.

Je remarque alors les escaliers à la gauche de la porte d'entrée, et Stan s'excuse alors, m'expliquant qu'il doit accueillir d'autres clients. Quand il referme derrière lui, je souffle enfin. Grimpant les escaliers, je trouve une petite chambre avec deux lits simples, deux tables de chevets, et des serviettes pliées sur chaque lit.

J'ai la pensée soudaine que si j'avais quelqu'un, nous aurions poussé les lits l'un contre l'autre, et ça aurait été romantique. Peut-être même que si je me trouvais dans une comédie romantique, j'aurais dû partager la chambre avec un inconnu ténébreux, et nous aurions vécu une de ses histoires d'amour hyper clichées que ma grand-mère regarde sur M6.

Je secoue la tête et j'entends presque la voix d'Em qui me dit que je suis beaucoup trop irréaliste. Et Lina, elle aurait simplement ri.

Je m'attarde plutôt à déballer mes affaires et à les installer dans la seule armoire au coin de la chambre, et je me promets que ces vacances-ci seront pour moi: pas d'amour, pas de regrets.

Pas de Léon.