Fyctia
Le photographe
Gaspard rêvait encore de bruits d’avions quand il arriva devant l’ancienne mairie. En voyant l’épais mur, qui cachait le parc aux habitants de la ville, il prit conscience que ce serait sa dernière séance avec Mathilde. Il portait une petite mallette, contenant son nécessaire à peinture et les croquis de la séance précédente. En franchissant le portail, il ressentit aussitôt une étrange nostalgie. Les parterres de rosiers, qui bordaient l’allée, étaient devenus ses amis et le parfum des thuyas lui manquerait. Dans l’entrée de l’ancienne mairie, Lola se tenait assise à côté d’un étrange individu.
C’était un Gobelin par la forme de son visage et de son nez, mais sa peau avait la même couleur que celle des humains. Un chapeau melon cachait ses cheveux noirs, tandis que son corps était serré dans un costume noir et blanc. À ses pieds, une valise noire voisinait avec un trépied. Ce devait être la boîte d’un appareil photo. Gaspard baissa la tête en guise de salut et on lui répondit de même. Il n’avait pas envie d’engager la conversation.
Un autre Gobelin, à la peau très verte, entra dans la pièce. Apercevant le photographe, il eut un mouvement de recul, puis se tournant vers Gaspard, il l’invita à le suivre. La salle aménagée pour la peinture était prête et le jeune homme s’installa derrière son chevalet. La vieille demanda au Gobelin :
– Et le photographe ?
– Je ne sais pas, balança le Gobelin en poursuivant son chemin.
La vieille regarda Gaspard, tout aussi étonnée que lui. À peine eut-elle quitté la salle que Mathilde, en grande tenue, entra. Elle était seule. Elle était resplendissante.
– Il n’y a pas de photographe ? remarqua-t-elle. Lola m’avait promis.
– Votre dame de compagnie est partie le chercher, annonça Gaspard.
– Tant mieux, agréa Mathilde. Je suis désolée que votre contrat prenne fin, mais au moins avez-vous été payé.
– On me doit toujours quelque chose, répliqua Gaspard.
– Quelque chose ? s’étonna la Sang feu. Il n’y avait pas la somme ?
– Vous m’avez promis de me laisser dessiner votre dragon.
Mathilde regarda le peintre, se détendit et partit d’un rire de cristal.
– J’avais presque oublié cette petite aventure.
Elle n’eut pas le temps de poursuivre que la vieille entra, suivie de Lola et du Gobelin. Celui-ci s’inclina légèrement devant Mathilde, qui lui lança :
– Wahim °tak !
Le Gobelin bloqua net :
– Pardonnez-moi, annonça-t-il, je ne parle pas cette langue. J’ai été élevé par les humains.
– C’est moi, s’excusa Mathilde. Je pensais vous honorer en vous saluant.
– Vous m’honorez, reconnut le Gobelin, une moue de gêne plissant ses lèvres.
– Parfait ! Débutons. Doit-on commencer par la photographie, pour suivre sur la peinture ?
Gaspard et le Gobelin se regardèrent. Lola trancha.
– Saint-Maur, mon ami Ronin est pressé ! Si ça ne t’embête pas. Nous allons démarrer.
Gaspard n’avait pas envie de faire plaisir à Lola, mais la perspective d’avoir ensuite Mathilde pour lui seul le conduisit à acquiescer à la proposition. Il fit un geste de la main pour indiquer au photographe de s’installer. Lola se précipita sur Mathilde et sortit un nécessaire de maquillage en nacre rose. Le Gobelin en profita pour installer son appareil. Il dégaina un flash long comme un boutefeu. Il pointa l’appareil sur Mathilde en tenant le flash comme une lance.
– Ronin travaille bien ! ordonna Lola. Cette photo pourra servir à la presse lorsque Mademoiselle gagnera le droit de dragonner !
Dans son coin, la vieille ne réagit pas. Elle avait interdit à Gaspard de parler, mais, laissait, Lola déblatérer en préparant Mathilde. Lorsqu’elle s’écarta, le Gobelin se mit en place. Une petite explosion fut suivie d’une brève lumière et d’une bouffée de fumée blanche. Une odeur âcre fit tousser Mathilde, tandis que le Gobelin vérifiait sous le tissu de l’appareil. Il recommença une seconde fois, puis annonça :
– J’ai terminé. Les portraits seront prêts ce soir.
Le Gobelin remballa son matériel. La vieille se leva, les lèvres pincées et suivit Lola pour les raccompagner. Le parfum de phosphore commençait à se dissiper.
Gaspard resta de nouveau seul avec Mathilde. Elle se plaça face à lui pour son portrait. Son sourire était lumineux. Alors que Gaspard commençait à tracer les traits qui allaient lui servir de guide, la porte s’ouvrit sur la marquise de Tinteplume. L’aristocrate entra précipitamment, suivie de la Gobeline Firn.
– Où est le photographe ? demanda-t-elle.
Gaspard laissa Mathilde répondre et tous deux s'engouffrèrent dans le couloir sur les traces de Lola et Ronin. Mathilde eut un petit rire gêné. Comme Gaspard retirait un de ses pinceaux pour le nettoyer, Mathilde intervint :
– Savez-vous pourquoi je me fiche de ce mariage et de toutes ces choses ?
– Vous savez que vous volerez dimanche ? tenta Gaspard.
– Oui, mais ce n’est pas cela la raison. En parlant de Sainte-Epée avec Lola, j’ai compris que je pourrais, moi aussi, obtenir le droit de dragonner.
– Nous ne sommes pas en guerre avec le peuple des Jutes, répliqua Gaspard.
– Non, certes ! rit Mathilde. Lola pense que si je rends un très grand service au roi, il accédera à ma demande.
– Quel service souhaitez-vous lui rendre ?
La jeune femme se mordit délicatement les lèvres en souriant.
– Ce sera mon petit secret, annonça-t-elle. Pour l’instant.
– Je pourrais peut-être vous aider ? proposa Gaspard. Je connais bien la région.
– C’est juste, mais Lola me conseille de me méfier de vous. Elle dit que vous avez des rebelles dans votre famille.
Gaspard ne répondit rien. Après un court instant, il se contenta d’ajouter :
– Je ne sais rien de ma famille. Si cette étrangère en sait plus que moi : qu’elle vienne me raconter.
– Je suis désolée, s’excusa Mathilde. Je ne doute pas de vous.
– Le premier jour, où nous nous sommes rencontrés, vous m’avez tutoyé comme si nous nous connaissions de longue date. À présent, vous me vouvoyez.
– Pour les Sang-feu, le vouvoiement est une marque de respect. Je suis désolée de vous avoir tutoyé. Vous ne le méritez pas.
3 commentaires
Mélanie Nadivanowar
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Il y a un an
Sand Canavaggia
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Il y a un an
Nicolas Bonin
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Il y a un an