Fyctia
La requête
Le retour de la vieille dans la salle avait mis fin aux échanges avec Mathilde et il avait terminé le portrait, silencieusement. Chaque touche de couleur offrait le prétexte à s’attarder sur ses longs cheveux auburn, ses yeux en amande amère, sa bouche finement dessinée, le galbe de sa poitrine prisonnière de la robe à crinoline. La gorge, comme recouverte de miel, Gaspard prenait son temps. Elle lui souriait les yeux pétillants.
La marquise en personne vint voir le résultat. Elle se contenta d’acquiescer, tandis que le marquis félicita Gaspard. La belle avait disparu sans un dernier coup d’œil pendant qu’il rangeait ses tubes et pinceaux. La reverrait-il seulement ?
Gaspard conserva des traces de peinture sur ses mains jusqu’à la maison de Père grand. Il voulait retenir sur lui encore un peu de cet après-midi, qui se dissipait comme le parfum des roses dans la rue du Chastain. L’orage grondait, un orage sec et violent comme le craquement d’un arbre foudroyé.
À la maison, son grand-père le cueillit dans la cuisine :
– Alors ? C’est terminé avec les Sang feu ?
– Mmmh.
Un hochement de tête approbateur et Père grand retourna à ses pommes de terre. Ils n’avaient pas reparlé depuis leur accrochage. Gaspard se sentait seul, comme on se sent après une belle journée dont on ne peut partager le souvenir. Lentement, il lava ses outils, puis ses mains tandis que l’orage s’éloignait.
Le repas fut ponctué par le bruit des cuillères et le parfum du potage à la tomate frais que tante Blanche avait préparé.
La chaleur de la nuit obligea le jeune Saint-Maur à laisser de nouveau sa fenêtre ouverte.
Qamar était plein et sa lumière argentée rendait la nuit claire. On distinguait un peu Mounde, qui, elle, offrait un mince croissant rougeoyant. Cela faisait plusieurs jours que Gaspard n’avait pas revu Bérénice. Elle n’avait plus dîné avec la famille et n’était pas revenue le voir. Lui en voulait-elle pour la mission qu’il lui avait confiée ? Il se promit d’aller la trouver pour s’excuser, peut-être lui offrirait-il un portrait ?
Le jeune homme se débarrassa de ses vêtements pour ne conserver qu’un simple caleçon. Il regrettait la fraîcheur de l’eau du puits. Les soirs comme celui-ci, il aimait se frotter avec de la menthe fraîche pour se délasser, mais il était fourbu. Lorsqu’il s’allongea, il sentit les draps se réchauffer sous son corps. La nuit serait longue.
Un bruit fit sursauter Gaspard. Il se redressa. Quelqu’un escaladait le chèvrefeuille qui conduisait à sa chambre. Une main agrippa le barreau de bois qui servait de support aux fenêtres ouvertes et un corps félin se hissa le long du lierre jusque dans la pièce.
– Bérénice, c’est toi ? demanda Gaspard.
L’ombre toussa doucement :
– Non. Ce n’est pas Bérénice.
C’était Mathilde. Sous la chemise blanche en soie et pantalon de monte, les formes de la jeune femme se dessinaient parfaitement. Gaspard se redressa et saisit ses fripes. Elle baissa les yeux, gênée, le temps qu’il s’habille rapidement.
– Je ne voulais pas vous déranger, expliqua-t-elle. Je crois bien que je n’aurais pas dû venir.
– Je ne dormais pas, coupa Gaspard.
La nuit soudain semblait plus fraîche et apaisante.
– Auriez-vous d’autres vêtements ? lui demanda Mathilde.
– Je suis indécent ?
– Non, sourit Mathilde. Je suis désolée de vous mettre dans l’embarras.
– Je ne pensais plus vous revoir, répondit Gaspard.
– Je vous dérange ?
– Non, pas du tout, s’empressa le jeune homme. Je…
– Vous…
Gaspard se leva et saisit les mains de Mathilde, des mains extrêmement douces qu’il relâcha aussitôt. La jeune femme respirait doucement, comme pour se calmer après une course.
– J’ai besoin de votre aide et il faudrait que vous preniez des vêtements chauds.
La demande semblait incongrue dans cette pièce où la température était lourde comme les blés. Gaspard qui se tenait à quelques centimètres de Mathilde voyait bien qu’elle ne se moquait pas de lui.
– Il fait chaud ? s’étonna Gaspard.
Mathilde se rapprocha pour lui murmurer
– J’ai besoin de quelqu’un pour monter Altar. Mes parents veulent la laisser mourir dans notre draquerie. Je veux la ramener dans son nid. C’est là qu’elle doit être.
– Elle va mourir ?
– Firn, notre Gobeline, pense que c’est une question de jours. La dragonne refuse de s’alimenter. Avec Manoarc’h nous pouvons l’aider à voler, mais elle a besoin d’être rassurée en portant un dracolier sur son dos. Les dragons ont besoin de nous sentir.
– Je ne suis pas un Sang feu ! réagit Gaspard.
– Je sais, mais vous n’êtes pas lourd.
– Je croyais que Lola vous avait conseillé de vous méfier de moi ? demanda Gaspard.
Mathilde baissa de nouveau les yeux. Elle semblait intimidée de se trouver là.
– Je ne suis plus sûre de lui faire confiance. Elle a vexé Firn en amenant ce photographe demi-Gobelin. C’est un farûsh, un proscrit. Je sais que ce n’est pas convenable ce que je fais, je sais que je vais vous demander de courir un risque…
– J’en suis ! trancha Gaspard.
Il s’avança vers la malle, où se trouvait l’uniforme de vol de son père, puis s’arrêta :
– J’ai quelque chose ici, mais je ne suis pas sûr que ce soit convenable.
– Que voulez-vous dire ? s’inquiéta Mathilde.
– Mon père m’a légué un vêtement de pilotage. Il était dans les dirigeables.
– Ah c’est parfait, ces uniformes imitent nos tenues de vol !
– Il porte les couleurs de l’ancienne République.
– Vous êtes républicain ?
– Ni monarchiste, ni républicain, annonça Gaspard. Ce sont des mots vides de sens.
– Je m’intéresserai à la politique quand on autorisera les femmes à monter à la tribune comme elles montent à l’échafaud.
Gaspard ouvrit la malle et dévoila l’uniforme qu’il avait utilisé la veille. Il enleva son haut. Mathilde en le voyant se changer, rougit et se retourna.
– Cet uniforme est magnifique, remarqua-t-elle. Votre père devait avoir fière allure. Comment est-il mort ?
– Il a été exécuté par le Feudragon.
– Mon Dieu ! s’exclama Mathilde. Je suis désolée. Et je vous demande de monter un dragon.
– Ce n’est pas le dragon qui a tué mon père, c’est le dracolier qui le montait et dont j’ignore le nom.
Gaspard avait placé son casque et les lunettes dans une musette. Mathilde se dirigea vers la fenêtre, mais il la retint en lui prenant doucement la main.
– Ma famille dort. Nous pouvons passer par l’escalier.
Leurs deux corps se frôlèrent alors qu’il l’emmenait vers le parquet de bois silencieusement. Arrivés en bas des marches, ils traversèrent la cuisine pour gagner à pas feutrés le jardin. Gaspard ne lâcha la main de Mathilde qu’au moment d’ouvrir le portail.
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Angélique ABRAHAM
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Nicolas Bonin
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Mélanie Nadivanowar
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Sand Canavaggia
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