Fyctia
Le biplan de Marco
La voiture de Marco était garée devant l’atelier de l’ébéniste. L’homme pointa sa moustache frisée à la cire. Il arborait un costume différent des autres jours. Son chapeau melon avait cédé la place à un casque à lunettes ressemblant à celui des dracoliers. En guise de costume, il portait une épaisse veste en cuir, assortie à ses bottes, ainsi qu'un pull marin En voyant le regard surpris de Gaspard, il s’exclama :
– Tu ne peux pas voler dans cette tenue ! Nous retournons chez ta tante.
Gaspard jeta un regard interrogateur à Boëldieu qui répondit d’un geste de la main. Il ne savait pas ce que Marco voulait dire. Quelques minutes plus tard, ils entraient chez son grand-père et tante Blanche s’affolait en courant les placards pour trouver un costume chaud. Elle revint avec une veste en cuir, qui sentait le cirage. Gaspard remarqua la cocarde rouge, jaune et violette qui l’ornait. Un écusson noir et blanc représentait une cigogne et une faux. Sur les épaules, quelqu’un avait cousu des galons d’escadrin en second sur les épaules et un nom brodé sur le devant Jo Saint-Maur, dit « le Cavalier ».
Gaspard n’eut pas le temps de s’attarder sur cette étrange découverte que tante Blanche rapportait un casque en cuir avec des lunettes et des protèges oreilles. Elle sortit également un pantalon de laine et des bottes.
– D’où viennent ces affaires ? s'inquiéta Gaspard.
– Tu ne sais pas ce que ton père a fait durant la guerre ? lui demanda Marco.
– On ne me dit jamais rien. Il était dans l’infanterie, je crois.
– Il a débuté dans l’artillerie avec son frère. C’est comme cela qu’il est devenu aérostier. Des ballons, il est passé aux dirigeables. À l’Étang, il est parvenu à ramener son dirigeable intact, grâce à une manœuvre audacieuse. Je lui dois la vie.
Les yeux de Gaspard s’ouvrirent en grand. Beaucoup d’hommes du village avaient participé à la bataille de l’Étang, à bord des dirigeables, car le régiment d’infanterie auquel ils étaient rattachés avait été affecté à la défense des aérostats. Il n’était pas rare d’entendre les survivants, à commencer par Boëldieu, raconter comment les dracoliers d’Ebene avaient attaqué les dirigeables depuis le haut. Les mitrailleurs réduits à l’impuissance ne pouvaient rien faire et la chasse était submergée. Il y avait peu de dracoliers pour servir la République et les quelques-uns présents ce jour-là furent rapidement balayés.
Gaspard essaya les vêtements de son père. Ils étaient à sa taille. Marco s’esclaffa :
– Le chevalier du Guet se moquait de ton père en disant qu’il avait du Sang feu dans les veines, à cause de votre petite taille.
– Vous disiez que mon père vous avait sauvé la vie à la bataille de l’Étang. Que s’est-il passé ? demanda Gaspard.
– Oui, mais ce serait trop long à te raconter. Hâtons-nous ! Je n’ai pas envie qu’on te voie avec cet uniforme. La cocarde républicaine n’est pas la bienvenue chez tes amis les Tinteplume.
Tante Blanche comprit l’intention de Marco et poussa un cri en portant ses deux mains à son visage. Marco n’attendit pas, il entraîna Gaspard vers la voiture et tourna rapidement la manivelle. Après quelques heures de route au milieu des champs de blé, ils arrivèrent dans un hangar isolé au milieu de montagnes de betteraves. Marco recouvrit sa voiture d’une large couverture en laine noire.
– Je t’ai promis que tu allais voler, Gaspard ! expliqua l’homme. Ce que je ne t’ai pas dit c’est que tu allais apprendre à piloter un avion, comme ton père et moi l’avons appris du chevalier du Guet, il y a quelques années.
– Mon père savait piloter un avion ? s’étonna Gaspard.
– Pour l’instant, j’ai besoin que tu puisses appréhender les pièces que tu dessines, poursuivit Marco sans prêter attention à sa question. Si tu n’intègres pas comment fonctionne un avion, ce sera peine perdue. Le seul moyen de comprendre quelque chose, c’est de pratiquer.
– Pourquoi ces dessins ? Que suis-je censé trouver ?
– L’Espada, l’avion conçu par le chevalier du Guet. Il ne nous reste qu’une partie de ces plans. Tu étais sur le moteur, qui nous pose beaucoup de questions.
– Pourquoi construire cet avion ? insista Gaspard.
Marco ne répondit pas et sortit un jeu de clés. Il poussa la porte du hangar et découvrit un atelier immense dans lequel des engins avec des ailes étaient alignés. Ils étaient de toutes les tailles et de toutes les formes. Monoplan à aile parasol, biplan, triplan. Il y avait même un quadriplan. Tous les avions étaient en bois avec parfois du tissu recouvrant les poutres entrecroisées.
– Voici les derniers rescapés de l’escadrille expérimentale des faucheuses de cigognes ! présenta Marco.
– Ces avions volent ? s’étonna Gaspard.
– Ceux-là, non. Nous prélevons des pièces dessus. L’unique avion encore en état de voler se trouve derrière ce hangar. Avant de te le montrer, je vais te donner quelques leçons sur les vents. Ensuite, nous effectuerons un petit vol pour que tu acquières des sensations. Ensuite, tu vois cet avion sans aile là-bas ?
– Celui avec l’énorme manivelle.
– Tu vas apprendre les gestes les plus importants dessus.
– Je dois vraiment apprendre à piloter ?
– Tu me le diras après avoir volé tout à l’heure.
Gaspard n’en croyait pas ses yeux. Dehors, sous une bâche en tissu, il découvrit le petit biplace au corps en tubes de bois laissant passer l’air de partout. À la minute où le moteur démarra, le jeune homme se rappela les paroles de Mathilde le premier jour où il l’avait croisée.
– Quand tu as entendu le vent siffler à tes oreilles et que le dragon pique à grande vitesse, les gazouillis du piano n’ont plus de saveur.
Il avait façonné des avions de papiers pour les enfants de l’école et leur avait appris à dessiner, puis faire voler des cerfs-volants. Là, dans l’avion rouge que pilotait Marco, il comprenait ce que Mathilde ressentait sur son dragon et pourquoi elle rêvait d’en faire sa vie. Ça n’avait rien à voir avec un jouet volant. Il y avait d’abord le bruit du moteur, suivi presque aussitôt par le parfum de l’essence et la machine roula sur la piste jusqu’à rebondir. Lorsque le biplan s’éleva, Gaspard eut l’impression de sentir le sol s’arracher sous ses pieds. Le vent ne sifflait pas, il chantait ! Le bois de l’appareil craquait de plaisir sous la pression des forces qui le poussaient vers l’avant. Alors Marco se mit à chanter : “Qu’est-ce qui passe ici si tard, compagnons de la Marjolaine ? ” et sa voix se perdit dans la mer de nuages qui s’étendait sous leurs roues. Lorsqu’elles retrouvèrent la terre ferme et que Marco coupa le moteur, il n’eut pas besoin de demander à Gaspard pour que celui-ci s'enthousiasmât :
– Je veux apprendre à voler !
– Parfait ! répliqua Marco. Je ne t’ai pas tout dit. J’ai besoin d’un copilote pour la Saint-Elme. Il y a un prix à remporter et cet argent sera utile pour poursuivre mes recherches. Par ailleurs, je ne peux me présenter face au jury. Il me faudra donc quelqu’un qui puisse m’aider et tes excellentes relations avec la famille Tinteplume seront utiles.
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Mary Lev
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Nicolas Bonin
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Mélanie Nadivanowar
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