Fyctia
Les mots de Père grand
Gaspard attendait Mathilde sous le saule. Ce qamardi, il espérait qu’elle viendrait le retrouver comme la veille. Il avait le cœur léger en quittant l’atelier de Boëldieu, malgré la journée particulièrement difficile et le temps lourd.
Boëldieu avait été désagréable et c’était un euphémisme. De l’arrivée de Gaspard, jusqu’à son départ, il n’avait cessé de pester. Le dessin n’allait pas assez vite. Gaspard s’était précipité. Quelqu’un avait déplacé le balai qui aurait dû être là et pourquoi la fenêtre était-elle ouverte alors qu’il faisait chaud ?
À aucun moment, il n’avait fait référence à l’escapade nocturne de son dessinateur, mais la manière dont il le rabrouait pour des broutilles ne laissait pas de place au doute. Gaspard passa outre. Le soir, il verrait sa belle et ça lui suffisait, mais Mathilde n’était pas revenue.
Remontant vers le port, l’étudiant se demanda si on ne l'attendait pas là-bas. En entendant le bruit des assiettes sur les tables, il comprit qu’il avait perdu trois heures en vain. Le temps orageux, lourd de nuages gorgés d’eau, pesait sur son humeur. Il rentra.
En le voyant se laver les mains, tante Blanche ne fit aucune réflexion et se contenta d’ajouter son couvert à table. Père grand mangea en silence. Pierre et Gaspard l’imitèrent et le repas s’acheva ponctué par le toc des couverts sur la faïence des assiettes.
Après une toilette au puits, Gaspard monta tôt dans sa chambre. Cette nuit-là, son cousin ne sortit pas pour aller rejoindre ses amis et Bérénice ne passa pas son nez par la fenêtre.
Alors que le ciel de samon n’avait pas encore libéré le tonnerre, Gaspard chercha du regard si des dragons volaient au-dessus de la forêt d’Elaune, mais il ne vit rien. Comment aurait-il pu les voir, alors que les lunes étaient cachées par des nuages couvrant le ciel ?
Il parvint à trouver le sommeil tard dans la nuit, essayant de retenir les doux souvenirs de la veille comme les doigts retiennent l’eau qui coule.
Au petit matin, Un Gobelin, vêtu en livrée, vint frapper à la porte. Il tendit un morceau de papier hâtivement griffonné de la main de Mathilde.
Nous avons retrouvé le dragon hier.
Je n’ai pu vous prévenir car il était mal en point.
Venez ce soir au château, après votre travail.
Mon père souhaite vous récompenser pour votre aide.
M.
Le cœur battant, Gaspard montra le mot à Père grand, qui le tendit à Tante Blanche. La voix grêle et inquiète, elle demanda au Gobelin s’il souhaitait boire un café, mais il déclina avec une moue de dégoût et s’en alla sans demander son reste.
– Cette invitation ne me dit rien qui vaille, annonça Père grand. Je peux lui porter un mot en disant que tu ne souhaites pas être récompensé. Après tout, tu n’as fait que ton devoir, tu n’as pas besoin de récompense !
– Ce serait suspect, souffla Gaspard. Si je n’ai rien à me reprocher pourquoi ne vais-je pas les voir ?
– Le marquis voudra connaître ton histoire. Je ne suis pas sûr que cette fable pour enfants avec des bandits masqués lui conviendra.
Gaspard serra le poing et le regarda avant de mettre sa main à plat sur la table.
– J’irais. Je ne peux pas refuser. Après tout, ce sont aussi mes clients, puisque je réalise le portrait de leur fille.
– Gaspard, intervint la tante Blanche. Il faut que tu arrêtes de voir cette demoiselle !
– Je dois terminer le travail que j’ai commencé, annonça le jeune homme en faisant semblant de ne pas comprendre.
– Elle n’est pas de notre monde, insista tante Blanche. Pour eux, nous sommes les Sang terre et leurs dragons ne peuvent nous porter ! Je sais ce que c’est d’être jeune et de s’enflammer facilement. Il n’y a rien de bon à gagner avec les Sang feu, surtout cette famille.
– Surtout cette famille ? intervint Gaspard. Qu’est-ce que vous voulez dire ?
La tante Blanche plissa les lèvres pour ne pas répondre. Elle saisit un torchon pour le plier et quitta la pièce. Père grand vola à son secours.
– Le roi n’a pas offert ce fief à n’importe qui, expliqua-t-il. Tinteplume est un de ses plus vieux soutiens. La marquise Héloïse, sa femme, est une des filles du dracomte Sigur de Lannes, chancelier du Roi. Ils savent que Gué sur Lyre est un bastion républicain.
– Et donc ? se défendit Gaspard. Je peins leur fille. Je les aide à trouver un dragon perdu et je serai suspect à leurs yeux ? Je ne fais rien de mal et je ne suis pas un républicain ! Ni même un monarchiste d’ailleurs !
Le regard de Père grand se voila. Sans perdre son calme, il regretta :
– Tu n’es rien de tout ça, c’est vrai. Pour être républicain ou même monarchiste, il faut se soucier du sort des autres. Toi, tu ne t’en soucies pas. Tu n’es qu’un jeune idiot, qui se précipite la bouche en cœur aux pieds d’une ennemie de sa classe. Crois-tu que ces gens soient aveugles ? Ne te souviens-tu pas de l’intervention de cet Alaard au cimetière ? Il en sait bien plus que tu ne le crois sur notre famille et ce n’est pas pour rien qu’il a réagi contre nos fleurs. Va ce soir manger à la table du marquis ! Vas-y et mets ton plus beau costume ! Il se pourrait bien que ce soit toi qui serves de dîner à ces messieurs !
Si le timbre de Père grand était posé, ses paroles violentes comme une volée de coups de poing sonnèrent Gaspard. Il tituba jusqu’à la porte, sans terminer son petit-déjeuner, passa la grille du jardin, comme un boxeur abandonnant le ring. La mauvaise humeur ostentatoire de Boëldieu ne l’enchantait guère, mais elle était préférable à la présence de Père grand. Pour la première fois depuis longtemps, des larmes coulèrent de ses yeux.
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Mary Lev
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Nicolas Bonin
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Mélanie Nadivanowar
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Sand Canavaggia
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