Nicolas Bonin Le sang feu ! Amour ou bataille au sang

Amour ou bataille au sang

La voiture stoppa à l’endroit où les pavés du port fluvial cédaient la place au chemin de terre du Chastain. La Lyre, par endroits, reflétait la lumière des deux lunes. Mathilde souriait et Gaspard inclina doucement la tête. Il n’avait pas envie de partir. Tant de questions lui brûlaient les lèvres après leur conversation sur le chemin. La Gobeline Firn toussa légèrement.

– Il est tard, s’excusa Gaspard. J’espère que nous trouverons ce dragon demain.

– Je l’espère aussi, bonsoir.

Gaspard marcha le cœur si léger, qu’il ne vit pas Pierre l’attendant dans le jardin, à côté du puits.


– Tu n’as pas traîné pour nous trahir ! attaqua son cousin. Je peux aller me coucher, où ils viendront me prendre dans la nuit ?

Gaspard s’approcha le torse bombé. Il était plus petit et serrait les poings. Pierre crispait la mâchoire, il se redressa. Les deux garçons se faisaient face, comme des coqs prêts à en découdre.

– Les Sang-feu ne savent pas qui a apporté le dragon dans la forêt, annonça Gaspard méprisant, mais peut-être préfères-tu aller le chercher toi-même ?

– Tais-toi !

– Pourquoi ? Tu veux que je vienne monter la garde pour te protéger du méchant dragounet ?

– Tais-toi ! Je t’ai dit.

– Derrière toi ! Un dragon !

– Tais-toi, j’ai dit !

– C’est pour ça que les autres préfèrent ton bon copain Delouche comme chef ? poursuivit Gaspard. Il vaut mieux quelqu’un qui ne fuit pas au premier battement d’ailes ?

Pierre fit partir un lourd coup de poing, mais Gaspard s’y attendait, il l’esquiva et répliqua d’un violent coup de pied dans le mollet de son cousin. D’un uppercut, Pierre balaya Gaspard, mais se tordit la cheville en évitant la margelle du puits. Leurs respirations trop fortes trahissaient leur essoufflement. Pierre envoya une claque, que Gaspard évita trop facilement. Il répliqua, tout aussi gauche, sans même effleurer son cousin.

– Que se passe-t-il ici ? tonna Père-grand en sortant sur le perron. Vous avez perdu la raison ?

Le vieil homme haussait rarement la voix et son coup de gueule eut l’effet escompté. Gaspard recula et Pierre redressa le col de sa chemise. Aucun des deux ne répondit. Le vieil homme s’avança :

– Où étais-tu passé Gaspard ? reprocha-t-il. Ta tante s’est inquiétée ? Nous avons craint…

– Que les amis de Pierre m’aient enlevé de nouveau ? persifla Gaspard d’une voix chantante. Rassure-toi, j’étais occupé à réparer leurs bourdes. Il y a un dragon terrorisé qui erre dans la forêt. Je l’ai cherché avec des amis.

– Des amis ? l’interrompit Pierre. Des Doryphores et des Gobelins. C’est ça tes amis ?

– Je peux te les présenter si tu veux ? proposa ironiquement Gaspard. Ils sont loyaux, eux ! Ils pourront aussi t’aider à surmonter ta peur des dragons.

– Gaspard, ça suffit ! l’interrompit Père grand. Tu dépasses les limites ! Aie du respect pour ton cousin.

– Pourquoi ? miaula Gaspard. Pour m’avoir livré à sa bande après avoir mielleusement prétendu qu’il voulait passer l’après-midi en ma compagnie ?

– Il est désolé ! s'énerva Père grand. Et tu le sais ! Ce qui s’est passé hier ne te donne pas le droit de faire ce que tu veux. Ce n’est pas une auberge ici !

Le grand-père coupa court à la discussion en retournant dans la cuisine. Gaspard savait qu’il avait tort vis-à-vis de lui et de sa tante. Elle avait préparé seule un repas, qui devait être froid. Il ne regrettait cependant rien de ce qu’il avait dit à Pierre et il continuerait de se moquer de sa peur des dragons. Après les coups de Gros sel, c’était un moindre mal.

Son cousin entra le premier dans la maison et se dirigea vers l’étage pour claquer la porte de sa chambre. Gaspard prit l’eau du puits à pleines mains. Il sentit l’eau couler calmement sur son visage et éteindre l’incendie de sa colère. Un bref instant, il eut le souvenir d’une femme entrant dans la Lyre… Une femme dont il connaissait chaque trait … Une femme qui lui racontait avec passion la légende de Sainte-Epée, quelques heures plus tôt.

Sur la petite table de la cuisine, une assiette attendait. Elle fumait encore, probablement réchauffée par Père grand. Un morceau de pain noir était posé à côté, ainsi qu’une pomme en guise de dessert. La voix blanche, son grand-père lui demanda :

– Tu te souviens pourquoi Pierre a peur des dragons ?

L’étudiant ne répondit rien. Il attendait que son aïeul parle, mais l’explication ne vint pas. Le jeune homme s’installa et annonça :

– Nous n’avons pas retrouvé le dragon. J’y retourne demain après le travail. J’emporterai du pain. Pas la peine de m’attendre.

– Qu’as-tu raconté à cette femme ?

– Rien qui ne compromette ton petit-fils et vos amis, concéda Gaspard avec un ton de reproche. J’ai indiqué que mes ravisseurs étaient masqués.

– Tu ne sais pas à quel jeu tu joues ! reprocha son grand-père.

– Non, c’est vrai. Mais comment le savoir quand on ne me dit jamais rien ?

Père grand n’ajouta pas un mot et gagna le couloir pour aller se coucher. Son petit-fils resta seul à manger, la gorge serrée.

Lorsqu’il grimpa les marches de l’escalier vers sa chambre, Gaspard remarqua que la porte était ouverte. Sur le petit bureau, où s’entassaient ses livres, quelqu’un avait déposé un mot, tracé d’une fine écriture :

Je suis passé pour te voir ce soir, mais tu n’étais pas là. Vendredi, je reviendrai pour t’emmener essayer mon avion. Tâche de trouver ton dragon avant !

Marco

Décidément, cet homme était bien informé. Bérénice avait dû lui vendre la mèche. Où était-elle d’ailleurs ? Est-ce qu’elle guettait dehors en comptant les ronflements dans la maison ou se glissait-elle dans le château pour écouter ce qui se disait ?

Gaspard tendit la tête vers la fenêtre pour voir si elle se cachait dans le jardin. Qamar et Mounde brillaient dans le ciel, l’un rond et l’autre en croissant. La bataille avait eu lieu comme le voulait le proverbe.

Une ombre fit crisser les cailloutis. Pierre s’en allait retrouver sa bande. Gaspard siffla et comme son cousin se retourna, il lui dit simplement :

– J’ai raconté que les gens qui m’avaient enlevé étaient masqués et qu’ils espéraient vendre le dragon aux Tinteplume.

– D’accord.

– Pierre. Il faut arrêter avec ces conneries de fusils et de mitrailleuses.

La nuit masquait le visage de son cousin et Gaspard le regarda s’éloigner en silence.

Quelques secondes plus tard, une seconde ombre quitta sa cachette sous la tonnelle. Bérénice effleura les cailloutis sans les faire bouger, puis sauta par-dessus la barrière du portail. En un clin d'œil, elle disparaissait dans la rue du Chastain pour suivre Pierre. Gaspard referma les volets. Il aurait bien aimé avoir quelqu’un à qui raconter la promenade dans les bois avec Mathilde. Sa voix lui revint en mémoire :

– Rond et Croissant : Amour ou Bataille au sang ! Personnellement, je n’imagine pas l’amour autrement qu’une grande bataille.

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20

20 commentaires

Paige

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Il y a un an

Hé ! Je voulais connaître la raison de la peur de Pierre des dragons ! Je suis déçue ! Je présume que ça viendra ultérieurement ^^. Un petit chapitre de transition, je m'interroge si la bagarre Pierre / Gaspard va perdurer dans le temps où s'ils vont s'attendrir. Après tout, ils ont le même sang ^^

Nicolas Bonin

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Il y a un an

On va connaître la raison, même si on a en fait quelques indices et il va y en avoir nu dans le chapitre 24.

Cécile Marsan

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Il y a un an

Je sais pas trop où ça va mener Gaspard tout ça ! Et pourquoi tant de cachotteries ? Hâte de lire la suite !

Mélanie Nadivanowar

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Il y a un an

Et oui, l'amour est une vraie bataille pour le préserver 😄😄👌. Pierre qui montre bien son petit jeu face à Gaspard, mais heureusement Gaspard ne se laisse pas faire 😄😄💪💪. Le silence du père grand, m'intrigue encore plus 🤔🤔. J'ai hâte de savoir ses plans

Nicolas Bonin

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Il y a un an

:-) Merci pour tes retours !

Sand Canavaggia

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Il y a un an

Ce petit a un caractère qui est bien trempé, son coeur résonne tout autant. Son cousin du mauvais bois, la peur ou autre, je n'arrive pas à bien cerner pour lui, mais la colère est là avec le claquement de porte, son entrée en premier...j'attends que tu me dévoiles un peu plus sur lui...Quant à Gaspard et ce qu'il se remémore, cette phrase qui m'a interpellée, que tu fais revenir ici, il y aura ainsi une annonce d'une bataille, mais bizarre je pense que c'est un parallèle entre dragons et Hommes...Tu lies tellement les deux que je ne m'imagine pas pour l'instant que le destin Mathilde/Gaspard et Dragon puisse se dissocier sur ce point déduit (bataille/amour). De belles émotions avec des pics, j'attends la suite bien entendu, bonne continuation à toi😉🌸

Nicolas Bonin

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Il y a un an

Merci à toi ! :-) J'espère que la suite sera à la hauteur.
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