Fyctia
En quête du dragon
Mathilde attendait Gaspard sur le Chastain. Il l’aperçut en quittant la maison de Boëldieu. Elle était habillée de sa tenue de monte : bottes, pantalon et chemise, mais ne portait pas de veste de vol. À une cinquantaine de mètres d’elle, des Gobelins et des coloniaux étaient installés, suffisamment visibles pour signaler qu’ils veillaient sur leur maîtresse. Il marcha droit vers elle et demanda :
– Vous n’avez pas amené Manoarc’h ?
– Je n’ai pas le droit de le sortir un autre jour que primedi. Le reste de la semaine, ce sont mes frères qui le montent à tour de rôle.
– Si vous êtes là, c’est que vous avez vu mon mot ? s’enquit Gaspard.
– Votre amie me l’a donné en main propre, acquiesça Mathilde. J’avoue avoir pensé à un piège. Comment avez-vous vu ce dragon ?
Gaspard avait prévu cet échange, bien décidé à tronquer la vérité. Mathilde affichait un visage triste, mais intrigué. Il releva le vouvoiement qu’elle lui donnait alors qu’elle l’avait tutoyé lors de leurs deux premiers échanges. Souhaitait-elle maintenir une distance pour se venger de sa trahison avec la peinture ?
– Des gens m’ont enlevé car je viens peindre chez vous, débuta Gaspard. Ils voulaient se renseigner sur vos dragons. Ils espéraient vendre celui qu’ils possédaient. Ce dragon s’appellerait Altar.
– Altar ? Ça ne me dit rien.
– Vous connaissez les noms des dragons qui n’appartiennent pas à votre famille ? s’étonna Gaspard.
– Nous connaissons les reproducteurs du pays et de l’empire, certains coursiers. Personnellement, je connais par ailleurs le nom de tous les dragons du département. Il doit y en avoir une centaine au plus.
Mathilde fouilla dans sa poche pour en sortir un carnet, où elle inscrivit le nom de l’animal. Ses yeux reflétaient l’inquiétude. D’où il était, Gaspard percevait la douce fragrance boisée de son parfum. Il déglutit et s’inquiéta :
– Est-il possible que ce nom ne soit pas le nom originel du dragon ?
– Non, ils ne répondent qu’à leur nom. C’est une bonne chose que vous l’ayez entendu. Je connais nombre de dresseurs qui n’ont pu sauver des animaux trouvés faute de pouvoir les appeler. Avez-vous vu le visage de ces gens ?
– Ils étaient masqués…
– Comment avez-vous fait pour vous en sortir ?
– Le dragon a commencé à s’agiter. Les bandits prétendaient qu’il sentait la présence d’un de ses congénères.
– Je volais hier au-dessus de la forêt d’Elaune quand Manoarc’h s’est agité. Il voulait descendre vers les arbres. Où étiez-vous ?
– Ils m’ont emmené dans l’ancienne charbonnière.
– C’est bien ça. Je me suis demandée s’il flairait l’odeur du charbon. Que s’est-il passé ensuite ?
– J’ai profité de l’agitation du dragon pour m’échapper, mais je suis tombé et j’ai perdu connaissance un moment. Je suis resté caché quand je les ai entendus dire que l’animal avait filé.
Les yeux de Mathilde se fichèrent dans ceux de Gaspard. Il sentit un sourire niais se dessiner sur son propre visage et ses oreilles chauffèrent. Elle tourna la tête :
– Nous devons agir rapidement. Un dragon isolé est extrêmement vulnérable. Vous allez me conduire à l’endroit où vous l’avez vu pour la dernière fois. Je vais prévenir mes frères pour qu’ils survolent la forêt. C’est la meilleure chance que nous ayons de le trouver.
D’un signe de main, Mathilde appela les Gobelins et l’un d’eux dégaina une fleur de lys. Gaspard avait entendu dire que les hommes verts utilisaient les fleurs pour porter des messages. Chaque fleur avait une signification propre : danger, réussite, trahison. En voyant la nature des fleurs et leur couleur, le destinataire pouvait savoir à quoi s’attendre avant que le messager ne s’explique. La femme gobeline que Gaspard avait aperçue à plusieurs reprises auprès de Mathilde se leva et distribua des ordres dans sa langue. Elle avait un beau visage, creusé par le travail au grand air, et de grands yeux noirs.
Gaspard accompagna ensuite Mathilde. La Gobeline et un des coloniaux les suivaient à distance. Ils retrouvèrent la voiture rouge que Gaspard avait vue le premier jour. Elle possédait un toit en bois peint, pareil à celui des carrosses. Le colonial tourna la manivelle, tandis que la Gobeline prenait le volant. Mathilde s’installa à l’arrière et invita Gaspard. Alors qu’ils approchèrent de la charbonnière, la Sang-feu fit arrêter le véhicule sur un des bords de la route pavée.
– Inutile d’aller plus loin, indiqua-t-elle. Regardez !
Gaspard ne vit pas de quoi elle parlait, il se contenta de suivre la petite troupe sur le bord du bois. Là, deux arbustes avaient été pliés par quelque chose et une vague trace de patte avait marqué la boue. La Gobeline s’approcha, toucha la terre puis la porta à son nez avant d’annoncer :
– Dragon femelle, âgée, peut-être soixante ans. Elle tourne en rond.
– Vous voyez comment elle se déplace en sentant la terre ? s’étonna Gaspard.
– Non, il y a des traces ici à gauche et là encore à droite, rit Mathilde. L’odeur, c’est pour dire si c’est une femelle et donner son âge. Les Gobelins ont un don pour les parfums et Firn est très douée.
– Je l’ignorais, reconnut Gaspard.
– Vous connaissez la différence entre Dracolier et Dragonnier ? le testa Mathilde, un léger sourire aux lèvres.
– Le DracoLier tient le licol, tandis que le DragoNNier nourrit l’animal, récita l’étudiant.
– Bien vu. Nous devons à présent adresser un message à mes frères.
Gaspard vit les trois formes caractéristiques de dragons planant au-dessus de lui. Gracieux comme des cygnes, puissants comme des aigles, les animaux glissaient dans l’air dans un manège parfait.
Mathilde saisit une paire de drapeaux et s’allongea sur le sol en plaçant ses bras en croix. Un des dragons piqua vers eux, pour se placer à quelques mètres au-dessus. Gaspard avait l’impression de sentir le battement des ailes. Quand le dragon recommença à tourner en permettant au dracolier de se pencher sur le côté, la jeune femme bougea lentement ses bras et ses jambes. Gaspard savait qu’il s’agissait d’un message. Les bras en l’air et les jambes serrées formaient une lettre. Il suffisait de déplacer un membre pour que la lettre change.
Lorsqu’elle eut terminé, Mathilde se redressa et la Gobeline vint lui épousseter le dos. Bérénice avait raconté que la Gobeline considérait Mathilde comme sa fille. Les gestes de la femme à la peau verte confirmaient ces dires. Elle était extrêmement douce avec sa protégée, dégainant une brosse pour enlever les nœuds de ses cheveux et chasser la poussière.
– Hâtons-nous Firn ! la repoussa Mathilde. Les lunes apparaissent, le dragon va chercher un endroit pour se cacher et dormir.
Gaspard, Mathilde et la Firn s’avancèrent dans le sous-bois, où un parfum de mousse régnait, tandis que le colonial restait en arrière pour protéger le véhicule. Alors qu’ils s’enfonçaient entre les arbres et que les lunes prenaient forme : Qamar ronde et Mounde en croissant ; Mathilde expliqua :
– Rond et Croissant : Amour ou Bataille au sang ! Personnellement, je n’imagine pas l’amour autrement qu’une grande bataille.
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Cécile Marsan
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Paige
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Mélanie Nadivanowar
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Sand Canavaggia
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