Fyctia
La mauvaise humeur de Boëldieu
Ce primedi, Gaspard accompagna sa tante à la carmonie, seul. Pierre avait « autre chose à faire ». Gaspard espérait secrètement voir Mathilde, mais elle non plus ne vint pas. Seuls le marquis et deux de ses fils, Alaard et Renaud, participèrent aux prières et aux lectures. Jamais office ne lui parût plus long, ni plus absurde. Gaspard s’extirpa du bâtiment dès que la cloche finale retentit. Il rentra silencieusement avec sa tante, après un bref détour par le cimetière pour arroser les fleurs.
Quand ils arrivèrent à la maison, deux voix d’hommes s’affrontaient dans la cuisine.
– Son père se sacrifie pour protéger le secret ! grognait l’un et il s’empresse d’aller le vendre ! Tout le village l’a vu !
On ne pouvait que reconnaître la voix de Boëldieu.
– Parce que tu ne vends jamais de meubles aux Sang-feu !
Cette fois, la réplique venait de Père grand et il était rare de l’entendre aussi furieux. Boëldieu répliqua.
– Ça n’a rien à voir ! Il ne revient pas chez moi demain. Ramasse l’argent sur la table !
– Arrête de hurler sous mon toit, se calma Père grand. Il est ici avec sa tante. Gaspard ! Entre s’il te plaît !
Gaspard s’avança vers la porte, tandis que tante Blanche prétexta qu’il était temps d’arroser ses rosiers. Boëldieu était rouge jusqu’aux oreilles. Devant lui, une poignée de frolins était éparpillée sur la table, comme s’il les avait jetés.
– Ah, tu es là, toi ? grogna-t-il. Tu ne reviens pas chez moi demain.
– Arrête de dire des foutaises ! le piqua Père grand. Tu ne peux plus dessiner et tu le sais ! La mission de Gaspard est importante. Marco en a besoin…
– Marco… grommela Boëldieu.
– Gaspard, ordonna le grand-père, sors donc la prune et trois godets.
– Qui est Marco ? demanda le jeune homme.
– Si on te demande, tu diras que tu sais pas ! bougonna Boëldieu.
Sans insister, Gaspard sortit trois petits verres, puis se dirigea vers l’armoire du salon afin de récupérer une bouteille d’eau-de-vie dans laquelle nageaient des prunes. La perspective de boire ce truc fort ne l’enchantait guère. Quand il rapporta le plateau sur la table, Père grand lui fit signe de s’asseoir.
– Bérénice, arrête d’écouter aux portes ! annonça Père grand à voix haute. Va plutôt nous chercher des pommes ! Tu viens manger avec nous ce midi.
Un bruit d’objets derrière la fenêtre signala que la jeune femme s’était exécutée.
– Elle aussi, elle compromet le secret, ragea Boëldieu. Je ne peux pas la garder chez-moi.
– Bois ! lança le vieil homme, et arrête d’écouter ta colère !
Boëldieu avala d’un trait la prune et tendit son verre à Gaspard. Père grand prit le temps de lever son verre et annonça :
– Aux morts !
Silencieusement, père Grand porta le verre à ses lèvres. Boëldieu marqua un temps, les yeux dans le vide, puis avala son verre. Gaspard toussa quand l’alcool lui brûla la gorge. Il se demanda si les dragons ressentaient la même chose quand ils crachaient leur jusdragon.
– La petite peut rester chez moi, expliqua Boëldieu. Je disais ça en l’air, elle est comme ma fille. Mais lui, il ne peut plus travailler pour moi. C’est trop risqué !
– Gaspard, demanda Père grand. Que fais-tu chez les Tinteplumes ?
– Je peins le portrait de leur fille. Ils veulent la marier. Ça me rapporte 100 frolins le portrait.
Gaspard n’avait pas décidé de peindre Mathilde pour l’argent, mais il avait senti que c’était ce qu’il fallait dire à Boëldieu. L’ébéniste hocha d’ailleurs la tête pour saluer la somme ainsi gagnée.
– Quelles questions t’ont-ils posées ? insista Père grand.
– Aucune, annonça Gaspard. On m’a demandé de me taire : la piétaille n’est pas autorisée à émettre un quelconque jugement à l’endroit des Sang-feu ou de leur infliger son bavardage… C’est ce qu’on m’a dit.
– Bien, souffla Père grand. Tu vois, Boëldieu, il ne fait rien de différent de ce que tu fais. Ce ne sont pas des meubles qu’il leur vend, mais des peintures. Lui interdirais-tu de faire ce que tu fais toi-même ?
– Il y a cet Alaard ! s’énerva Boëldieu. Il furète partout ! Il sait !
Le visage de Père grand se ferma. Boëldieu avait marqué un point.
– Et pourquoi irait-il s’intéresser à un gamin qui fait de la peinture ?
– Il lui a parlé l’autre jour au cimetière ! J’étais-là. J’ai tout vu.
– Il m’a demandé si j’avais écrit sur le mur ! protesta Gaspard.
– Calmez-vous ! ordonna Père grand. Gaspard, tu iras demain chez Boëldieu pour poursuivre le travail qu’il t’a confié. Ce travail est très important. Tu ne dois en parler à personne sous aucun prétexte. C’est compris ?
– Oui.
– Boëldieu ? appela Père grand.
L’ébéniste se contenta de bougonner un vague oui. Père grand fit signe à Gaspard de mettre le couvert, la faïence, et d’ajouter deux invités à table. Bérénice et la tante Blanche revinrent avec Pierre et pour la première fois depuis très longtemps, le repas fut agréable. Bérénice racontait les commérages du village et Boëldieu ajoutait à chaque fois sa touche. À mesure que l’alcool s’accumulait dans ses veines, l’ébéniste devenait plus joyeux. Dans un moment d’euphorie, il leva son verre en annonçant :
– À la santé du meilleur des dessinateurs !
Le regard que Père grand lui jeta le fit reculer et Boëldieu ajouta :
– Et au meilleur des forgerons de la ville ! Dignes petits-fils du maître horloger.
Pierre tendit son verre, flatté, et Gaspard fit de même, suivi par les femmes. La tante Blanche intervint à son tour pour empêcher de nouveaux toasts en proposant :
– Qui veut goûter ma tarte aux pommes ?
– Avec joie et avec un peu de prune ! s’enthousiasma Boëldieu.
– Je vais faire le café maman, annonça Pierre en se précipitant vers la cafetière en métal.
Le soleil de samon brillait de tous ses feux. C’était un beau primedi comme il y en avait trop peu. En posant un café devant son cousin, Pierre demanda :
– Dis donc ! Ça fait une semaine que tu es là et nous n’avons pas passé un moment ensemble. Cet après-midi, on va marcher au Chastain ? Rien que toi et moi. Ça te dit ?
– Bien sûr, répondit Gaspard.
Le visage de Bérénice se détourna rapidement, trop rapidement et si Pierre avait formulé sa demande avec chaleur, Gaspard n’était pas tranquille.
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LouiseLysambre
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