Fyctia
Le château en bord de Lyre.
Avant la restauration de la monarchie, la demeure des Tinteplumes servait de mairie à la ville de Gué sur Lyre. Gaspard n’avait pas eu l’occasion d’y venir depuis plusieurs années. Il se rappelait un souvenir vieux de onze ans, un soir de feu d’artifice, il avait joué avec son cousin à chercher les écureuils et admirer les cygnes qui nageaient dans les douves en contrebas. Un long mur de grès surmonté d’une grille cachait dorénavant le parc aux habitants. Le ciel étalait de tristes nuages, assombrissant encore cette frontière.
L’unique portail était encadré de deux guérites ornées des salamandres royales. Deux soldats au teint basané et vêtus d’uniformes askarites, un des corps de l’armée coloniale, montaient la garde avec fusil et baïonnettes. Gaspard leur présenta la lettre que lui avait remise Mathilde. Un des soldats saisit le papier, puis revint accompagné par un Gobelin.
C’était la seconde fois que Gaspard croisait un homme à la peau verte. De petite taille, le Gobelin était aussi grand qu’un Sang-feu. On prétendait que le Sauveur avait été, lui aussi, un Gobelin, mais les « peaux vertes » avaient mauvaise réputation. On les accusait d’être des parjures. Un jour, un homme du village était venu à la maison et avait commencé à parler de la trahison des Gobelins durant la « guerre de la honte » et Père grand l’avait arrêté net :
– L’un d’eux partage la fosse de mes fils.
– Oh, je parlais en général, s’était excusé l’homme, il y a des exceptions…
Celui que Gaspard suivait restait silencieux. Il emmena le jeune homme sur un chemin de cailloutis jaunes et blancs, au milieu d’une haie de buis taillé. Devant eux, il y avait l’ancienne mairie, un bâtiment de pierre blanche, avec de grandes fenêtres et un toit arrondi d’ardoise bleue. Sur la droite un second bâtiment blanc et long s’étendait. On l’appelait autrefois l’orangerie, car il abritait des pots d’orangers qui normalement ne poussent pas dans ces contrées. Gaspard se demandait où dormait Mathilde, avant de chasser cette question de son esprit.
Et puis, Gaspard vit la draquerie, immense, dominant les sapins et les chênes. Celle des chevaliers du Guet était tombée en ruine depuis bien longtemps, alors les Tinteplume en avaient dressé une en bois. Elle s’élevait à une vingtaine de mètres au-dessus du sol et ressemblait à une tour des temps anciens. Son emprise barrait le fond du parc et cachait la petite forêt qui se cachait derrière. Le Gobelin fit pénétrer Gaspard dans l’ancienne mairie et lui indiqua un banc de bois sur le côté.
– Attendez ici ! lança le Gobelin en faisant claquer sa langue. Le chambellan viendra vous chercher.
L’entrée était austère, un sol de carrelage rouge, pas de meubles en dehors du banc, une quintefeuille usée sur un angle du mur et un blason représentant des cloches gueules sur champs d’argent. Sous le blason, une devise avait été ajoutée :
« Quand tinte la Plume : le courage n’attend pas ! »
Gaspard ne comprenait pas le sens de cette formule. Il sursauta quand une vieille femme lui fit signe de le suivre. Elle l’entraîna à travers un couloir aux portes de bois blanches. Quand ils arrivèrent dans une grande pièce donnant sur la Lyre, il aperçut les seuls meubles qui composaient la pièce : un chevalet installé à son intention, une chaise de bois installée à quelques mètres de lui. La vieille femme lui indiqua sa place et lui expliqua :
– Vous limiterez vos échanges avec Mademoiselle aux seules demandes en lien avec les besoins de la peinture. Pour le reste, vous serez tenu au silence. La piétaille n’est pas autorisée à émettre un quelconque jugement à l’endroit des Sang-feu ou de leur infliger son bavardage.
Gaspard acquiesça et s’installa. Mathilde venait de faire son entrée en costume des grands jours. Ses cheveux, couleur palissandre, avaient été coiffés avec soin pour mettre en avant ses grands yeux et son visage angélique. On lui avait imposé un collier couleur émeraude et une robe à crinoline de la même couleur. Elle s’installa comme si le peintre n’avait pas été là et Gaspard commença à réaliser un premier jet. Qu’elle était belle !
Après plusieurs minutes, bercées par le seul grattement du crayon, le jeune homme indiqua.
– J’ai terminé. À qui faut-il que je montre le croquis ?
Mathilde le regarda les yeux embués de larmes. La vieille femme qui se tenait sur le côté frappa à la porte. Une femme drapée de noir, à la mâchoire serrée et ressemblant à Mathilde, entra. Gaspard reconnut la marquise. Elle s’approcha de lui et il s'inclina respectueusement.
– Ce regard est triste à mourir, souffla la femme. Ma fille ne vous ai-je appris à cacher vos sentiments ? Un inconnu arrive et vous perce à jour !
Se tournant vers Gaspard, la marquise constata :
– Jeune homme, parfois il faut voir la vérité, là où elle ne semble pas être. Faîtes à ma fille un visage qui donne envie de l’épouser.
Gaspard s’inclina, puis échangea un bref regard avec Mathilde. Il aurait voulu lui dire combien il était désolé de tout cela et désolé de ce qu’il allait devoir faire. Elle ne cilla pas. Reprenant une feuille, il posa son crayon et se rappela ce premier portrait qu’il avait réalisé d’elle. Il n’y avait alors aucune tristesse dans son regard quand elle était descendue de son dragon pour se baigner. Lorsqu’il eut terminé, la vieille rappela la marquise.
– Vous avez presque saisi le caractère de ma fille, jeune homme, constata la femme. Cela étant, je ne souhaite pas que ses prétendants puissent être effrayés en s’imaginant qu’ils épouseront une dragonne. Veuillez adoucir ce visage, s’il vous plaît ? Un peu de modestie ne lui ferait pas de mal.
Gaspard s’inclina, déposa une nouvelle feuille devant lui, mais se garda de déchirer la version refusée. Il exécuta le portrait tel que la mère de Mathilde l’avait commandé. Il haïssait tellement ce portrait et l’image trompeuse qu’il renvoyait de Mathilde, qu’il fut heureux de le tendre.
– On s’en accommodera, indiqua la marquise. Revenez la semaine prochaine à la même heure avec vos pinceaux. Vous exécuterez le premier portrait de ma fille.
– Si votre Grâce le souhaite, annonça Gaspard, je peux réaliser le portrait à partir de mon croquis, afin d’épargner à votre fille de longues séances de pose.
– Je tiens à ce que ma fille pose afin qu’elle comprenne sa place. La souffrance est un acte de Foi.
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Zelda Jane
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LuizEsc
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Nicolas Bonin
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Alynea Taurm
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