Fyctia
La lettre de Gaspard
– Elle ne viendra pas ! annonça Bérénice.
– Bon sang ! Tu m’as fait peur ! répliqua Gaspard en sursautant. Qu’est-ce que tu fais ici ?
Gaspard était installé sous son habituel saule pleureur, à l’endroit du Chastain, où il avait rencontré Mathilde pour la première fois.
– Je viens te voir pardi ! C’est le seul endroit où te trouver dès que tu sors de chez Boëldieu.
– C’est calme.
– Nous sommes le jour d’Ishtar, se moqua Bérénice, tu n’es pas obligé d’y revenir, puisque Boëldieu est en train de prendre la plus grosse cuite de sa semaine, à moins que tu n’attendes qu’un dragon tombe du ciel.
Bérénice ne se trompait pas. Tous les soirs, après avoir fini de dessiner pour l’ébéniste, il attendait patiemment en dessinant, avant de rentrer aider tante Blanche pour le dîner. Bérénice avait raison. Personne n’était venu le voir.
– Alors, il te fait dessiner un planeur, affirma Bérénice.
– Tu sais très bien que je n’ai pas le droit de te le dire, répliqua Gaspard.
– Il ne veut pas que tu en parles à ton cousin parce qu’il ne veut pas que Lola sache.
– C’est la femme rousse qui tient le Père tranquille ?
– Oui, tu la connais ?
– Je l’ai aperçue primedi. Son visage m’est familier. Je l’ai déjà vue quelque part. Je ne sais plus où, ni quand. C’était il y a longtemps. Elle n’est pas du village ?
– Elle est arrivée à l’Imbolque… Bon, sinon, tu me dis ce qu’il te fait dessiner ?
Gaspard regarda Bérénice et son visage de fouine rieuse. Il lui tendit son carnet où quelques esquisses hâtivement griffonnées avaient servi de brouillon.
– On dirait des rouages et des tubes… remarqua-t-elle en laissant traîner sa voix comme si elle allait dire autre chose.
– Il a démonté quelque chose et il me le fait dessiner. Pour l’instant, il me donne uniquement des pièces que je ne peux pas reconnaître, où qui pourraient servir à beaucoup de choses.
– En tout cas, tu dessines bien, souffla Bérénice en posant sa tête contre Gaspard. Tu m’apprendras un jour ?
Une ombre passa au-dessus d’eux. Deux gigantesques ailes battaient l’air jusqu’à venir se poser au sol : Manoarc’h ! Gaspard reconnut le dragon au plumage noir et aux yeux mordorés. Il ne pouvait l’oublier. L’animal étendit son cou par terre pour laisser descendre une dracolière, puis se redressa jusqu’à retrouver la taille d’une girafe.
La dracolière marcha droit vers Gaspard et, sans prêter attention à Bérénice, elle s’écria :
– Gaspard Saint-Maur, tu mériterais que mon dragon te cuise !
– Bonjour, l’accueillit Gaspard.
– Je ne plaisante pas, annonça-t-elle froidement. Ce que tu as fait est une trahison !
Elle fulminait, les dents serrées et le regard furieux.
– Qu’ai-je donc fait ? s’étonna le jeune homme.
Mathilde dégaina une lettre à l’écriture soignée, tandis que Bérénice étouffait un rire. La dracolière se mit alors à lire d’une voix ampoulée :
– Monseigneur le marquis de Tinteplume de la Marck, veuillez par la présente recevoir ma proposition pour répondre à la requête de votre Dame…
– En quoi est-ce une trahison ? se défendit Gaspard. Vous craignez que je ne vous embellisse encore ?
– Bien sûr que je le crains ! s’énerva Mathilde. Ce portrait, c’est la clé de ma future prison.
– Je ne comprends pas, l’arrêta Gaspard. Quel est le problème ? Votre famille n’est pas intéressée ?
Mathilde remarqua la présence de Bérénice. Elle se tourna alors vers elle. Un regard entendu entre les deux jeunes femmes signala qu’elles se comprenaient. Gaspard, lui, ne voyait pas ce qui mettait Mathilde hors d’elle.
– Bien sûr qu’ils ont accepté ton offre ! pesta Mathilde. Faire travailler un « gars du pays », mon père est ravi ! Tu es attendu demain. Ils te paieront 100 frolins par portrait. Ma mère va réaliser une belle économie !
– Par portrait ? Il y en a plusieurs ?
– Oui ! s’agaça Mathilde. Oui ! Il y en a plusieurs ! Douze même ! C’est le nombre de mes prétendants !
– Douze, c’est beaucoup. Je ne suis pas étonné…
– Tais-toi ! explosa Mathilde. Tais-toi ou je fais en sorte de donner du charbon à manger à mon dragon la prochaine fois que nous nous croiserons !
Après avoir poussé la lettre dans les mains de Gaspard, Mathilde se retourna et marcha droit sur son dragon. En grimpant sur la selle, elle provoqua un gémissement de l’animal, qui espérait encore se gaver de feuilles. S’attachant avec soin, elle se retourna une dernière fois :
– Si on te demande, c’est une Gobeline qui te l’a apportée.
Avec puissance, le dragon bondit en poussant sur ses pattes arrière et ses ailes utilisées comme des bras. Une fois en l’air, il déploya la voilure de celles-ci pour planer quelques mètres et trouver un courant ascendant. Lorsque l’animal se fut éloigné au-dessus du fleuve, il tourna vers la rive sud, en direction de la forêt d’Elaune.
– De tous les nigauds que je connaisse, Gaspard Saint-Maur, s’amusa Bérénice, je crois que ton empotement frise le génie.
– De quoi parles-tu ? répliqua le garçon.
– Tu dois être le seul idiot, suffisamment aveugle pour aider à marier celle qu’il aime !
– J’ai uniquement répondu à une demande. Je pensais qu’elle souhaitait un portrait.
– Ou tu n’y as pas pensé, sourit Bérénice. Tu espérais juste passer un moment avec la belle. Ne t’est-il pas venu à l’esprit que connaissant tes talents de dessinateur, elle serait venue te trouver directement, si elle était intéressée ?
Cette remarque sonna Gaspard, qui baissa alors la tête :
– Tu sais très bien qu’elle n’est pas intéressée, souffla-t-il. Comment une Sang-feu peut-elle s’intéresser à un fils de la terre ?
– Allez, joue les martyrs, à présent. Pleure sur ton sort, mais ne compte pas sur moi pour t’accompagner. Bonne soirée !
Bérénice tint parole en s’éloignant, sans un regard vers son ami. Gaspard Saint-Maur retrouva sa place au pied du saule pleureur. Le vent du soir lui sembla soudain bien plus frais qu’à l’accoutumée, comme si la Lyre avait décidé de lui jeter un sort. Pour chasser le sentiment de honte qui l’étouffait de toute part, il saisit son carnet de dessin pour regarder les esquisses réalisées depuis le début de la semaine. Une larme coula le long de la joue de Gaspard. Dessiner des plans, voilà ce qu’il aimait faire. Pourquoi s’était-il entêté à vouloir dessiner un portrait ?
– Que me fais-tu dessiner Boëldieu ? Pourquoi tant de précautions ? Qu’est-ce qu’un ébéniste peut bien chercher à cacher aux yeux du monde ?
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Zelda Jane
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LuizEsc
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Alynea Taurm
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