Fyctia
Une voix au coeur du pentacre.
Le prénom surgit et réveilla Gaspard de la torpeur de l’office. Il avait immédiatement tendu l’oreille, pas certain d’avoir bien entendu. Était-ce sa dracolière qu’on appelait pour lire la prière à l’Absent ? La famille de Tinteplume pouvait céder la lecture à des paysans. C’était une pratique rare mais considérée comme charitable.
Quand il était enfant, comme tous les enfants, Gaspard écoutait avec terreur le récit des malheurs de l’humanité, frappée par les cinq archanges au temps de l’Ignorance.
Scandés en langue ancienne, ils semblaient recéler une puissante malédiction. En grandissant, les mythes de la religion de Shad avaient perdu de leur force. Gaspard connaissait par cœur le cérémonial, les prières que la foule répétait sur commande et la magie s’était dissipée.
En apercevant la dracolière, il avait espéré pouvoir l’admirer durant la carmonie, mais lorsque le prêtre fit s’asseoir la foule, elle se retrouva cachée à ses yeux. Gaspard avait à peine eut le temps d’apercevoir la femme vêtue de noir qui se tenait à côté d’elle. Était-ce sa mère ?
Les hommes de la famille Tinteplume se tenaient au premier rang. Pour rappeler leur ordre, les quatre hommes serraient leurs boutefeux comme des lances. L’objet alliant l’acier noir et le bois sombre et précieux rappelait que les Sang feu, comme les archanges, pouvaient brûler les pêcheurs depuis les cieux.
Tout de soie et de pourpre vêtu, le marquis de Tinteplume se tenait au centre. À ses côtés, Gaspard reconnut Alaard, qu’il venait de croiser au cimetière. Ce devait être l’aîné, car il se plaçait à la gauche de son père. Il portait un lourd manteau de fourrure blanche, marque de deuil. Le second fils, plus jeune, celui qui lui avait donné une pièce sur le Chastain, s’appelait Renaud et portait les couleurs vives de l’uniforme de l’armée du Méridiant. Quant au troisième frère, il avait l’âge de Bérénice et portait le costume traditionnel des lycéens.
À part la famille Tinteplume et le prêtre, trois familles de Sang-feu occupaient les rangs d’honneur dans le pentacre. Ces familles étaient de rang inférieur, des cavaliers. Aucun des serviteurs, Gobeline ou Colonial, que Gaspard avait aperçus dans la voiture la veille, n’étaient présents. Ils avaient des religions différentes, qui les éloignaient du pentacre.
– Mathilde Tinteplume de la Marck, annonça le prêtre d’une voix solennelle, nous lirez-vous l’oraison des disparus ?
La jeune femme s’avança vers l’autel, s’agenouilla devant le Sauveur et prit le livre des mains du prélat. Gaspard se redressa pour mieux la voir. Mathilde, elle s’appelait Mathilde. Ses serviteurs l'avaient apprêtée avec soin, velours et soie noire. N’aurait-elle pas préféré revêtir le lourd manteau des dracoliers pour filer au vent ? Elle s’installa devant le pupitre et saisit le bâton de cuivre pour suivre le texte.
– Ton amour vaut mieux que le vin, entama Mathilde. Entraîne-moi après toi !
Alors qu’elle reposait le livre, son regard croisa celui de Gaspard et le temps disparut. Quand le jeune homme reprit ses esprits, le marquis de Tinteplume discourait. C’était inhabituel, mais possible, puisque le “protecteur des cieux” avait le droit de demander au prêtre la permission d’exécuter le Sermon. Membre du Sénat, il avait une voix puissante et l’habitude de discourir en public.
– Il y a cinq ans, entama le marquis, ma famille et moi recevions Gué sur Lyre des mains du Roi. Longtemps terre des chevaliers du Guet, ce fief était en déshérence, fruit de l’incurie des parjures qui avaient conduit le pays dans la guerre funeste.
Le souvenir de cette nuit de terreur revint à la mémoire de Gaspard. Il voyait Pierre courir en tenant la main de Bérénice. Ils essayaient de suivre tante Blanche dans la forêt d’Elaune, en évitant le croche-pied des racines. Le tonnerre des obus lui avait glacé le sang, et l’obscurité de la forêt ne le rassurait pas. En passant la Lyre, ils avaient trouvé un campement de réfugiés. Là, une fée rousse en costume de théâtre lui avait offert un chocolat chaud.
– Il n’y a pas un jour où je ne pense aux citronniers en fleurs des terres de la Marck et au souffle des vents du Sud, poursuivit le marquis. Je ne regrette pas d’être venu auprès de vous. Je ne regrette pas d’avoir apporté notre cloche familiale, de l’avoir installée au-dessus de cette ville. Nous avons fait nôtre les rives de la Lyre et je bois plus souvent du vin blanc du val que du rosé de l’Estaque ! Je suis un homme de parole et de traditions, mais je suis aussi un homme de modernité, comme notre bon roi, Galaad le XX. Il y a trois ans, j’ai achevé la gare pour accueillir le train de Lucotte, permettant à nos maraîchers de vendre leurs produits sur les étals de la capitale. Cette année, pour célébrer notre cinquième anniversaire, je souhaite offrir au village, à l’occasion des feux de la Saint-Elme, une fête qui verra se mêler la tradition et le progrès. Mes fils et moi vous présenterons nos dragons, tandis que des invités feront voler des engins à moteur, que l’on appelle des avions.
Un murmure accueillit les paroles du marquis. Il y avait peu de distraction dans les campagnes et tout le monde se réjouissait d’avance de voir voler des dragons et ces fameux “avions”, dont parlait la presse. Gaspard, lui, était soulagé d’apprendre que les avions ne viendraient pas célébrer le mariage de Mathilde.
– Cette fête nous rappelle la valeur de la Paix, mère de la Concorde et de l’Harmonie ! Je vous le dis aujourd’hui : je vous donne la Paix !
– Recevez la nôtre et soyez bénis ! répliqua l’Assemblée d’une seule voix.
– Voilà, qui est Bien, conclut le marquis en suivant le cérémonial. La Roue tourne. Je vous libère.
La femme en noir se redressa et avant que la foule ne s’éparpille, elle toussa, puis annonça :
– Chers amis, puisque nous sommes rassemblés en ce lieu consacré, j’aimerais formuler une demande. Nous recherchons un peintre pour dresser le portrait de notre fille. Ainsi que mon époux vient de vous le préciser, nous faisons nôtre cette ville et il est normal que ce soit un “pays” qui aide à immortaliser le visage de mon unique fille Mathilde. Nous offrons cent frolins le portrait !
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