Fyctia
Le cimetière triste
Il y a des pays où les cimetières sont colorés et où la mort ressemble à une promesse de renaissance ou de vie éternelle. Sur les bords de la Lyre, les cimetières sont tristes comme le calcaire. Même par un soleil d’été, les quintefeuilles de marbre sont lugubres. Derrière la tante Blanche, Gaspard et Pierre ressemblaient à deux petits garçons, intimidés et endimanchés.
Après s’être arrêtés sur la tombe familiale où reposent Mère-grand et la mère de Gaspard, les deux cousins suivirent le chemin qui conduit à la fosse où sont enterrés leurs deux pères. En voyant la date de mort de sa mère, gravée en dorure, Gaspard eut son éternel pincement de cœur. Elle avait pour date de décès sa propre date de naissance et il était soulagé de ne pas s’attarder sur ce lieu. Ils dépassèrent la quintefeuille cernée des oriflammes à salamandres.
À la demande de leur grand-père, les deux garçons avaient apporté deux bouquets. Pierre portait le bouquet de résédas violets, tandis que Gaspard tenait les roses rouges.
La fosse était située sur le bord du cimetière. Elle n’avait ni marbre, ni quintefeuille, juste une dalle de grès que la rosée matinale rendait luisante. Tante Blanche fit signe aux garçons de poser leurs bouquets, puis déposa le sien, une poignée de tulipes jaunes. Gaspard comprit aussitôt ce que les couleurs des fleurs représentaient. Ce rituel, ils l’avaient répété, à chaque anniversaire, puis, quand Gaspard était parti pour Saint-Florent, le premier primedi de son retour de vacances, juste avant la Carmonie.
La tante Blanche prit les mains des deux garçons de ses petites mains parcheminées. Elle avait 50 ans, son visage était usé par le travail et le chagrin.
– Vous êtes en colère tous les deux, annonça-t-elle. Vous ne savez pas pourquoi, mais vous êtes en colère. Avant de nous rendre au pentacre, je vous demande de faire la Paix. Bénissez-vous !
Pierre baissa sa grosse tête rougeaude, puis il prit de sa main libre celle de son cousin. Gaspard l’imita, les yeux humides.
– Je te donne la Paix, murmura Pierre.
– Reçois la mienne et sois béni, ajouta Gaspard, en suivant le rituel.
– C’est ce que vos pères auraient voulu, soupira la tante Blanche. N’oubliez pas qu’ils sont morts côte à côte.
Gaspard sentit une boule lui serrer la gorge. Il ne savait presque rien de son père et de son oncle. On ne parlait jamais d’eux. Ils étaient morts quand il avait sept ans et tout ce dont il se souvenait, c’était d’avoir tenu la main de Pierre pour que celui-ci ne pleure pas. À cause de la guerre, il n’avait pas beaucoup de souvenirs de son père. Il se souvenait uniquement d’un train par une matinée grise, mais était-il sûr que ce n’était pas un de ces souvenirs réinventés ?
– C’est vous qui avez posé ces bouquets ici ?
À quelques mètres d’eux, un petit homme à la voix autoritaire venait d’interrompre leur recueillement et montrait les trois bouquets rouge, jaune et violet. À sa physionomie, svelte et de petite taille, il n’était pas difficile d’imaginer à quelle caste il appartenait. Quelque chose dans son visage rappela à Gaspard celui de sa belle. La tante Blanche s’interposa entre l’homme et ses deux garçons, elle répliqua d’une voix tout aussi autoritaire.
– Ces fleurs sont à nos morts ! C’étaient leurs fleurs préférées.
– Ces couleurs… grogna l’homme.
– … sont celles qu’ils aimaient Alaard de Tinteplume, poursuivit la tante Blanche. Seriez-vous prêt à invoquer le courroux le jour du Sauveur ? Nous sommes ici dans la Paix de Shad.
– Vous avez raison, Madame, s’excusa l’homme. Je me suis mépris. Je vous donne la Paix.
– Recevez la nôtre et soyez béni ! répliqua la tante, froidement.
Tante Blanche tendit une main que l’homme saisit mollement. Il s’inclina légèrement, regarda les deux garçons puis tourna les talons. Pierre avait les dents tellement serrées, qu’on pouvait les entendre grincer. Sa mère lui prit les mains et silencieusement, elle le contraint à se calmer.
– Que fait-il là ? Pourquoi vient-il dans notre cimetière ? grognait Pierre.
– Les castes s’effacent dans le cercueil, murmura la tante Blanche, il est venu prier quelqu’un.
– Que ces doryphores aillent manger les patates dans leur pays et cessent de nous tondre !
– Il m’a donné la Paix et je l’ai acceptée, rappela la tante Blanche.
– Pourquoi dis-tu qu’ils ne sont pas de ce pays ? demanda Gaspard. Ces Sang-feu sont étrangers ?
– Tu étais déjà à Saint-Florent quand ils ont pris ce fief il y a cinq ans, expliqua la tante Blanche. Les Tinteplume viennent du Sud. C’est le roi qui leur a confié la succession des chevaliers du Guet. Le précédent samon, ils étaient repartis sur leurs terres, comme les autres années. Va savoir pourquoi ils sont restés cette année ?
– Les chevaliers du Guet ? s’étonna Gaspard. Ce n’est pas une légende ?
– Non cousin, le chevalier du Guet n’est pas une légende, s’exalta Pierre. C’est un espoir !
Gaspard eut l'impression qu’il avait retrouvé le presque frère qui lui expliquait la meilleure manière de cueillir les cerises les plus noires, sans faire craquer les branches.
La cloche de l’office appela les fidèles au pentacre. Gaspard lui trouva un son différent de ses souvenirs. Elle semblait plus légère. En se retournant une dernière fois, il aperçut la fosse de leurs pères et, pour la première fois de sa vie, se demanda pourquoi ils ne reposaient pas dans le caveau familial. La tante Blanche attrapa ses deux garçons par le bras, en souriant.
Si le cimetière était triste, le pentacre était somptueux. La tour qui abritait la cloche étincelait, neuve. Les cinq murs de grès étaient ornés de statues rappelant la vie des survivants au temps du Grand sauvetage. La coupole de bronze qui avait verdi depuis longtemps, était décorée de quintefeuilles ciselées finement. On entrait dans le bâtiment par une lourde porte de bois pour gagner une des cinq rangées de sièges orientés le centre du pentacre.
Chaque rangée était placée sous la protection d’un des archanges et l’autel central était surmonté d’une quintefeuille d’où surgissait la statue en bois du Sauveur. Gaspard avait toujours connu ce bâtiment. Il savait tous les détails des vitraux et le défaut de certains carrelages. Il quitta sa tante pour s’installer avec les pénitents devant la statue de l’archange Zahav chevauchant un dragon. Son cousin suivit sa mère et se plaça sous la balance de l’archange Dan.
Le prêtre déposa le couteau et le pain sur l’autel et des enfants ajoutèrent des serviettes. Derrière lui, privilège des nobles, puisqu’il leur tournait le dos durant l’office, se tenait la famille Tinteplume en grand apparat. C’est alors que le regard de Gaspard croisa celui de l’unique fille de la famille, un regard qu’il connaissait pour l’avoir dessiné.
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