Fyctia
Une nuit sans sommeil
Le sommeil de Gaspard était resté prisonnier du Chastain. Il tournait sur lui-même, les draps humides de sueur. La nuit était si chaude que les volets ouverts laissaient entrer un air torride. L’esprit de Gaspard était déchiré. Une part de lui ne voulait pas dormir et continuait d’errer sous le saule pleureur en quête du retour de la belle au dragon, quand l’autre partie de son âme tentait des raisonnements alambiqués pour éteindre l’incendie. Il se livrait à un duel intérieur, tandis que la dracolière se baignait dans la lyre.
– Les sang-feu ne se mélangent pas avec la piétaille ! disait la voix de la Raison.
– Les privilèges ont été abolis ! s’enthousiasmait l’autre Gaspard.
– Mais la monarchie est de retour.
– Rien n’est jamais acquis à l’Homme…
La bouche sèche, Gaspard finit par se lever pour boire de l’eau et remarqua la silhouette qui se tenait devant l’embrasure de la fenêtre. Bérénice, tel un chat, venait d’escalader le lierre pour arriver dans sa chambre.
– Que fais-tu là ? demanda Gaspard à voix basse.
– Je suis venue te voir. Tu aimais ça quand nous étions enfants.
– Mais nous ne sommes plus enfants… et je dormais.
– J’ai l’impression que tu n’avais pas tellement envie de dormir, répliqua Bérénice.
Bérénice vint s’allonger et posa sa tête sur le torse de Gaspard. A demi-assis, le jeune homme devait détourner le regard pour ne pas avoir une vue plongeante sur son décolleté. Malgré ses cheveux en bataille et sa robe élimée, Bérénice sentait toujours bon. Elle capturait le jasmin de nuit pour s’en faire un parfum.
– Je suis inquiète, dit-elle. À cause de cette femme.
– Une femme ? s’étonna Gaspard, quelle femme ?
– Calme-toi, je ne parle pas des femmes de la haute. Je pense à celle que fréquente Pierre.
– Pierre ? Une femme ? De quoi parles-tu ?
Gaspard s’était redressé, piqué par Bérénice, il saisit la remarque sur Pierre pour ne pas s’attarder sur l’évocation d’une « haute société ». La jeune femme s’assit à son tour. Elle souriait fièrement sans que Gaspard ne sache pourquoi.
– La femme que Pierre fréquente au Père tranquille tous les soirs, expliqua-t-elle. Tu ne le savais pas ?
– Mais parle à la fin ! Dis-m’en plus ? s’impatienta Gaspard.
– Chut ! intima-t-elle. Pierre ne dort pas. Rien qu’à votre manière de ronfler, je sais qui dort et qui ne dort pas. Tu ne reconnais plus les ronflements dans ta maison. Écoute, là, c’est Père grand, là c’est ta tante. Pierre ronfle de manière plus sonore… Pourquoi crois-tu que je suis montée ?
– Je pourrais tout aussi bien te jeter par la fenêtre pour que tu retournes dormir chez toi. Je ne suis pas sûr que ma tante…
Bérénice posa son doigt sur les lèvres de Gaspard. Un moment, les deux restèrent figés alors qu’un craquement de bois se faisait entendre. Après quelques instants, d’un silence gêné, Gaspard voulut dire quelque chose, mais elle reposa son index sur les lèvres.
Du bruit se faisait entendre dans la cuisine au rez-de-chaussée. Bérénice fit signe à Gaspard de la suivre et les deux se dirigèrent vers la fenêtre qui donnait sur la petite cour et le jardin. Une silhouette sortit sur le perron de la cuisine, remonta l’allée de cailloux, puis essaya d’amortir le crissement de la grille en métal en l’ouvrant.
– Tu vois… murmura Bérénice. Il va la rejoindre.
– Qui est cette femme ? souffla Gaspard. Père grand est au courant ?
– Ton grand-père sait bien plus de choses qu’il ne veut bien le dire, mais il met un point d’honneur à ne pas intervenir dans les affaires de ta tante. C’est son fils.
– Bon, c’est quoi, une histoire de fesses ? s’impatientait Gaspard. Il voit une femme mariée ?
– Comme tu y vas ! rigola Bérénice. Cette femme parle politique avec la bande à Pierre et elle a un sacré ascendant sur eux. Ils la suivraient jusqu’au bout du monde.
– Comment s’appelle-t-elle ? Qui est-elle ?
– J’ignore son véritable nom. Elle se fait appeler Lola. Elle est arrivée au village, il y a six mois. Au début, elle se contentait de servir à boire en causant, et puis, elle a invité les garçons à se réunir à l’abri des oreilles indiscrètes. Cela étant, ton cousin n’est pas insensible à ses charmes…
Gaspard ne connaissait pas l’intérieur du Père tranquille. Il n’y était allé qu’une seule fois pour aider Père grand à apporter une horloge comtoise, mais il avait alors 10 ans et on l’avait laissé dans la petite cuisine sur le côté. Il avait du mal à imaginer la scène et finit par lâcher :
– Je ne suis pas la mère de Pierre et ce qu’il fait de sa vie ne me regarde pas. Je n’aimerais pas qu’on s’immisce dans mes affaires privées.
– Hé bien, annonça Bérénice en lui tournant le dos, sois fier de toi. C’est rare d’assumer son nombrilisme comme tu le fais.
La jeune femme s’avança vers le lit et s’y installa, en écartant les draps mouillés. Gaspard retint sa main.
– Je ne suis pas nombriliste… et tu ne peux pas dormir dans mon lit ! Nous n’avons plus six ans !
– Tu parles du passé, mais c’est toi qui décides que tout soit fini. Où est le Gaspard que je connaissais ? Celui-là, n’aurait pas laissé son cousin aller seul dans un lieu de débauche.
– C’est quoi cette histoire de plan pour Boëldieu ? esquiva Gaspard.
– C’est bien ce que je disais, il n’y a que ton nombril qui t’intéresse. C’est pour dessiner le plan d’un planeur. Boëldieu veut présenter un prototype lors d’une fête aérienne qui doit avoir lieu prochainement.
– Une fête aérienne ? la pressa le jeune homme enthousiaste.
– Le marquis de Tinteplume veut donner une fête pour le mariage de sa fille.
– Le marquis de Tinteplume ? Sa fille ? s’étonna Gaspard.
– Ne fais pas comme si tu ne la connaissais pas. Je t’ai vu au Chastain, lui tirer le portrait.
– C’était la fille du marquis de Tinteplume ? Tu es sûre ?
– Ah te voilà bien intéressé à présent ! coupa Bérénice avec dédain. Finalement, je crois que je vais rentrer chez moi. Cette conversation ne me convient plus.
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Zelda Jane
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