Fyctia
La maison de Père grand
En rentrant chez son grand-père, Gaspard ne savait pas s’il était heureux ou malheureux. Une part de lui voulait s’envoler avec les dragons, tandis que l’autre le ramenait à la terre sur laquelle étaient posés ses pieds. Sur le carnet, quelques reliefs gravés par son trait appuyé prouvaient qu’il n’avait pas rêvé. Il avait rencontré la plus belle femme de cette ville, de ce monde, de l’univers.
– Tu rêves en marchant Gaspard ? l’interpella une voix.
Bérénice avait changé en un an. Du haut de ses quinze ans, elle était devenue une femme. Elle s’accrochait cependant à sa robe abîmée et ses cheveux noirs en bataille qui lui donnaient toujours un air de sauvageonne. Comme Gaspard ne décrochait pas un mot, encore à ses rêveries, elle poursuivit la conversation en s’imposant à ses côtés.
– Ta tante m’a invitée pour le dîner, expliqua Bérénice. Elle a dit que ça te ferait plaisir de me voir, mais apparemment, elle a dû se tromper. Tu n’as pas l’air très heureux.
– Que racontes-tu ? s’agaça Gaspard. Bien sûr que je suis content de te voir ! Pourquoi ne le serais-je pas ?
– C’est que Môsieur est bientôt un maître ! Qu’aurait-il à faire d’une sauvageonne…
– Arrête ton cirque ! répliqua Gaspard. D’une, tu sais lire mieux que beaucoup dans ce village et deux, Père grand a proposé de payer tes études à l’École normale de jeunes filles. Toi aussi, tu peux être une maîtresse ! Et de trois, ça ne change rien…
– Que ferait ta tante sans moi ? minauda Bérénice. Ce n’est pas ton bon à rien de cousin qui va l’aider. Ni toi d’ailleurs ! Tu faisais quoi ? Tu cherchais l’écrevisse sans me le dire ?
– J’ai passé l’âge des écrevisses.
– Oh, ça va. Continue ta route tout seul.
– Bérénice !
Sans lui laisser le temps de l’arrêter, elle s’était élancée en courant, laissant Gaspard planté sur le trottoir. La maison blanche aux volets verts se tenait devant lui. Il fit grincer le portail de fer, se dirigea vers le puits pour actionner la pompe mécanique et se laver les mains avant de faire crisser les cailloutis d’un pas assuré. On entrait directement dans la cuisine de la tante Blanche où Père grand épluchait des patates, tandis que sa bru laissait des oignons caraméliser dans du vin.
– Ah Gaspard, lança-t-elle en lui souriant. J’ai reprisé ton vieux costume noir pour demain, si tu veux.
– Si je veux quoi ? demanda Gaspard.
Un coup d’œil entendu de la tante vers Père grand signifiait qu’ils avaient dû en parler entre eux. Père grand ne desserra pas les mâchoires. Il n’était pas d’accord, mais il n'empêchait jamais sa bru de s’exprimer ou de prendre des initiatives.
– J’ai pensé que nous pourrions passer au cimetière avec Pierre demain matin. Tu veux te joindre à nous ?
– Bien sûr…
– Ensuite, nous irons à l’office, précisa la tante. Tu as fait tes prières lorsque tu étais à Saint-Florent ?
Le visage de Père grand était froid comme le carrelage blanc qui montait sur les murs. Père grand ne croyait pas en Dieu, mais il savait que sa belle-fille se raccrochait à la prière depuis la mort de son mari. Anticipant ce qu’il fallait répondre, Gaspard expliqua :
– Je viendrai avec toi, mais je resterai au dernier rang. Je n’ai pas beaucoup prié cette année.
– Bien, il faudra que tu te purifies durant les vacances. Il y a une marche sur le feu à la Saint-Elme…
Gaspard émit un vague grognement puis se dirigea vers la console où était rangée la vaisselle de tous les jours. Il s’appliquait à installer la table quand Pierre écarta la porte d’entrée en grognant.
– Saloperie de doryphores !
Comme personne ne réagit, Pierre s’affala les pieds sous la table. Sa mère attrapa ses grosses pognes pour vérifier qu’elles étaient propres et recula, rebutée par son haleine avinée. Sans prêter attention à tante Blanche, Pierre poursuivit son monologue.
– Je les ai vus ! Ils s’exhibent avec leurs voitures et leurs dragons ! Putains de doryphores !
– Soigne ton langage, le coupa Père grand.
– Pardon, s’excusa Pierre. Tu sais le pire ? C’est pas seulement leurs dragons qui bouffent le charbon du peuple ou les gueules vertes qui leur servent de laquais. Tu sais ce qui est le pire ?
Père grand se leva pour mettre les pommes de terre coupées dans la cocotte. Il n’avait pas besoin de répondre pour que Pierre donne son avis.
– Ils ont embauché des sauvages pour les protéger ! éructa Pierre. Ils ont peur de nous !
– Le vin est un mauvais conseiller, souffla Père grand et pas qu’en politique…
– Moi au moins j’en fais de la politique ! s’indigna Pierre. Pas comme ceux qui passent leur vie à lire ou à dessiner…
Gaspard soutint le regard de Pierre. Jamais son cousin ne l’avait attaqué directement comme aujourd’hui. La tante Blanche attrapa le bras de son fils.
– Retourne au puits pour te laver le visage et les mains. Tu empestes ! Tu parleras politique quand tu seras un homme. Pour l’instant, tu n’es qu’un enfant.
Pierre se leva brutalement et claqua la porte avant d’aller s’asperger à grande force d’eau. Sa mère sortit une serviette en coton qu’elle posa sur le pas de la porte. Lorsqu’elle aperçut Bérénice qui pénétrait dans la cour, elle s’avança vers la jeune fille, la serra dans ses bras, puis lui montrant le puits, l’invita à se laver avant de passer à table. Quand tout le monde se fut installé dans la cuisine autour de la table, Père grand demanda à Gaspard :
– Sais-tu toujours tracer des plans ?
– Je me débrouille, répondit le jeune homme.
– Boëldieu l’ébéniste cherche quelqu’un pour lui dessiner un plan.
– Böeldieu l’ivrogne, grogna Pierre.
– Tu parles en connaissance de cause, souffla Gaspard.
D’un geste de colère, Pierre rejeta sa serviette sur la table et se leva. Il quitta la pièce sans se retourner. Baissant les yeux sur son assiette, Gaspard sentit la grosse main de Père grand se poser sur son poignet.
– Lundi, tu iras voir Boëldieu de ma part. N’en parle à personne et ne parle pas de ce qu’il te demandera ici.
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MIMYGEIGNARDE
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