Fyctia
Le portrait de la dracolière
– Maintenant, non ! Je ne suis pas habillée… claironna la dracolière.
Sans la voir, Gaspard eut l’impression qu’elle souriait.
– Oui… Bien sûr, je m’excuse…
– Tu me fais rire Gaspard ! se moqua la jeune femme. Allons, tu peux te retourner, j’ai largement eu le temps de me couvrir. Je me moquais un peu de toi !
Le jeune homme resta bouche bée. Elle se tenait devant lui et avait eu le temps d’enfiler sa chemise blanche et son pantalon beige. Le dragon, lui, n’avait pas bougé. Il semblait goûter la fraîcheur de l’eau. La dracolière saisit le carnet de Gaspard et pour la première fois, il prit conscience de la fragrance subtile de son parfum. Il y avait une note d’agrumes, citron ou orange et sans doute une note de cannelle. Comme elle tournait les pages pour admirer ses croquis, il sentit une nappe de miel lui couler le long de la gorge.
– C’est vrai que tu dessines bien, nota la jeune femme. Ton trait de fusain est précis.
– Vous aimez dessiner ? essaya Gaspard.
– Bien sûr. On nous enseigne tout ce qui fera de nous de parfaites poupées de salon. J’ai une voix d’or. Je joue du piano. Je danse et j’ai de la conversation.
– Ce sont des qualités, Madame. Je ne sais pas jouer du piano.
La jeune femme s’approcha doucement de Gaspard, puis posa sa main sur sa poitrine avant de lui dire :
– Quand tu as entendu le vent siffler à tes oreilles quand le dragon pique à grande vitesse, les gazouillis du piano n’ont plus de saveur.
Gaspard déglutit et la jeune femme s’installa sous le saule en remettant ses bottes.
– Ici c’est très bien ! annonça-t-elle.
– Très bien pourquoi ?
– Pour faire mon portrait, jeune homme ! rit-elle. Je n’ai pas toute l’après-midi. Mon dragon a faim !
L’animal sembla l’avoir entendue et il s’avança sur la berge, frôlant les branches du saule dans un effluve d’eau croupie. Lorsqu’il replia ses ailes en guise de pattes avant, le long cou de l’animal rappela à Gaspard celui de la girafe. Il regarda par-dessus les arbres puis ramena sa tête vers le feuillage pour avaler de pleines bouchées de feuilles. En voyant le regard surpris de Gaspard devant le repas de sa monture, la dracolière lui lança :
– On ne monte pas les carnivores, lança la dracolière. Ce serait du suicide ! Je ne sais même pas s’il en reste.
– Je ne pensais pas qu’ils mangeaient autant de feuilles ? Est-il vrai que seuls les herbivores crachent du feu ?
– Je n’ai pas le droit de le dire, annonça la jeune femme, mais si tu débutes mon portrait, je serai peut-être indulgente.
Sans hésiter, Gaspard tourna la page du héron pour débuter à grands traits les contours de la dracolière. Il se sentait plus gêné que quelques instants auparavant lorsqu’elle s’était baignée. Bien que de petite taille, selon les critères humains, elle était parfaitement formée. Elle ne prêtait pas attention aux hésitations du dessinateur.
– Les dragons ne crachent pas le feu, expliqua-t-elle. Ils crachent un alcool très inflammable : le Jusdragon. C’est le dracolier avec son boutefeu qui produit le feu. Il y a quelques années, c’était un tabou et il était interdit d’en parler. Sais-tu pourquoi plus personne ne le cache ?
Gaspard se garda de répondre. Il craignait de passer pour un ignare aux yeux de la jeune femme.
– Aujourd’hui les dracoliers utilisent rarement le feu comme arme. Nos fusils sont bien plus pratiques et à la guerre, il nous est plus simple d’offrir des grenades à nos ennemis plutôt que de risquer une rafale de mitrailleuse. Le feu des dragons est un truc bon pour effrayer les paysans.
– Lors de la défaite d’Estang, les dracoliers ont utilisé le feu contre les dirigeables, releva Gaspard.
– Pour sûr ! Pour de la piétaille, tu as bien plus de conversation que toutes mes condisciples du couvent !
– Je … je suis désolé, s’excusa le jeune homme.
– C’est un compliment. J'ignorais avoir affaire à un spécialiste de l’histoire militaire.
– Je ne le suis pas. Il y avait des hommes du village dans les dirigeables…
– Mon frère aussi a participé à cette bataille, annonça la jeune femme d’une voix sombre. Sur un dragon.
Le grattement du fusain sur la feuille resta le seul bruit audible. De temps en temps, des confettis de feuilles tombaient sur eux, tandis que le dragon malmenait les branches de l’arbre. La chevelure de la dracolière reçut son lot de feuilles la transformant en une dryade des forêts.
Gaspard allait annoncer que le dessin était terminé quand une voiture pétaradante surgit du chemin en klaxonnant violemment. Elle s’arrêta en dérapant et un équipage s’en extirpa. Le premier était un homme de petite taille, un Sang-feu, sans aucun doute, vêtu d’une tenue de dracolier. Ses cheveux étaient auburn comme ceux de la jeune femme. Il était suivi d’un gaillard de grande taille à la peau sombre, portant une sorte de bonnet de laine rouge venu des colonies. Au volant de la voiture, une femme, à la peau verte, tenait le volant : une Gobeline !
– Mère te demande ! lança le Sang-feu en direction de la dracolière. Et évite de rentrer avec Manoarc’h. Firn va te ramener.
– Pourquoi veut-elle me voir ? s’énerva la dracolière. Elle m’aura pour elle toute la soirée.
– Elle souhaite, annonça le jeune homme en prenant son temps. Elle souhaite que tu te prépares comme une dame de ton rang. Elle estime que tu n’as pas, durant les vacances à faire vœu d’humilité. Ce sont ses mots.
– Très bien ! s'exclama la femme. Renaud, paye ce jeune peintre et récupère mon portrait.
Renaud sembla prendre conscience de la présence de Gaspard. Il dégaina un frolin, saisit le carnet, ôta le portrait avant de le tendre à sa sœur. Elle saisit le dessin, tandis que le cœur de Gaspard reprenait sa course.
– Ce dessin est trompeur, annonça-t-elle. Je ne suis pas aussi belle !
Gaspard sentit ses joues s’empourprer tandis que la jeune femme se dirigeait vers l’automobile sans un regard en arrière. Son frère, dracolier, saisit une corde tendue sur le cou du dragon pour lui faire baisser la tête et cesser de manger. En un mouvement de hanche, il gagnait la selle et en un appel, l’animal bondissait avec ses quatre membres avant de déployer ses ailes pour s’envoler. C’est alors que Gaspard se rendit compte qu’il ne connaissait pas le nom de la femme dont il avait réalisé le portrait.
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MIMYGEIGNARDE
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Il y a un an
LuizEsc
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Il y a un an
Nicolas Bonin
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Angélique ABRAHAM
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