Fyctia
Le dernier jour de l'innocence
S’il avait situé la fin de son innocence, Gaspard aurait choisi ce premier jour des vacances, l’année de ses 17 ans. Il devait être quinze heures quand il s’était installé à l’ombre d’un saule pleureur pour regarder couler la Lyre, calme et dangereuse, et dessiner des hérons sur son carnet de croquis. Le chemin qui bordait le fleuve s’appelait le « Chastain ». Les châtaigniers y offraient une ombre rafraîchissante contre le soleil de samon. C’était un lieu magique, couleur de mousse, à l’écart du bourg et de son pont d’acier chantant, un lieu propice à la rêverie.
Les écoliers avaient quitté les écoles le matin même et Gaspard portait encore sa blouse grise, uniforme du cours supérieur de Saint-Florent, qui forme les futurs maîtres. Son cousin Pierre, venu le chercher en carriole, était pressé et n’avait laissé place ni à la discussion, ni aux adieux. Il n’avait pas eu le temps de saluer une dernière fois Augustin et François qui avaient décroché leurs certificats et qu’il ne reverrait sans doute plus. Gaspard avait à peine eu le temps de jeter un dernier coup d’œil au poêle froid et aux cartes accrochées sur les murs.
Il lui fallut s’engager sur les chemins de terre, au milieu des blés gorgés de soleil. À la mi-matinée, ils dépassaient Cénape et sa foule bruyante, croisaient le train pour Lucotte, pour atteindre la petite maison où la tante Blanche, la mère de Pierre, avait préparé le repas. Son cousin n'avait pas prononcé un mot de tout le trajet.
Il était loin le temps des rires d’enfants, quand Gaspard, Pierre et Bérénice couraient se cacher sur les bords du Chastain pour épier les lézards fugueurs, ferrailler avec des branches de noisetiers ou s’enivrer de menthe sauvage. En grandissant, Pierre avait fait sien le dicton des gens du bourg : "Lyre sur Gué, tête enferrée !" Comme il se destinait à devenir maréchal-ferrant, il trouvait que c’était à propos.
Si Pierre n’avait pas eu les yeux clairs, les yeux Saint-Maur, rien n’aurait pu dire qu’ils étaient de la même famille. Il était grand et lourd, quand Gaspard était petit et fin. On aurait dit le roc contre le vent, le chêne face au roseau, le plomb contre la plume et pourtant enfants, ils étaient inséparables, deux orphelins de père qui cueillaient la mûre et pêchaient la carpe. Pierre devait à Gaspard de connaître ses tables de multiplication et lui avait appris à grimper aux arbres.
Gaspard n’avait pas souhaité passer plus de temps avec son cousin et celui-ci avait préféré profiter du jour de repos pour aller retrouver sa bande au Père Tranquille. Le doux civet de la tante Blanche honoré et la tarte aux prunes engloutie, Gaspard avait laissé Père Grand à sa sieste pour retrouver “son” fleuve et s’adonner à une de ses passions : dessiner des oiseaux. On libérait les écoliers au mois de quintembre pour leur permettre de participer aux moissons. La famille Saint-Maur ne cultivant pas le blé, Gaspard serait tranquille jusqu’aux vendanges. Il prenait donc son temps pour suivre les fines courbes du héron et détailler ses contours.
Dans une autre vie, Gaspard aurait pu vivre de son coup de crayon, sûr, précis, rapide. Il n’aimait cependant pas dessiner les humains ou les paysages. Son esprit n’était que mathématique et mécanique. Il appréciait les plans, le mouvement, la dynamique des fluides ! Père Grand disait que Gaspard tenait de feu son père ce sens de la précision.
Le grand-père avait décidé d’envoyer le second de ses petits-fils à l’École normale, le lycée étant réservé aux Sang feu, en espérant qu’il mette à profit ce métier pour obtenir un passe-droit pour l’Université. Gaspard avait trouvé son bonheur entre les cours de géométrie et les leçons de choses. Il avait même obtenu la permission d’utiliser l’atelier à bois pour fabriquer des cerfs-volants pour le grand bonheur des petits du cours élémentaire.
Le héron mit fin à la séance de pose en s’envolant sans crier gare et Gaspard sursauta. Le soleil avait perdu de son éclat, mais, malgré la chaleur, ce n'était pas l'orage qui venait. Une immense forme sombre descendit en planant vers le fleuve. L’animal avait une envergure de quinze mètres, une tête longue et triangulaire s’achevant par une mâchoire entre le bec de cigogne et la gueule de loup et un plumage sombre, qui faisait ressortir par contraste, ses yeux mordorés. C’était un dragon ! Le cœur battant, Gaspard sut que l’indolence venait de prendre fin.
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MIMYGEIGNARDE
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Il y a un an
Nicolas Bonin
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Zelda Jane
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LouiseLysambre
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Angélique ABRAHAM
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