Fyctia

Nous sortons de la salle. Comme je l'avais longtemps imaginé, l'air de mon nouveau lieu de travail est empreint d'un parfum d'encre et de papier imprimé. De thé et de café aussi, surtout le matin.

C'est extraordinaire. C'est magique.

-Tu danses, remarque Jo.

Oups. Je baisse immédiatement les mains et pose les talons sur le sol.

-Qu'est-ce qui te met d'aussi bonne humeur ? me demande-t-il alors que nous passons devant la salle de l'équipe visuelle.

Je ne pense pas qu'il y ait une raison de mentir, alors je lui avoue tout.

- J'adore cet endroit. Ça a toujours été mon rêve, de travailler dans l'édition.

- Ah oui ? Moi aussi. J'adore les livres.

Ding ! Ding ! Ding !

J'entends une alarme résonner dans ma tête.

Super ! Un passionné !

Non ! On s'en fiche !

Mais c'est un passionné !

Attends, attends ! Ne te précipite pas. Posons-lui d'abord La question.

- Quel genre de livres lis-tu ? j'ose avec toute la nonchalance du monde.

-Principalement des romans. Et toi ?

Yes ! Yes ! Yes !

-Pareil.

Yes ! Yes ! Yes !

Je serre le poing et me concentre sur mes pas. Il faut que je me calme si je veux poursuivre cette conversation sans paraître pour une accro aux livres.

Nous entrons dans la cuisine, une petite pièce où l'on peut retrouver tout ce dont on a besoin pour cuisiner, même un rouleau à pâtisserie. Emmanuelle m'a confié que le directeur est un féru de cuisine. Parfois, selon son inspiration, il réalise un gâteau par-ci, des crêpes par-là. Ensuite, il dépose sa créatrice en laissant une note : "pour tout le monde".

Un personnage atypique.

Pendant que je nettoie nos tasses, Jo lance la machine à café, puis sort une boîte de café noir et une autre de café au lait.

- Type fort ou type faible ?

Je prends un air faussement énervé.

-Ce que tu fais s'appelle de la manipulation. Tu sais essaies de me faire croire que si je choisis le café au lait, ce serait admettre que je suis faible. Laisse-moi te rappeler que les goûts et les couleurs ne se discutent pas et que si je préfère le café au lait, ça ne signifie absolument pas que je suis faible.

- Bien sûr que non, bien sûr que non. Par conséquent, tu choisis le type fort ou le type faible ?

Je pose nos tasses propres à coté des boîtes et je le défie du regard. Jo, lui, me sourit en feignant l'innocence.

-Faible. Avec deux carreaux de sucre.

Jo part chercher le sucre sans parvenir à s'arrêter de rire. Je sens mon masque tomber, puis je m'autorise à sourire pour de bon.

-T'es pas du genre à te faire influencer par les autres. C'est formidable.

-Merci pour le compliment. Et toi, tu vas prendre quoi ?

Il fixe les deux boîtes avec attention, puis me regarde.

-Selon toi, qu'est-ce que je vais prendre ?

-Le type faible, avec quatre cuillères de sucre, je réponds sans aucune hésitation.

Il écarquille les yeux. Je n'aurais jamais dû faire attention à ce détail.

Idio...

-Très observatrice.

Ah.

-C'est élémentaire.

-Évidemment, ironise-t-il.

Un moment de silence. Nous nous servons individuellement.

- Au fait, c'est quoi, ton roman préféré ?

J'espère ne pas sembler trop insistante.

Son regard vivement intéressé me répond : non.