Fyctia

Après une célébration, quelques échanges, de nombreuses questions - pas uniquement posées à Jo - et une bonne dose de caféine, la timidité de la première semaine est passée.

À présent, je me sens à ma place, comme l'indique mon tout nouveau badge : Diana Aké, Rédactrice chez Star Media. Ma nouvelle entreprise réunit une vingtaine de collaborateurs dans la création et la commercialisation de notre produit principal, le magazine "Notre famille".

C'est un magazine destiné aux adultes âgés entre vingt et soixante-dix-sept ans. Éducation des enfants, conseils pour les couples, destinations de vacances ou encore activités à faire à plusieurs, ce magazine encourage la famille africaine moderne en donnant les clés pour une vie de famille heureuse et épanouie. Le rêve, quoi.

Pas toujours à l'image de ceux qui le façonnent.

- Un dîner parfait avec ses beaux-parents, c'est possible, ça ? ricane Salim, une énorme tasse de thé noir sous le nez.

-Si tu te renseignes en s'avance sur tous les sujets préférés du beau-père, peut-être, répond Jo, qui vient de comprendre que Prima est à court de papier.

- Et si tu te contentes de jouer la servante modèle devant ta belle-mère, je lance en m'octroyant deux minutes de pause pour participer à la discussion.

Jo se tourne vers moi, l'air perplexe.

- Jouer la servante ?

-Ouaip. Tu mets le couvert, tu sers les invités, tu débarrasses la table et tu fais la vaisselle pendant que tous sont occupés à discuter. Et ce, même si c'est tu fais aussi partie des invités.

Jo éclate de rire. Il récupère les feuilles imprimées et revient à son bureau.

-Et bien sûr, tu dois répondre "oui" à tout ce qu'elle dira, ajoute Emmanuelle, un sourire amer aux lèvres. Oui, vous avez beaucoup de talents. Oui, toute personne normale devrait être comme cela. Bien sûr que j'ai hâte d'avoir un bébé !

-Arrêtez, intervient Soso. C'est cliché, tout ça. De nos jours, les belles-mères sont très ouvertes d'esprit.

Emmanuelle et moi lui jetons un regard dubitatif. Il lève la main qui porte son alliance, comme si celle-ci est la preuve de ce qu'il avance. Ou alors il veut juste de vanter d'être le seul marié de l'équipe.

- Ma mère n'a jamais critiqué ma femme. Et pourtant, c'est moi qui cuisine à la maison !

Emmanuelle se tourne vers moi. Ensemble, nous secouons la tête et lâchons un long soupir.

- Quoi ? Demande Soso.

-La raison est trop simple, dis-je. Vous avez deux enfants, c'est ça ? Une fille et un garçon ?

-Des jumeaux, précise-t-il avec fierté.

-À part la cuisine, elle est une as dans toutes les autres tâches domestiques ?

-Absolument ! Personne n'est plus doué qu'elle pour le nettoyage et l'organisation.

Il sourit jusqu'aux oreilles. Ça se voit qu'il aime celle qu'il a épousé.

- Ta mère n'a jamais essayé de donner des cours de cuisine à ta femme ? j'enchaîne.

-Si, elle a proposé de lui apprendre quelques recettes de famille, mais Rebecca a refusé. Elle déteste ça.

Emmanuelle et moi échangeons un regard.

-Elle est femme au foyer ? demande Emmanuelle.

-Disons qu'elle fait une pause jusqu'à ce que nos enfants soient en âge d'aller à l'école. Dans à peu près deux ans. Après, elle commencera un travail à domicile.

-Voilà ! on s'exclame toutes les deux.

Socrate, lui, ne semble pas avoir compris.

-Voilà quoi ?

-Elle a fait un compromis.

C'est Jo. Il nous lance son regard qui signifie "Je suis intelligent et je vais vous le prouver." Ce serait énervant s'il n'accompagnait pas ce regard avec un sourire charmant.

Oui, ce sourire à la fois mystérieux et enchanteur qui fait oublier la raison pour laquelle on s'est tourné vers lui.

- Ta mère a pesé le pour et le contre, explique Jo. Et elle a compris qu'il y avait plus d'avantages : ta femme est douée pour l'organisation, elle s'occupe des enfants, et tu l'aimes. Quand on considère ça, l'argument de cuisine ne pèse pas beaucoup.

-T'es plutôt chanceux, en fait, lance Salim. La plupart des belles-mères harcelent leurs belles-filles à cause de cette seule raison.

- Totalement d'accord, confirme Emmanuelle. Même moi, je ne supporterais pas que ma belle-fille ne sache pas cuisiner.

Nous la dévisageons tous.

-Quoi ? J'adore la cuisine, et si mon fils doit avoir une épouse, il faut qu'elle sache au moins cuisiner pour être à ma hauteur. Sinon, je risque de le voir chez moi toutes les semaines, ajoute-t-elle en roulant des yeux.

-Maman poule, commente Salim.

-Les non-parents n'ont pas le droit de faire des commentaires, contre-t-elle.

-Et les célibataires n'ont pas le droit d'interdire quoi que ce soit aux non parents, réplique Salim.

Elle lui tire la langue, puis remet son casque audio. À 29 ans, Emmanuelle est mère célibataire et ne semble pas rechercher l'amour en ce moment. Elle dit qu'elle préfère se consacrer entièrement à son enfant, pour le moment. Elle parle librement de l'époque où elle était mariée, mais j'ai souvent l'impression qu'elle ne fait que gratter la surface. Le reste doit être trop douloureux.

Jo se lève, et mon regard se tourne automatiquement vers lui. Je mets cette réaction sur le fait qu'il est assis en face de moi. Dans notre salle, les bureaux sont placés les uns en face des autres : d'un côté, il y a Soso, Emmanuelle et moi. De l'autre, il y a Salim et Jo. L'espace en face de Soso est occupé par Prima.

Marie-Claire est assise au bout, comme si elle présidait l'assemblée. Ce qu'elle fait.

- Qui veut une autre dose de café ? demande Jo en levant son mug.

-J'en veux ! je réponds immédiatement.

-Super, donne-moi ta tasse, et je te...

-Non, non, je suis une grande fille. Je vais le faire toute seule, comme une grande.

-Si tu veux être considérée comme une grande fille, il faudrait peut-être que tu commences à porter des talons.

Il fait évidemment référence à ma taille. Je suis la plus courte de tout le bureau.

La plus jeune aussi. Évidemment.

- Je sais que ça ne suffira pas à combler le manque, alors j'ai abandonné avant même d'essayer, je soupire en me levant.

-Ça dépend de l'objectif que tu te fixes, dit-il simplement.