Fyctia
Coquille 1
À Abidjan, comme dans toutes les grandes villes du monde entier, la règle est la suivante : plus tôt tu sors, plus vite, tu arrives.
C'est une mauvaise idée de penser que l'on va arriver à son rendez-vous de l'autre côté de la ville à 8h00 si l'on sort à 7h30. Surtout pas à 7h30. C'est l'heure où tous les retardataires essaient d'arriver à l'heure, et c'est exactement pour ça que la majorité n'y parviennent pas. La faute aux énormes bouchons qui s'étendent d'un quartier à un autre.
Ma règle à moi, c'est de toujours sortir avant 7h00. Peut importe si j'arrive trop tôt, ce sera mieux que de m'excuser pour mon affreux retard de trente minutes. Je déteste m'excuser, alors je fais en sorte de ne jamais avoir à le faire.
Aujourd'hui, le soleil est à peine levé qu'il me voit à l'arrêt de bus. 6h30 et pas une seconde de plus. Ou peut-être que si. Mais qu'importe ! Les grands jours, je ne peux pas m'empêcher d'être excitée, au point où je me réveille bien avant mon alarme, j'enfile la tenue que j'ai préparée pendant des heures la veille, et je fonce à l'extérieur après avoir vérifié que j'ai tout ce qu'il faut : écouteurs, bouteille d'eau, mouchoirs en papier, sans oublier l'indispensable chocolat en cas de petite faim.
À cette heure-ci, la ville est à moitié réveillée. Les commerces sont encore fermés - à part les boutiques de quartier, la plupart ouvertes de six heures à minuit - mais les travailleurs aux horaires difficiles sont déjà de sortie. Certains, comme moi, attendent le bus, d'autres empruntent un taxi, d'autres encore ont déjà leurs propres véhicules. Les élèves ne sont pas beaucoup. C'est à partir de sept heures qu'ils se mettent à déambuler en nombre dans les rues, fourrés dans leurs uniformes couleur kaki pour les garçons de tous les niveaux, blanc à carreaux bleus pour les filles de primaire, et les détestables chemise blanche et jupe bleue pour les filles du secondaire. Détestables uniquement parce que cette tenue me rappelle de mauvais souvenirs.
- Vous attendez quel numéro ? me demande la femme à côté de moi.
Elle a de petits yeux noirs aimables sur un visage ovale. Une ensemble en pagne composé d'un haut à manches courtes et d'une jupe, cousu dans le même tissu que le foulard sur sa tête. Un petit sac à main. Un sourire accueillant. C'est exactement le genre de personne avec qui je me sens à l'aise.
- Le sept-cent cinq, madame. Et vous ?
- J'attends aussi le sept-cent cinq.
Je lui souris. C'est la seule chose que je trouve à faire. J'ai beau me sentir à l'aise avec elle, je ne suis pas plus inspirée pour développer la conversation.
Stuuupide Diana.
Je tourne la tête et regarde notre bus arriver. J'aurais pu lui demander ce qu'elle allait faire à la Riviéra Deux, mais ce ne sont pas mes affaires, elle pourrait croire que je n'ai aucun respect pour la vie privé des autres. Ou peut-être que j'aurais dû parler de mon nouveau travail. Elle m'a tendu une perche, et moi, je n'ai pu balancer qu'un sourire. Pas même une petite remarque drôle du genre "Ah, nous sommes deux !"
Mais oui ! J'aurais dû lui dire ça ! Mais pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt ?
...
Non, tout bien réfléchi, ça ne se dit pas à voix haute : "Ah, nous sommes deux." Ça fait vieillot.
Stuuupide Diana.
Lorsque la porte du bus s'ouvre, je secoue la tête. Hors de question de gâcher cette belle journée alors qu'elle n'a même pas encore commencé !
Une fois installée dans le véhicule, je sors mon téléphone portable et mes écouteurs, et je mets la musique à fond. Principalement pour décourager mon voisin d'engager une quelconque discussion.
De ma fenêtre, je vois les rayons du soleil s'allonger sur la surface des bâtiments et entre les feuilles des arbres. Enfin, ils glissent sur le bus et me réchauffent la peau. J'ouvre la fenêtre et je tend mon visage vers l'astre pour en profiter. L'air est encore frais, et mon nez picote un peu. Il y a une odeur de sable et de feuilles, et un peu de fumée aussi.
Celle des véhicules. J'adore ce mélange, à la fois pur et industriel.
Je rouvre les yeux et regarde les écoles, les cliniques et les restaurants se succéder. Je vais voir ce paysage tous les jours. Je le connaitrai par coeur.
Un sourire flotte sur mes lèvres. J'ai hâte de passer mes journées entre les mots, de sentir le parfum du papier fraîchement imprimé, d'être payée pour lire et pour parler de mes lecture. Le rêve d'une vie.
L'argent et la passion. Quoi de mieux ?
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Carl K. Lawson
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Calista Lacroix
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