Fyctia

— Tu vas partir ? Mais pour aller où ? s’entendit-il dire avec angoisse.

— Là où on ne tentera pas de me tuer.

— Nolane, je suis certain que…

Il voulait la mettre en sécurité, n’ayant cessé de le ruminer durant tout le trajet ; pour autant la laisser partir si rapidement lui semblait précipité. Elle venait tout juste de s’ouvrir à lui ; égoïstement, il voulait encore un peu de temps à ses côtés.

— Will, l’interrompit-elle rudement, tu ne réalises pas. Tu n’as pas vu leur regard, ce jour-là dans l’écurie.

Il réfléchit un instant, ne pouvant accepter de la perdre. Pas si vite. Il passa une main dans ses cheveux, et chercha une solution autour d’eux. Perdre son soutien en cet instant le déstabilisait. En Nolane, Will confierait sa vie. Mais en ceux se tenant dans cette tente ? Un traître s’était glissé parmi ses proches. D’autres restaient-ils en place ?

— Je leur parlerai, assura-t-il.

— Vraiment ? Et quelle facette de l’histoire vont-ils préférer à ton avis ? Nol, le palefrenier qui a tenu tête à un chevalier. Ou Nolane, la jeune noble, ayant fui le giron paternel ?

— La jeune noble ?

Elle respira profondément, maugréant entre ses dents, comprenant qu’elle en avait trop dit.

— Décide de ce que tu veux que je leur dise, murmura-t-il en réduisant l’espace qui les séparait. Tu peux très bien rester Nol. Je m’assurerai que Walt et Fral restent discrets.

Elle se mordilla la lèvre. Une lueur éclaira ses iris. Will déglutit. Cette flamme le rendait fou. Elle s’apprêta à répondre lorsqu’un soldat s’empressa devant eux et pénétra dans la tente.

— Tu ferais mieux d’y aller, Will. Va récupérer ton trône. Elle se détourna de lui. Il allait la retenir d’un geste, lorsque Nolane ajouta. Je vais trouver un endroit pour Bucéphale et mon cheval. Ainsi que de quoi renouveler leur harnachement. Sois prudent.

****

Nolane arpentait le camp civil à la recherche d’une place pour la nuit. Bucéphale et sa monture possédaient déjà leur quartier et elle hésitait à les rejoindre plutôt que de se mêler à la foule. Elle avançait prudemment ; certains regards s’attardant sur ses courbes non dissimulées. Elle regretta amèrement son corset et le reste de ses affaires. La panoplie de Nol grandement diminuée, ses doutes se confirmaient. Nolane ne faisait plus illusion et se sentait mise à nue. Sa carapace d’autrefois mettait les hommes à distance, ce qui n’était pas un mal.

Depuis leur dernier échange, elle n’avait revu Will et ne se l’imaginait pas autrement ; comment lui accorder du temps avec tout ce qui se passait ?

Un groupe se forma autour d’un feu. Nolane les observa. Des visages tristes et émaciés entouraient les flammes. Quelques rires furent tout de même échangés. Elle n’était pas la seule à vivre des épreuves. Tous ici avaient vu des choses qu’il aurait mieux valu éviter. Enfants comme adultes. Les cicatrices dans son dos se réveillèrent. Les bras croisés, concentrée sur les survivants, elle s’agita sur place pour calmer les brûlures. Elle avait dit à Will vouloir partir. Seulement, où aller à présent sans risquer pour sa vie ? Malt semblait avoir étendu ses tentacules dans tout le royaume. Nolane ne serait en sécurité nulle part. Ici comme ailleurs.

— Tu devrais cesser de remuer de la sorte.

Elle ne put retenir un sourire en reconnaissant la voix de Will dans son dos. Se retournant, elle constata qu’il semblait épuisé, des cernes enfonçant un peu plus son regard, mais soulagé également.

— Et toi tu ferais mieux d’éviter de marcher. Ta jambe est loin d’être solidifiée.

Il montra les béquilles.

— Avec ça c’est plus simple. J’ai trouvé de quoi soigner tes blessures un peu plus efficacement que des remèdes pour chevaux.

Il l’entraîna vers le quartier de l’armée.

— Je suis étonnée. Je pensais te voir protégé par des soldats à présent.

— Ils ont essayé. Mais certaines choses changent.

— Tu as trouvé Julius ?

— Non, dit-il affecté. La Soutyn m’a renouvelé son allégeance, reprit-il. C’est Alvis, un jeune chevalier, qui a pris le commandement du camp en mon absence. Avec le peu qu’il disposait, il ne s’en est pas trop mal sorti, reconnut Will.

Elle l’observa à la dérobée, évitant soigneusement de croiser les regards des hommes qu’elle rencontrait. Ici, contrairement à l’autre campement, très peu de femmes se promenaient. Et encore moins des femmes habillées en homme.

— La trahison ouverte de Lawster a été un coup dur. Tous le pensaient sous un quelconque sortilège de Malt. Le nombre de soldats est plus important que ne laissaient présager Walt et Fral, quelques sorciers grossissent même les rangs, mais je reste septique quant à leurs capacités. Demain, je ferai le tour des installations, je crains que…

— Pardonne-moi Will, intervint-elle, mais pourquoi me racontes-tu tout cela ?

Il s’arrêta dans la contre-allée qu’ils venaient d’emprunter et se tourna vers elle.

— Parce que, dans toute cette foule, tu es la seule en qui j’ai vraiment confiance.

Elle fut émue par cet aveu et, durant un court instant, ils gardèrent le silence, progressant d’un pas plus lent.

— Tu as vu Cameron ? s’informa Will.

— Non. Je n’ai croisé aucun visage que je connaissais, fit-elle sombrement.

— Il va bien. Il devait venir te voir.

Nolane haussa un sourcil. Cameron avait dû trouver une jeune femme plus appétissante que son ami Nol. D’un geste, Will l’invita à entrer dans une tente.

— Nolane, si j’ai rétabli le fait que ce soit Lawster qui a intenté à ma vie, je n’ai pas encore parlé de toi à la Soutyn. Tu ne m’as pas répondu tout à l’heure. Comment dois-je te présenter ? En tant que Nol ou Nolane ?

— Je n’ai plus grand-chose pour faire illusion de toute façon.

— Si tu le souhaites, je peux te trouver ce dont tu as besoin. Un chapeau ? fit-il l’œil amusé en se souvenant que Nol ne le quittait jamais.

— J’utilisais également une bande de lin en guise de corset, fit-elle. Et une chemise plus épaisse ainsi qu’un gilet. Je plaquais aussi mes cheveux avec de la cire.

Elle passa une main dans sa chevelure libre. Ses boucles indomptées reprenaient leurs droits.

— Je ne sais même pas ce que je veux, Will. Et, quoi que je choisisse, ils ne l’accepteront pas.

— Cesse de penser à eux. Dis-moi ce que toi tu veux. Un ami m’a dit un jour qu’il était bien de prendre sa vie en main.

— Cet ami était bien naïf.

Il haussa un sourcil.

— Tu ne le penses plus ?

— Je pense surtout que, quoi que je fasse, tout me ramènera à ce que je suis. J’aurais beau me grimer, vouloir changer, au final ce ne sera qu’une fuite en avant.

— Et que fuis-tu ainsi ?

Nolane se renfrogna.

— Tu as autre chose à penser, Will.

— Cesse de croire que ce qui peut t’arriver ne m’est pas important.

Les mots prononcés avec une telle ferveur la surprirent.

— Laisse-moi la nuit pour y réfléchir, négocia-t-elle. Ça te va ?

Il acquiesça avec lenteur, le compromis semblant lui convenir.