Fyctia
Chapitre 2 partie 2
* * *
La journée enfin terminée, je me faufile dans le premier métro en direction de mon appartement, que je partage avec ma soeur et son fils —qui est aussi accessoirement mon neveu—.
D’ordinaire, je hais les enfants, — Bon peut-être un peu moins que mon patron—, sauf Harvey. Cette petite boule d’énergie haute comme trois pommes me transforme en tante gaga insupportable.
Ma soeur, qui tente de tenir le cap, vit chez moi le temps de mettre assez d’argent de côté pour s’offrir le luxe de payer un appart pas trop loin de l’école de Harvey.
La pourriture infâme qui lui sert d’ex, ce déchet humain, refuse de reconnaître son fils et fait comme si ils n’existaient pas.
Je me suis d’ailleurs juré de le retrouver un jour et de lui faire bouffer ses roubignoles dans une longue et douloureuse agonie.
— Je suis rentrée ! hurlé-je en renfermant la porte.
À peine ai-je le temps de poser mon sac que Harvey me saute dessus, s’accrochant à moi comme si j’étais une bouée de sauvetage en forme de dinosaure.
— Salut, le monstre ! L’école s’est bien passée ?
Ses boucles s’agitent dans tous les sens alors qu’il hoche la tête avec enthousiasme. D’une main, je décolle quelques mèches de ses cheveux qui se sont collés à mon gloss avant de le reposer sur le sol et de commencer à enlever mes chassures.
— Non, n’enlève pas tes chaussures, Tatie ! On doit partir !
Je fronce les sourcils, pas sûre de bien comprendre. Ce gosse sort souvent des absurdités, mais celle-là me semble encore plus louche que d’habitude.
Je penche la tête sur le côté et croise le regard de Coraly, ma soeur, qui attache sa longue chevelure rousse —presque aussi flamboyante que la mienne— en grimaçant.
Je lâche un bruit digne d’un drame shakespearien tout en me massant les tempes.
Je le sens mal. Très mal.
M’accroupissant, je caresse doucement les boucles de Harvey.
— Où est-ce qu’on doit aller, petit monstre ? demandé-je, pas du tout certaine de vouloir connaître la réponse.
Ses yeux bleus s’illuminent et un immense sourire éclaire son visage.
— Maman m’a dit que tu allais m’amener au marché de Noël !
Je m’étouffe instantanément avec ma propre salive. Une longue minute de lutte pour ma survie.
Toussant à m’en arracher un poumon, je me tape le torse d’une main et fusille Coraly du regard.
Cette peste —que j’aime de tout mon coeur, mais qui mériterait clairement un aller simple pour l’enfer— sait à quel point je déteste Noël et tout ce qui s’en approche.
Et les marchés de Noël ? Le pire fléau de l’humanité.
Ces misérables stands n’ont qu’un seul but : ruiner les naïfs qui pensent encore que la magie de Noël existe.
Foutaise ! Rien de plus qu’un complot commercial pour nous plumer jusqu’au dernier centime.
— Bouche-toi les oreilles, petit monstre.
J’affiche mon plus beau faux sourire.
— Je dois avoir une petite discussion avec ta chère maman.
Mon ton dégouline de sarcasme et Coraly le sait. Elle sait aussi que je vais l’étriper.
Harvey, habitué à nos guerres quotidiennes —parce qu’avec Coraly, on s’entretue au moins cent fois par jour—, plaque ses mains sur ses oreilles et file dans sa chambre en trottinant.
— Tu tiens si peu à la vie, Coco ? demandé-je en plissant les yeux, façon poupée de film d’horreur. Tu prends un plaisir malsain à me rendre dingue ? À me faire frôler la mort par étouffement ?
Coraly roule des yeux, blasée par mon drame absolu. Puis, avec une moue boudeuse —celle contre laquelle je ne peux rien— elle pousse un long, très long soupir.
Honnêtement, laquelle de nous deux est la plus dramatique ? Elle ou moi ? Une chose est sûre : on ne peut pas nier qu’on est soeur.
Au-delà de notre ressemblance physique —on dirait des clones, malgré nos deux ans d’écart—, nos personnalités sont tout aussi déclaées.
Et parfois, je me demande si c’est pour ça que notre mère s’est suicidée quand j’avais cinq ans. Parce qu’on était trop… tout.
Trop bruyantes. Trop énergiques. Trop ingérables pour une mère célibataire rejetée par sa propre famille. Une famille ultra-croyante qui considérait avoir un enfant hors mariage comme une hérésie.
Coraly brise le silence en soupirant, l’air vraiment embêtée.
— Il voulait tellement y aller, tu sais… se lamente-t-elle. Mais je dois absolument faire ses cadeaux de Noël. Alors je me suis dit que pendant que tu lui fais faire le tour du marché, j’aurais le temps de tout acheter tranquillement.
J’ai autant envie de hurler sur tous les toits à quel point je hais Noël que de faire la liste exhaustive de tout ce qui rend cette fête insupportable.
Et en première position :
Je suis née un vingt-cinq décembre. Notre mère s’est suicidée cinq ans plus tard, exactement le même jour, et depuis, Noël ne rime plus qu’avec haine et tristesse.
Mais je ravale tout ça.
À la place, je pousse un soupir encore plus long que celui de Coraly, histoire qu’elle mesure bien mon mécontentement.
Puis, sans un mot, j’attrape mon sac à main posé sur l’étagère et lui tends ma carte bancaire.
— Dévalise les rayons, soufflé-je. Ah, et prends-lui les Legos hors de prix qu’il voit tout le temps à la télé. Ceux dont il rêve depuis des mois.
Ni une ni deux, Coraly me saute dans les bras, et pour la deuxième fois de la journée, je m’écrase au sol. Sauf que cette fois, pas de sapin de malheur à maudire. Juste la chaleur réconfortante de ma soeur. Son parfum familier, son étreinte serrée.
Alors pour une fois, je serre les bras autour d’elle en retour.
— Avoue, t’essaies de me tuer par étouffement de câlin, ricane Coraly contre mon épaule.
18 commentaires
Mapetiteplume
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Il y a 24 jours
mima77
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Il y a un mois
amashford
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Il y a un mois
leysa
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Il y a un mois
Jasmine_Frrnd
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Il y a un mois
leysa
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Il y a un mois