Fyctia
Chap. 10/1: Lutin&cafésfroids
10 décembre 2022, Londres.
Un rayon de soleil perce à travers le rideau épais de la chambre et réchauffe délicatement mon visage. 8h30. Bien trop tôt pour se lever. Soudain, mon cerveau émerge du brouillard dans lequel deux bières de trop et une nuit trop courte l’ont plongé.
— Merde ! Le petit-déj ! je grommelle d’une voix pâteuse.
Profitant de mon agitation, Henri Cat saute sur le lit. L’haleine du vieux chat a raison de ma paresse et je me lève en m’étirant. Je me faufile d’un pas aussi léger que possible dans la petite salle de bain. La pièce est froide et je glisse rapidement sous la douche pour me réchauffer.
J’enfile un vieux bas de jogging gris clair et mon sweat préféré. Pour finir, je noue une grosse écharpe, décroche mon manteau en laine de la patère et sort dans le froid mordant. La veille, Anthony m’avait rapidement indiqué où se trouvait la meilleure boulangerie de leur quartier, qui proposait aussi du café à emporter. Sur le coup, ça m’avait paru facile, mais maintenant que l’alcool est redescendu, je n’en suis plus si sûre.
La brise glaciale de décembre me griffe les joues et les colorent instantanément. Rien de mieux pour se réveiller. Je resserre les pans de mon manteau et prend à droite au coin de la rue. C’est la seule indication qui apparaît nettement dans mon esprit embrumé. Le spectre de Noël approche à grand pas, s’immisçant partout : des couronnes accrochées aux portes d’entrées, des guirlandes végétales ou lumineuses enroulées autour des rampes d’escaliers extérieures, des bonhommes de neiges en mousse ornant les perrons. Chaque parcelle de cette ville transpire pour cette fête, jusqu’à ce qu’on puisse sentir son odeur flotter dans l’air brumeux. Le problème, c’est que ce parfum me soulève le cœur. Combien de temps tiendrais-je en apnée avant de succomber à mon tour ?
Au bout de quelques minutes, je dois me rendre à l’évidence, je n’ai croisé la route d’aucune boulangerie. Par chance, je me souviens du nom de la boutique : Cinnamon Bakery. Je tâte ma poche pour en sortir mon smartphone et tape rapidement ce que je cherche.
Arrivée devant la boulangerie, je dois bien admettre que l’effluve du pain chaud mêlée à celle de la cannelle me donne l’eau à la bouche. Je commande assez de pains au chocolat et de croissants pour six personnes. Puis quatre grands cafés au lait saupoudrés d’arôme vanillé et d’éclats de noisettes, que nous nous partagerons. Chargée de ces victuailles, je tente de retrouver toute seule le chemin de l’appartement.
Soudain, au détour d’une rue pavée aux murs couverts de graffs, un adolescent en doudoune grise m’arrête. Il se tient devant une librairie à l’enseigne rouge, des flyers à la main. Non, c’est incroyable. Je ressens un coup au cœur en déchiffrant le nom de la boutique et rattrape de justesse les cafés qui glissent dangereusement.
— Vita Nova…, je souffle dans un murmure.
Le nom de ma librairie préférée de Rennes. Je ne reprend ma respiration que lorsque je m’aperçois que l’adolescent me regarde d’un œil à la fois surpris et hautain, comme s’il me prenait pour une folle.
— Pardon, je bégaye. Vous disiez…?
— Une soirée de lancement pour un auteur, débite-t-il d’un ton las en me tendant un flyer, ses mains nues gelées par le froid.
— Ah… euh… merci, dis-je en fourrant le papier dans le sac en kraft de la boulangerie sans le regarder, mon attention déjà reportée vers la boutique.
Une sensation de chaleur se loge au creux de mon ventre. La devanture, avec son encadrement de bois, semble tout droit sortie d’un film d’époque. A bien y regarder, l’immeuble qui l’abrite paraît plus vieux que les autres. Les fines briques ocres sont patinées, comme si des centaines d’hivers londoniens avaient eu raison de leur éclat. Je plisse les yeux pour essayer de distinguer l’intérieur, mais une buée épaisse perle sur la vitre, m’empêchant de voir quoi que ce soit, mise à part des clignotements réguliers.
Intriguée, je lève les yeux vers le premier étage. Deux fenêtres étroites à l’encadrement rouge permettent aux visiteurs extérieurs de découvrir des bibliothèques remplies de livres qui montent jusqu’au plafond. J’aperçois une jeune femme assise à la fenêtre dans un fauteuil molletonné, son ordinateur posé sur ses genoux.
Une envie irrépressible d’entrer me prend soudain, comme si une main invisible voulait me tirer à l’intérieur.
— Vous pouvez rentrer hein, ce sera pas plus cher, grogne le jeune garçon en dansant d’un pied sur l’autre pour se réchauffer. Deux boucles noires s’échappent de son bonnet, solidement vissé sur sa tête.
Je ne peux retenir un petit rire.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Pardon, excusez-moi, mais vous semblez vivre le pire moment de votre vie, je confie en espérant le voir se dérider.
C’est visiblement peine perdue. Ses sourcils se froncent pour ne former plus qu’une seule ligne qui barre son front.
— La librairie appartient à mon grand-frère, soupire-t-il. Nos parents veulent que je me « responsabilise », poursuit-il en mimant des guillemets et en prenant un ton moqueur.
Mon cœur se comprime tel une éponge que l’on tord. J’aimerais pouvoir lui dire que je l’envie justement, d’avoir des parents présents qui le pousse vers le haut. Que les miens sont aux abonnés absents, que je me demande parfois si c'est ma faute, et si, et si…
Je lève les yeux vers lui, ouvre la bouche pour la refermer aussitôt. Je me contente de lui offrir un petit sourire triste et pousse la lourde porte d’entrée. Une clochette retentit. Immédiatement, je suis assaillie par un bouquet de senteurs discordantes. Des notes de cannelle et de cardamome mêlées à celle, fruitée, des grains de café torréfiés fraîchement moulus. Et par-dessus ces effluves, reconnaissable entre mille : celle du papier neuf qui vient tout juste d’être imprimé. Je prend quelques grandes inspirations, afin que chaque cellule de mon être s’imprègne et mémorise ce mélange olfactif. Aucune bougie au monde, si incroyable soit-elle, ne pourrait retranscrire cela.
Ce lieu n’est donc pas une simple librairie, mais également un salon de thé. Au comptoir, une femme s’affaire pour préparer un chocolat viennois. Une dizaine de petites tables sont disposées au centre de la pièce et côtoient les présentoirs et étagères couvertes de livres. Un sapin majestueux trône à côté de la caisse. Des énormes boules aux tons rouge et or pendent du plafond, simplement soutenues par des fils transparents. Comme si elle étaient en lévitation.
Ce lieu serait magique sans toutes ces décorations grotesques, le gérant doit être un cinglé de Noël. Chaque centimètre carré de cette boutique transpire la résine.
Perdue dans mes pensées, je sursaute quand un homme au teint caramel m'interpelle dans un français teinté d'accent anglais.
(suite du chapitre -->)
13 commentaires
Beryl L
-
Il y a 2 jours
Emilie Hamler
-
Il y a un jour
petites.plumes
-
Il y a 15 jours
Emilie Hamler
-
Il y a 15 jours