Fyctia
Chap. 10/2: Lutin&cafés froids
Il est habillé en lutin, avec un costume vert. Ri-di-cule. Il porte aussi un bonnet de Noël similaire à celui que j’ai acheté à grand-mère. Il doit lire mon désarroi sur mon visage :
— Pardon mademoiselle, je vois bien que je vous ai effrayé. Ce n’est pas dans mes habitudes, je vous le jure ! s'excuse-t-il dans un français presque parfait, avec un petit sourire en coin, en faisant tinter les grelots de son costume. Enfin, quoique…
— Non non, c'est juste que… Eh, comment savez-vous que je suis française ?
— Une intuition, répond-il avec un air hautain, trop sûr de lui.
Il n'est pas désagréable à regarder, avec sa haute taille et sa carrure solide. Ses yeux verts ourlés de longs cils noirs forment un contraste saisissant avec la teinte de sa peau. Son sourire dévoile deux dents du bonheur.
Néanmoins, je n'aime pas son petit ton arrogant de M. je sais tout, tel l’incarnation masculine d'Hermione Granger. Parmi tous les traits de caractère existants dans l'âme humaine, je trouve que la prétention et le mépris sont les pires. Je réprime une grimace et tourne légèrement le dos au jeune homme, qui doit sûrement travailler ici pour les fêtes. Il va falloir qu’il change d’attitude s’il ne veut pas faire fuir les clients.
Mais celui-ci n'est visiblement pas de cet avis et revient se planter devant moi.
— Pardon, vraiment. J’ai l'impression que nous sommes partis du mauvais pied.
— Ça, c’est uniquement de votre faute, je m’entends répondre, surprise de mon aplomb.
— Ok… J’avoue que je ne l’ai pas volé celle-là ! Avoue-t-il les mains en signe de reddition. Je suis le gérant de cette merveilleuse boutique. Puis-je vous… »
Le petit gloussement qui m’échappe le fait s'arrêter net. Il hausse un sourcil d'incompréhension. Je rougis. Lui, gérant ? Avec son costume ringard et son sourire prétentieux ? C'était donc lui, le grand-frère de l'adolescent dehors ? Je ne m’attendais clairement pas à ça. J’imaginais un trentenaire guindé, fan de littérature anglaise du XVIIe siècle et de Noël, de toute évidence.
— Pardon, mais… votre costume… je ne peux m’empêcher de dire à voix basse, un peu honteuse.
— Ah ça ! Vous vous demandez si c’est un pari perdu ? Pas du tout. C'est ma mère qui me l'a acheté et qui m'a forcée à le mettre, réplique-t-il avec un air sérieux avant de reprendre. Elle dit que je suis plus beau comme ça. Je vous avoue que je ne sais pas comment je dois le prendre… Mais ça ne me dérange pas, j’adore Noël. C’est vraiment ma période préférée de l’année. Ces décorations, cette atmosphère, choisir les bons cadeaux, avoir une bonne excuse pour boire du vin chaud et écouter Mariah Carey… J’attends ça avec impatience dès qu’on a passé le 1er janvier, conclut-il en riant.
Cette fois, je retiens une grimace de dégout. Mon dieu que cet homme est dérangé. Ce n’est clairement pas sain pour un adulte d’aimer Noël à ce point. J’aimerais lui répondre mais me retiens de justesse, de peur qu’il ne relance la discussion. Je suis assez gênée comme ça.
Soudain, mon introversion reprend le dessus et je retrouve mon anxiété habituelle quand il s’agit de faire la conversation à des inconnus. Cet Adrian est visiblement un grand bavard prêt à déballer sa vie à la première venue, tandis que je suis plutôt du genre à en dire le moins possible sur moi.
Par peur de dire une bêtise, d’être mal perçue. Cela fait des années que j’essaye de chasser le naturel, de porter un masque, de jouer un rôle pour plaire aux autres. Pour qu’ils me trouvent cool. J’attends toujours que les autres donnent leur point de vue en premier, pour ensuite pouvoir me situer et réagir en conséquence.
Prendre des risques vis-à-vis du groupe, ce n’est pas mon truc, c’est même ce que je redoute le plus dans une discussion. Le « et toi, tu en penses quoi ? ». Cette simple phrase me paralyse. Je bafouille, bredouille un « je suis d’accord » et dans le regard des autres, je me vois comme une merde. Incapable d’assumer ce qu’elle pense. Aujourd’hui, à 24 ans, je me rends bien compte que plaire aux gens, c’est impossible. Vous êtes soit trop, soit pas assez.
Pourtant hier, en rencontrant la bande, je n’avais pas ressenti le besoin de me bâillonner. Malgré ma timidité, je m’étais sentie à l’aise, légitime de parler. Et ça m'a fais un bien fou.
Perdue dans mes pensées, je ne remarque même pas que le libraire est reparti dans une tirade interminable. Merde, je n’ai strictement rien écouté de ce qu’il a dit. Je tente de reprendre le fil de la conversation mais c’est tout bonnement impossible. Le voilà qui parle d’un auteur victorien inconnu.
— Mmh, désolée ça ne me dit rien, je déclare, à la fois gênée et légèrement agacée.
J’ai de plus en plus envie de m’en aller, mais comment faire ? Mes avant-bras me font mal et s’engourdissent à vue d’œil. N’y tenant plus, je lâche soudain :
— Je suis désolée mais je vais devoir y aller, je débite à toute vitesse en montrant d’un signe de tête les cafés, désormais froids et imbuvables.
— Oh pardon, voulez-vous…
— Non, merci, mes amis m’attendent pour le petit-déjeuner ! Au revoir !
Et sûrement à jamais.
***
— Ah enfin ! se lamente Anthony d’un ton rieur lorsque je reviens enfin. Vite un café, il faut que j’évacue cette gueule de bois.
Je n’ai pas le temps de lui dire qu’il se jette sur un gobelet. Aussitôt, son enthousiasme s’effondre. Devant ma mine désolée, il reprend :
— Et bien va pour un iced coffee ! Le taux de caféine reste le même après tout !
Nous partons tous dans un fou rire contagieux. Un de ceux dont on oublie vite l’élément déclencheur, mais dont les éclats de rires se gravent instantanément dans notre mémoire.
Quelques minutes plus tard, nos ventres repus des délicieuses viennoiseries gorgées de café froid, Linh entreprend de débarrasser.
— Tiens Clara, il y avait ça dans le sac des pains au chocolat, m’interpelle-t-elle en me tendant un flyer.
Intriguée, je déplie le bout de papier glacé et pousse un cri étranglé.
— Ça va Clara ? me demande Harry, assis à côté de moi sur le canapé.
Je hoche la tête mécaniquement, incapable de sortir le moindre mot dans la langue de Shakespeare. Curieuse, Linh se penche pour lire le flyer, puis me lance un regard interrogatif.
— Et donc… ?
— Et donc ?! Mais voyons Linh, c’est Peter Marvant ! Celui qui a écrit ma saga préférée, Les colibris ne chantent qu’au printemps. Il sera à Londres demain pour présenter son nouveau livre ! Je n’y crois pas, c’est complètement fou. Je n’ai jamais réussi à le rencontrer, il ne fait quasiment aucun salon du livre en France.
— Darling, je ne vois absolument pas qui est cet homme, dit-elle en souriant. Mais tu devrais y aller, c’est une occasion en or apparemment.
J’ai le réflexe de lui demander de m’accompagner mais me retiens. Je peux y aller seule. Après tout, je suis aussi venue à Londres pour sortir de ma zone de confort…
Alors cette première rencontre avec Adrian ? :)
13 commentaires
Beryl L
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Il y a 2 jours
Emilie Hamler
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Il y a un jour
petites.plumes
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Il y a 9 jours
Emilie Hamler
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Il y a 9 jours
Passions-Fictions-Laëti
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Il y a 10 jours
Emilie Hamler
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Il y a 10 jours