Fyctia
Chapitre 6 : Train d'enfer
9 décembre 2022, Entre Paris et Londres.
— Allez Henri Cat, mets-y du tiens un peu ! je grommelle après le vieux chat qui ne veux pas rentrer dans sa caisse de transport. Sinon je te laisse tout seul ici dans ce grand appartement vide.
Devant la menace, il émet un miaulement guttural mécontent et se décide enfin à prendre place.
Grand-mère est partie le matin même pour aller chercher Madeleine à l’hôpital, suite à son opération. Elle a embrassé et câliné Henri Cat pendant de longues minutes et a exigé que je lui envoie des photos tous les jours.
Je jette un coup d'œil à mon smartphone en soupirant. Toujours aucune réponse de mes parents au message envoyé la veille pour leur dire que je partais à Londres pour les fêtes. J’imagine que ma mère est trop occupée à roucouler avec son nouveau mec.
Je ressens à la fois une forte excitation à l'idée de partir à l'inconnu mais aussi une appréhension qui me noue l'estomac. Sortir de ma zone de confort, c’est pas vraiment une partie de plaisir pour moi.
Linh avait hurlé de joie dans le téléphone lorsque je lui avait demandé si son offre tenait toujours.
— Evidemment !!!! Oh la la tu vas voir ça va être génial ! Je vais te faire aimer l'ambiance de Noël, c'est MA-GI-QUE ! Tu vas enfin pouvoir rencontrer la bande ! Je suis surexcitée !
S'en était suivi un monologue de plusieurs minutes dans lequel elle m’avait énuméré toutes les activités que l’on pourraient faire ensemble.
Je jette un coup d’œil à l’horloge du salon. Timing parfait. Mon train part dans six heures de Paris. J’ai eu la chance de trouver un billet d'Eurostar au dernier moment et sans avoir à vider mon LEP grâce au compte bancaire de mima. En revanche, je n’ai pris aucun billet de retour. Même morte de trouille, l’envie de me laisser porter reste plus forte.
Après un périple de presque trois heures, j’arrive enfin à la gare du Nord. Henri Cat est de plus en plus nerveux, visiblement stressé par toute cette agitation inhabituelle. Je l’emmène dehors et le fait sortir de sa boîte, afin qu’il se dégourdisse un peu les pattes. Il a l’air furieux et ne se laisse même plus caresser.
— Mais quel caractère de cochon ! je ronchonne en mastiquant un sandwich infect, acheté une petite fortune.
Debout à l'écart de la foule, j’observe les passants. Les gares sont vraiment des lieux propices à cette activité. J’ai toujours adoré imaginer la vie d'inconnus.
Cette famille par exemple. Le père quadra visiblement dépassé alors que sa femme gère les deux enfants en bas-âge : un sur le dos, l'autre agrippé à sa main libre, tandis qu'elle essaye péniblement d'avaler son bagel. Eux c'est sûr, ils ont pris quelques jours de RTT avant Noël pour aller dans la belle-famille, mais l'homme préférerait être partout ailleurs sur la planète. Plus loin, ce jeune homme aux longs cheveux blonds, skis sur l'épaule et smartphone greffé à la main, à deux doigts de décapiter quelqu'un au moindre pivotement. Lui est mono de ski et commence sa saison. Visiblement, il s'est trompé de gare.
Je sens mon portable vibrer dans ma poche. Linh. Ou plutôt une photo d'elle, portant un serre-tête en forme d'oreilles de cerf et un lutin en peluche dans les bras.
En réponse, j’envoie une photo d'Henri Cat, la mine renfrogné, toujours mécontent de son voyage :
Soudain, un attroupement se forme à quelques pas. Le gamin insupportable de la mère débordée est en train de piquer une crise :
— Veux voir papa Noël ! Veux voir papa Noël ! Vite mamaaaaan !!
Je glisse un regard vers l'endroit indiqué par l'enfant. En effet, un homme grand, costaud, arborant une grosse barbe blanche et ressemblant étrangement au Père Noël, est encerclé par des bambins qui piaillent pour avoir un bonbon. Le pauvre est visiblement très mal à l'aise. C’est mal, mais j’ai envie de crier que le Père Noël n'existe pas. Avant de faire une boulette qui entraînerait ma possible exécution en place publique, je me détourne et monte les escaliers qui mène à la zone d'embarquement de l'Eurostar.
***
Une heure plus tard, je suis enfin installée dans le train bondé, la boîte du vieux chat sur mes genoux, faute d'espace. Coincée du côté fenêtre d'une table de quatre, je suis assise auprès d'une jeune maman aux lourdes cernes qui berce son enfant et en face d'une adolescente qui écoute de la musique beaucoup trop fort, en mâchant exagérément un chewing-gum.
Le bébé me regarde fixement en faisant de grosses bulles de bave avec sa bouche. Très dérangeant…
Soudain, le train s'ébranle et entame sa traversée. Henri Cat grogne et je passe un doigt à travers la grille de sa boîte de transport pour le rassurer, en espérant ne pas finir avec un moignon. Etonnamment, il vient me lécher le bout du doigt en guise de remerciements. Bien que se trimballer dans tout Paris et jusqu'à Londres avec un chat est pour le moins encombrant et pénible, je n’ai pas réfléchi à deux fois avant de l'emmener. Cette boule de poil acariâtre est désormais sous ma responsabilité.
Un grésillement aigu et désagréable transperce l'air du wagon déjà bien trop bruyant, et une voix grave et saccadé se fait entendre :
— Bonjour chers voyageurs, je suis Yannick, votre commandant de bord pour ce trajet. Je suis au regret de vous annoncer que notre train à destination de Londres arrivera en temps et heure ! Eh oui, un peu d'humour ne fait pas de mal ! Quoique je ne devrais peut-être pas m'avancer car notre voyage ne fait que commencer. Aussi, pour réchauffer l'ambiance, je vous propose d'entonner tous ensemble un chant de Noël toutes les demi-heures ! Rapprochez-vous de vos voisins, discutez, partagez un café ou, pour les plus téméraires, un vin chaud disponible au wagon bar situé voiture six. L'abus d'alcool est bien entendu dangereux pour la santé, tout comme partager le repas de Noël avec sa belle famille !
Aussitôt, le fameux Yannick entonne les premières paroles de la chanson Petit papa Noël, dans une tonalité que je n’avais jamais entendu, à mi-chemin entre le chant lyrique et le vomi de fin de soirée. Certains voyageurs, gagnés par la « magie de Noël », le suivent.
Seigneur, au secours.
Je soupire, tout comme l'adolescente qui toise d'un œil méprisant ceux qui se la jouent petits chanteurs à la croix de bois. Au bout de quelques minutes qui me paraissent une éternité, les voix se taisent enfin, mais laissent rapidement place aux applaudissements. Aucun risque que je ne me plie à cette mascarade.
— Merci pour votre écoute ! Je vous donne rendez-vous dans trente minutes pour Vive le vent ! Préparez-vous, exulte le commandant de bord.
Le temps est compté avant le prochain supplice et je décide d’en profiter pour me reposer. Peine perdue. Mon cerveau divague et m’emporte exactement à l’endroit que je tente de tenir fermé à double tour. Les ombres du Noël qui avait tout changé se mettent à danser sous mes paupières, comme pour me narguer.
21 commentaires
Nina Fenice
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Il y a 19 jours
petites.plumes
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Il y a 19 jours
Mapetiteplume
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Il y a 21 jours
Emilie Hamler
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Il y a 21 jours