Fyctia
Chapitre 3 : Entretien foireux
13 novembre 2022, Rennes.
Lorsque son réveil sonne pour la troisième fois au rythme d'une chanson soul des années 1960, Clara se décide enfin à se lever. La veille, elle avait eu du mal à trouver le sommeil, ressassant ses souvenirs avec Gabriel, aussi doux que déchirants.
Son téléphone vibre alors qu’elle se dirige vers la salle de bain. Message vocal de Linh. Amies depuis le collège, leur amitié s'était véritablement soudée le jour où Clara avait eu le courage de faire un croche-patte à Hugo, ce petit con qui avait traité Linh de "bridée". Cela faisait un an qu'elle était partie vivre à Londres pour finir ses études et avait ensuite décroché un job.
Une voix éraillée et sensuelle sort des haut-parleurs du smartphone :
« Coucou ma belle ! Comment s'est passée ta journée hier, tu ne m'as pas raconté ! On est allés au QG hier avec Anthony, Amelia et Harry et devine quoi ? Le nouveau serveur, James, est à tomber ! Je crois que je vais tenter ma chance. Anyway, on en parlera plus tard, faut que je me grouille où je vais encore être en retard au boulot. Bisous ma biche, love you ! »
Contrairement à elle, Linh est une vraie pipelette, capable d'envoyer des messages vocaux de cinq minutes. Rien à faire, Clara préfère écrire. Elle omet volontairement d’évoquer l’évènement qui a bouleversé sa soirée de la veille.
Puis, elle se dirige vers la cuisine. Une odeur douceâtre de pain grillé et de café fraîchement moulu s'intensifie à mesure qu'elle approche. La vapeur qui s'échappe de la cafetière en ébullition forme une nimbée de brouillard et le crachotement perturbe le silence qui règne dans la pièce.
Henriette est là, assise sur une chaise de la petite table deux places, face à la baie vitrée et au parc qui borde leur immeuble. Ses lunettes sur le bout du nez, elle lit le journal sur sa tablette avec un air très concentré. Les rayons du soleil froid de novembre projettent leur clarté sur son visage ridé, tel un halo de lumière dorée. Clara s'approche doucement, embrasse sa grand-mère et sent Henri Cat se faufiler entre ses jambes en ronronnant. Elle jette un coup d'œil au dehors. Les arbres ont commencé à prendre leurs teintes automnales il y a déjà quelques semaines et plus aucune feuille ne persiste. La pelouse du parc n'est plus qu'un large tapis bronze et cuivré.
C'est la saison préférée de Clara. Ce qu'elle aime par-dessus tout, c'est se blottir dans son fauteuil de lecture avec un bon livre de fantasy, un plaid moelleux sur les genoux et une tasse de thé à la cannelle à la main, tout en écoutant le bruit sourd de la pluie martelant les carreaux. Parfois, Henri Cat vient lui tenir compagnie et se pelotonner contre elle à grands coups de pattes et de griffes.
— Qu'as-tu prévu aujourd'hui mima ? demande Clara en brisant le silence.
— Je vais faire quelques courses ce matin et j'ai rendez-vous chez Madeleine cet après-midi. Je dois l’aider à installer les décorations de Noël. Il faut aussi que l'on s'entraîne pour le tournoi de bridge de ce weekend, je n'accepterai pas de me faire encore écrabouiller par cette pimbêche d'Huguette ! siffle-t-elle entre ses dents, le rouge lui montant aux joues.
Madeleine est l'amie la plus proche d'Henriette, elles font tout ensemble et ont vécu mille épreuves. Elle est ma Linh, pense Clara.
— Mais enfin mima ce n'est qu'un jeu ! rétorque la jeune fille, amusée de voir sa grand-mère dans cet état.
— Non ma fille, pas du tout ! Si nous perdons, Huguette fera tout pour ne jamais nous le faire oublier. Elle nous rabâchera les oreilles jusqu'à la fin ! Qui est de plus en plus proche, avouons-le, souligne Henriette avec un rictus sardonique.
Clara sent les muscles de son cou se tendre. Elle déteste quand sa grand-mère lui rappelle qu'elle n'est pas éternelle et que son âge n'avance pas dans la bonne direction. La jeune fille réprime un frisson et mord dans sa tartine, faisant juter de la confiture sur son menton.
— Et toi, ma chérie, ta journée ?
— Beaucoup moins palpitante que la tienne, j'en ai bien peur. La routine quoi… répond-elle les yeux dans le vague.
********
— Putain qu'est-ce que c'est mort aujourd'hui ! Six visiteurs en quatre heures ! se plaint Erica.
Accoudée à la borne d'accueil comme au PMU, la jeune femme au teint mat se tient la tête entre les mains, dépitée.
— Ouais… on se fait chier c'est rien de le dire, complète Clara. En même temps, qui a envie de passer sa matinée au musée, un mardi, en plein mois de novembre ? A part les retraités, je ne vois pas.
Soudain, un bruit de talons aiguilles résonne sur le marbre blanc. Une femme d'une quarantaine d'années, les cheveux tirés en un chignon sophistiqué et vêtue d'un tailleur beige clair, apparaît. Mme Pirot, la DRH.
— Ah, vous voilà Mademoiselle Valcourt ! Je vous cherchais dans les salles, à votre poste si je ne m'abuse, souligne-t-elle avec un air mauvais et un sourire narquois.
Cette femme est typiquement le genre de celles qui ne comprennent pas du tout le sens du mot "sororité". Son passe-temps est de vous enfoncer lorsque vous touchiez déjà le fond. Contrairement à l'intitulé de son poste, elle n'a rien d'humain.
— Veuillez me suivre s'il vous plaît, M. Borgue va vous recevoir dans son bureau suite à votre candidature, poursuit-elle.
Elle croise le regard d’Erica, qui lève un sourcil d’un air interrogateur. Plus tard, essaye de lui faire comprendre Clara.
D'un pas vif, elle suit la DRH/cyborg à travers les salles du musée pour aboutir à une porte de service menant aux bureaux de l'administration. Contrairement au musée où une fraîcheur constante règne pour protéger les œuvres et rendre malade les agents, cette partie du bâtiment est surchauffée. D'un geste rageur, elle dézippe sa veste noire brodée du logo du musée.
Enfin, la femme s'arrête et frappe à une porte sur laquelle est inscrite en lettres dorées le nom du directeur. Un raclement de chaise se fait entendre depuis l'intérieur du bureau et une voix caverneuse s'en élève.
— Oui, entrez !
Mme Pirot ouvre la porte d'un geste brusque et pousse la jeune fille à l'intérieur. Clara se retrouve nez à nez avec M. Borgue, le directeur grassouillet au teint cireux. Ses lunettes en écaille recouvrent son monosourcil et le dernier bouton de sa chemise menace de se faire la malle. Il se tient debout derrière son bureau et invite Clara à s'asseoir dans le fauteuil rouge en face de lui. Seule touche de couleur dans cette pièce froide, aussi chaleureuse qu'un négatif. La gorge sèche et le cœur battant, Clara prend place et se force à décroiser les jambes pour avoir l'air le plus naturel possible. Les petits yeux ronds et perçants du directeur se posent sur elle.
— Mademoiselle Valcourt, merci d'être venue. Catherine, euh Mme Pirot, se reprend-il, m'a fait part de votre lettre de candidature au poste de médiatrice culturelle. J’ai lu dans votre CV que vous n’aviez pas d’expérience professionnelle à ce poste, c’est bien cela ?
24 commentaires
Beryl L
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Aline Puricelli
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Il y a 9 jours
Soäl
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Emilie Hamler
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petites.plumes
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Mapetiteplume
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Emilie Hamler
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Emilie Hamler
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Nina Fenice
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