Fyctia
Chapitre 2 (2)
Je m'avance un tout petit peu plus pour me positionner en face d'elle. Elle est assise sur sa chaise comme une reine sur son trône. Ce qu'elle aurait pu être, si elle était née quelques siècles plus tôt, à l'époque féodale. Notre famille est issue des souveraines de Bretagne, l'un des royaumes féeriques les plus importants d'Europe. Bien sûr, maintenant, les fées vivent selon un système républicain, comme beaucoup d'humains. C'est certainement mieux. Qui voudrait vivre dans un royaume gouverné par Grand-mère ?
— Oui Grand-mère ? je demande aussi poliment que possible, pour détourner son attention sur mes vêtements, car je vois bien ses yeux me détailler de la tête aux pieds et s'arrêter tout particulièrement sur le trou que j'ai dans ma chaussette gauche au niveau du gros orteil. Cela semble marcher, puisqu'elle relève la tête vers mon visage.
— Vivien, dit-elle alors, je suis venu te demander de ne pas batifoler avec l'une de tes futures camarades de classe sans notre accord.
Batifoler ? J'ouvre de grands yeux, espérant de toutes mes forces avoir mal compris.
— Je... Je te demande pardon ? Qu'est-ce que tu veux dire par...
Grand-mère se penche vers moi d'un air calculateur.
— Tu es le seul mâle de notre espèce. Tu es certainement capable de mettre enceinte une femelle fée et tes condisciples féeriques arriveront très vite à cette conclusion et se battront pour partager ton lit. Qui sait ce que donnerait le fruit de votre union ? Des fées très puissantes, peut-être. Le Cercle et moi souhaitons pouvoir donner notre accord pour contrôler un tel phénomène nouveau.
Je recule d'un pas, si bien que mon dos se retrouve collé contre la porte. J'aimerais avoir le pouvoir de la traverser pour fuir à toutes jambes.
— Je n'ai pas envie d'avoir des enfants ! je m'exclame. Je n’ai que quinze ans, Grand-mère.
La vieille fée agite la main avec indifférence, comme pour chasser un moucheron. Mon opinion provoque généralement cette réaction.
— Et puis d'abord, je poursuis, porté par ma juste indignation, qu'est-ce qui te dit qu'une fée pourrait réellement attendre un enfant de moi ? Nous ne pouvons nous reproduire qu'avec des humains, non ?
Les fées étant toutes de sexe féminin ne peuvent évidemment pas se faire des enfants entre elles. Il leur est de même impossible d'avoir un rejeton avec une autre créature surnaturelle. Nous sommes trop différents. Elles doivent donc se tourner vers les humains lorsqu'elles souhaitent procréer. Leurs enfants seront ensuite systématiquement des filles et des fées. Sauf dans mon cas, vous finissez par le comprendre.
Grand-mère me regarde comme si j'étais complètement idiot.
— Ne sois pas ridicule, Vivien. Bien sûr que tu es capable de mettre une fée enceinte ! Du moins, c'est fort probable. À moins que ton corps n'ait quelques dysfonctionnements... ?
Je me retiens de me boucher les oreilles. Bon sang ! Je ne pourrais imaginer pire conversation quelques heures avant mon départ pour le lycée.
— D'accord, d'accord, je temporise, car je sais d'expérience qu'il ne sert à rien de chercher à contredire Grand-mère. Je le peux peut-être, mais je ne le veux pas. Je suis beaucoup trop jeune.
Et ce d'autant plus que je ne suis pas attiré par les filles, mais par les garçons, ce que je me garde bien d'ajouter à voix haute. Du moins, je crois que je le suis. Personne ne le sait, pas même ma sœur jumelle. Je passe déjà suffisamment pour une bête curieuse en étant le seul garçon fée du monde entier. Autant ne pas en rajouter. Et puis, je ne suis même pas sûr d'être gay. Je fais peut-être juste une allergie aux filles, à force de n'être entouré que par des fées. Cela dit, il y avait ce garçon que j'aimais bien regarder quand j'étais en quatrième, et... Et... Et voilà, quoi. Il ne s'est rien passé entre nous. Rien du tout. J'aimais juste l'observer discrètement. Il faut dire qu'il était plutôt pas mal de sa personne. Jusqu'au jour où Morgane s'est mise à son tour à le trouver à son goût. Elle l'a envoûté et ils sont sortis ensemble un mois. Par la suite, même après leur rupture, ce type a continué à suivre ma jumelle du regard avec des yeux de merlan frit. Je l'ai alors trouvé beaucoup moins attractif.
Les fées se mettent à papoter entre elles, comme si je n'étais plus là.
— Il faudra trouver une fée issue d'une lignée puissante pour cette union, commente l'une des vieilles du Cercle avec toute la délicatesse d’un éleveur choisissant une monture. Les Prigent, peut-être ? La jeune Titania est une vraie beauté. Et elle a le même âge que celui-ci.
"Celui-ci" me désigne, bien sûr. Cette Titania a droit à son prénom. Pas moi.
— Ou Maëline Le Godec, suggère une autre ancêtre d’un ton docte. Cette petite a de l'énergie à revendre.
J'adresse un regard désespéré à ma mère. Elle me répond par un sourire impuissant et me signifie par une grimace que je peux filer.
Je quitte la pièce sans faire de bruit. Comme prévu, personne ne semble s’en apercevoir. Je me demande si je devrais être vexé ou soulagé. Peut-être un peu des deux. Dans tous les cas, l’absurdité de la situation me laisse un goût amer, une fois de plus.
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Lucie Feyre
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Il y a 5 mois
Herrade_Riard
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Il y a 4 mois
cedemro
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