Herrade_Riard Le lycée des Surnaturels Chapitre 3

Chapitre 3

Quand je referme la porte du salon, au bout du rouleau, j’aperçois Morgane m'adresser des signes hystériques depuis la porte d'entrée. Elle tient deux grands cartons dans les bras qu'elle berce comme son enfant nouveau-né.


Allons bon, que se passe-t-il encore ?


— Nos uniformes du lycée sont arrivés ! finit-elle par me chuchoter en voyant que je ne pige rien à son agitation.


Mon début de curiosité s'éteint aussitôt.


— Ah...


Je ne partage pas la passion de ma jumelle pour les vêtements. Alors qu'elle revêt son corps de jupes courtes ou de vestes roses à paillettes, je me contente généralement de jeans et de cols roulés noirs. J'aime le noir. Ce n'est pas une couleur salissante, pour commencer. Et c'est discret. Je déteste attirer l'attention. Ce n'est pas du tout parce que je rêve de ressembler à Geralt de Riv, contrairement à ce qu'affirme ma sœur. Je ne vois pas comment je pourrais y arriver, de toute façon. Je suis brun, petit, tout maigre et dépourvu de muscle. Bref, je suis l'exact inverse du sorceleur et je doute que je puisse changer grand-chose, même en passant des heures à soulever de la fonte. Il faudrait que je commence par grandir d'au moins vingt centimètres alors que je ne suis pas loin de la fin de ma croissance (qui est peut-être en réalité déjà terminée, même si j'espère que non).


Morgane me fourre l'un des paquets dans les bras.


— Rooh, ne fais pas ton grincheux et essaie le tien. On se retrouve dans cinq minutes dans ma chambre.


Et je n'ai pas d'autre choix que de m'exécuter.


Je pose la boîte sur mon lit pour l'ouvrir. Je sors d'abord un pantalon noir soigneusement plié, suivi par une chemise blanche et une veste vert sapin. Chaque espèce surnaturelle dispose de sa propre couleur. Les loups sont en brun, les sirènes en bleu, les vampires en rouge, les magiciens en jaune et les fées en vert. Le point commun est l'écusson du lycée cousu au niveau du cœur qui représente une épée enfoncée dans un rocher.


Je secoue les habits pour les déplier. J'ai un instant d'arrêt en voyant que la couturière a ajouté des fentes au niveau des omoplates aussi bien dans la chemise que dans la veste. Apparemment, personne ne lui a dit que j'étais la seule fée sans aile.


Ma gorge se serre tandis que je fixe le tissu. Mes semblables disposent d'ailes qu'elles peuvent sortir ou rétracter de leurs dos. Bien entendu, cela nécessite d'avoir des vêtements troués aux bons endroits (ou de se balader à poil). Normalement, nous ne devons pas le faire avec les habits de tous les jours, puisque nous n'avons pas le droit de voler quand des humains risquent de nous surprendre (quoique mes sœurs ne se gênent pas le moins du monde). Mais le lycée des surnaturels est protégé par une enceinte magique qui permet aux fées de se dégourdir les ailes quand elles le veulent, aux loups-garous et aux sirènes et tritons de se métamorphoser et aux vampires de... eh bien, je ne sais pas trop. Ils ne se transforment pas en chauves-souris, en tout cas, c'est une légende.


Je secoue fermement la tête. Peu importe. Après tout, ces trous me permettront d'avoir le dos aéré, voilà tout.


J'enfile donc l'uniforme sans me poser davantage de questions et vais rejoindre Morgane.


Nous nous contemplons tous les deux dans le miroir, côte à côte. En nous voyant habillés de façon semblable, je suis frappé par notre ressemblance. Nous avons les mêmes yeux verts et des cheveux bruns clairs, même si je porte les miens courts, à la mode humaine, alors que ceux de ma sœur descendent en cascade jusqu'à sa taille. Oh, et Morgane est une fée très prometteuse tandis que je suis complètement nul, rappelons-le.


— Ce vert jure un peu avec nos yeux, non ? je m'inquiète.


Morgane penche la tête sur le côté, soucieuse.


— Tu crois ? Hum...


Elle tire un peu sur sa veste pour l'ajuster et déploie soudain ses ailes pour vérifier que les fentes de ses vêtements sont bien positionnées aux bons endroits.


Les fées ont deux types d'ailes principaux. Il y a celles qui ressemblent aux ailes de papillons, comme celles de ma mère et de Mélusine, délicates et chatoyantes, réputées pour leur beauté. Et il y a celles des libellules, fines, transparentes et taillées pour la vitesse, comme celles de Morgane et d’Oriande. Ma jumelle pratique d'ailleurs la course de vol à haut niveau. L'année dernière, elle a obtenu la médaille d'argent lors de la compétition junior organisée tous les ans dans la forêt de Paimpont. Elle a ensuite boudé pendant une semaine parce qu'elle visait la première place et a horreur de perdre. Surtout que l'or a été raflé par Maëline Le Godec, son ennemie jurée (si elle savait que l'on veut que je produise un enfant à Maëline Le Godec !).


Comme à chaque fois que je regarde les ailes de Morgane, une vague d’envie me submerge, difficile à réprimer. Voler… Sentir le vent sous mes ailes tandis que je m’élève dans les airs… Et peu importe si je ne gagne pas de course. Au lieu de cela, je suis relégué au sol, comme un humain. Quand j'étais petit, j'aurais tout donné pour pouvoir devenir une fille, moi aussi, et être comme toutes les autres. Ce vœu n'a jamais été exaucé. Ce n'est pas comme si je vivais dans un conte de fées.


— Qu'est-ce que Grand-mère te voulait, au fait ? me demande Morgane en repliant ses ailes avec un bruit doux et léger, presque muscial.


Je soupire en triturant mes manches.


— M'utiliser comme étalon reproducteur. Apparemment, toutes les fées du lycée sauf toi j'espère devraient avoir pour plan de se jeter sur moi pour que je leur fasse un super bébé.


Je vois les yeux de la jeune fille s'écarquiller à travers le miroir. Puis elle éclate de rire, comme si le délire de Grand-mère était amusant.


— Ne t'inquiète pas, p'tit frère, je te protégerai, glousse-t-elle.


Morgane est née douze minutes et demie avant moi et adore jouer à la grande sœur. Comme elle est une fille et bien plus douée que moi, tous les membres de ma famille pensent la même chose. C'est agaçant, mais je m'y suis habitué, à force.


Je roule des yeux.


— Je n'ai pas besoin de protection.


Je me prends une tape sur l'épaule.


— En effet ! Tu es tellement coincé qu'il est fort peu probable que l'une d'entre elles parviennent à te convaincre de partager son lit.


Je lui jette un regard sévère.


— Nous n'avons que quinze ans.


Elle se contente de lever les yeux au ciel. Parfois, je crains que Morgane ne finisse un jour par devenir comme Grand-mère.


Je jette un regard nerveux en direction de la porte.


— Allons faire un tour en ville, je soupire. Je ne voudrais pas tomber une deuxième fois sur Grand-mère quand le Cercle aura enfin fini de délibérer. Avec un peu de chance, elles et ses copines diaboliques partiront avant le déjeuner.

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54 commentaires

cedemro

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Il y a 5 mois

L'admiration de Vivien pour le sorcelleur me fait sourire à chaque fois. Belle ironie quand on pense que ce guerrier chasse précisément les êtres surnaturels quand ceux-ci deviennent une menace pour l'humanité... Mais bon, les fées sont supposées être les gentilles, non ? Remarque, je commence à en douter quand je lis le discours de grand-mère et découvre ses projets de procréation de fées surpuissantes qu'elle pourrait contrôler... Ton univers semble parfaitement maîtrisé jusqu'ici et je suis ravi dans ce chapitre de découvrir que Vivien partage un beau lien avec sa jumelle. Quelque chose me dit que sa protection sera requise en effet !

Herrade_Riard

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Il y a 5 mois

Oui, Vivien pourrait avoir des problème avec le sorceleur s'ils se rencontraient dans son univers 😅. Les fées sont supposées pacifiques, mais ne le sont peut-être pas tant que cela...

Anthony Dabsal

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Il y a 5 mois

Bon, ce chapitre 3 (et c'est normal, rassure toi) a vu mon attention accrue. Ici, un arc narratif s'ouvre, de plus un arc scénaristique majeur aussi. Par conséquent, chaque détail dans ce type de chapitre va forcément plus sauter aux yeux. Ici, il y a des redondances dans la nature de Vivien a se sentir écraser (par sa famille, par sa soeur jumelle, par sa "nature", par sa différence). Or, ce sont des points déjà connus. Cela risque malheureusement de "sortir" de la lecture certains lecteurs. Je te rassure, ce ne sont que des détails, comme je te l'ai souligné. Mais, parfois des détails peuvent faire la différence, surtout dans un chapitre si important. Je te conseille de plus montrer à partir du chapitre 3 cette "dévalorisation" constante de Vivien. Soit au travers de ses gestes ou au travers de ses dialogues. Et d'éviter de les dire. Le lecteur l'a bien compris et (je pense) voudrait le voir petit à petit évoluer. Sans que tu prennes par la main. Tu vois ce que je veux dire ? Sinon, pour la qualité d'écriture en tant que telle, hormis ces détails, ton texte est très engageant et me plaît beaucoup. (Si je suis trop à cheval sur la narration, n'hésite pas à me le dire. Je me suis focalisé sur ça, mais si tu veux que j'analyse un autre point pour la suite, n'hésite pas à me le dire ^^)

Herrade_Riard

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Il y a 5 mois

D'accord. Je note tout ça précieusement. Non, ce type me remarque me convient très bien ^^.

Fanny Nohal

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Il y a 5 mois

On voit bien.la différence de maturité entre fille et garçon. je trouve cette discussion très réaliste entre un frère et une soeur. c est un chapitre fort sympathique à lire.

Herrade_Riard

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Il y a 5 mois

Merci ^^

yumederia

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Il y a 5 mois

Alors, désolée d'avance pour mes commentaires, mais je t'explique un peu plus ce que j'ai voulu dire en ciblant certains passages. Concernant les critiques de Vivien : (1) On sent que Vivien n'est pas bien dans sa peau. Il est différent, est une fée (alors qu'il n'y en a généralement pas de mâle) et qu'il se sent inférieur à cause de cela. En soi, je comprends totalement. Quand on n'a ni confiance en soi, ni estime de soi, il est normal que ce genre de pensées surviennent et que l'on se dévalorise. Mais je trouve parfois tes formulations un peu trop maladroites. Il faut garder à l'esprit que ce texte est pour un public assez jeune, dans lequel il y a de nombreux problèmes de confiance en soi. Je trouve que c'est peut-être maladroit de justement faire véhiculer cette image de l'ado qui se déteste et se critique sans cesse. Tu peux très bien montrer ce mal-être différemment, et tu l'as très bien fait à certains endroits ! :D (2) Rappelons également que la plupart des roman YA de fantasy sont un peu comme les shonen : généralement, le protagoniste est faible, et après divers entrainements, devient le plus fort des guerriers. Si c'est le cas dans ton histoire, c'est d'autant plus important de faire attention à la manière dont tu fais vivre les choses aux lecteurs, surtout si Viven devient une fée badass haha. Les enfants, dans la vraie vie, qui pourraient justement s'identifier à ce personnage à cause de son manque de confiance, se retrouveront à la fin de ton histoire d'autant plus mal puisque, eux, ne sont pas des fées.

Herrade_Riard

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Il y a 5 mois

Je comprends. Merci pour tes retours !

Emmy Jolly

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Il y a 5 mois

On apprend beaucoup de choses dans ce chapitre ou tout est toujours bien construit. On sent Vivien (qui a bcp d'humour) en manque de confiance et chouchouté par sa sœur. Il va peut être réussir à devenir plus ouvert et plus sûr de lui dans cette future école.

Herrade_Riard

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Il y a 5 mois

Espérons-le pour lui ^^
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