Fyctia
Chapitre 2 (1)
J'entends la sonnette carillonner alors que je sors de la douche, une serviette enroulée autour des hanches. Ma peau est couverte de chair de poule à cause de l'eau froide dont j'ai dû me contenter (notre ballon d'eau chaude n'est pas grand et j'habite avec quatre filles).
Ding dong ! Ding dong !
La personne derrière la porte s'excite en constatant qu'on ne vient pas lui ouvrir sur-le-champ.
Je soupire en me frictionnant les cheveux à la hâte. Aucun doute, c'est Grand-mère.
Je fouille dans mon placard déglingué pour essayer de trouver des vêtements qui ne m'attireraient pas de critique. Grand-mère ne cesse de dire que je n'ai aucun sens de l'élégance et que je ne vaux pas mieux qu'un humain mâle, sur ce sujet-là (une terrible insulte). Je remue tous mes pantalons, la tête vide. Je ne vais quand même pas enfiler le costume vert que Maman m'a acheté pour le mariage de ma cousine Anaëlle !
Tout un brouhaha se fait entendre au rez-de-chaussée. C'est qu'elles sont venues nombreuses, en plus !
Oh, et puis zut ! Je m'empare d'un jean noir slim un peu froissé et d'un t-shirt gris neutre. Moi, je me trouve très élégant comme cela, quelle que soit l'opinion des autres à ce sujet. De toute façon, Grand-mère trouvera forcément quelque chose à y redire. Me critiquer et me rabaisser font partie de ses activités favorites depuis ma naissance.
— Vivien ? appelle ma mère depuis l'escalier. Peux-tu nous rejoindre dans le salon, chéri ?
Je me débats avec la fermeture éclair de mon jean.
— Oui oui, j'arrive dans un instant.
Je jette un regard de regret à mon ordinateur en veille. Je donnerais tout pour pouvoir lancer ma partie de The Witcher 3 plutôt que d'aller me farcir le Cercle. Mais Geralt de Riv combat des monstres sanguinaires tous les jours. Je peux bien de mon côté aller affronter quelques vieilles fées. Quoique même Geralt aurait du mal, face à Grand-mère. Je suppose qu'il préférerait fuir à toutes jambes le plus loin possible, et tant pis pour la récompense. Il a bien de la chance de ne pas être apparenté à elle !
Je descends l'escalier le plus lentement possible. Je peux sentir de là le parfum dont s'asperge Grand-mère et cela me donne la nausée. Par bonheur, elle ne vient pas souvent jusqu'à chez nous. Grand-mère désire en effet vivre selon la façon "traditionnelle". Elle habite dans une maison en bois avec d'autres fées en plein cœur de la forêt de Paimpont. Bon, cela dit, elle a fait installer l'électricité et l'eau courante et dispose même d'une télévision et d'un abonnement Netflix. La tradition a visiblement ses limites et heureusement puisque nous allons sans arrêt lui rendre visite. Je sais qu'elle voudrait que nous venions nous installer à plein temps au village féerique, mais Maman a toujours refusé sous prétexte qu'elle adore la mer. Notre maison de Saint-Malo n'est qu'à deux cents mètres de la plage. Je la soupçonne aussi de vouloir éviter de trop fréquenter sa propre mère. Grand-mère est le genre de personne dont la principale passion est de dire aux autres ce qu'ils doivent faire de leur vie.
Une voix s'élève du salon à avant que je n’aie eu le temps de frapper. Je sais, je sais, ce n'est pas bien d'écouter aux portes, mais quand je perçois mon nom, je ne peux pas m'empêcher de tendre l'oreille.
J'entends alors Maman protester vigoureusement. Elle crie presque, ce qui fait que je ne rate pas un seul de ses mots sans avoir besoin de coller mon oreille contre la serrure. Dans ces conditions, personne ne pourrait me reprocher de jouer les espions. Disons juste que je suis là au bon (ou au mauvais) moment.
— Mon fils n'est pas une anomalie ! Il est une fée, que vous le vouliez ou non, et il a parfaitement sa place au lycée des Surnaturels !
Mon cœur se met à battre plus vite. Une anomalie ? Quelqu'un a dit que j'étais une anomalie ? Oh, je sais que j'en suis une puisque je suis le seul garçon fée jamais né. Et je n'ai que de très faibles capacités magiques. En somme, je suis quasiment un humain et il est vrai que je pourrais sans doute n'aller que dans un lycée ordinaire. Mais de là à me l'entendre balancer en pleine figure... Bon, d'accord, personne ne sait que je suis en train d'écouter, mais tout de même !
— Allons Gwendoline, dit la voix de Grand-mère, ne t'énerve pas. Nous voulions juste dire que ton fils...
— Mon fils quoi ? grogne Maman non sans férocité.
Je n'entends alors plus de protestation, ce qui ne m'étonne pas plus que cela. Malgré sa douceur et sa relative jeunesse (elle n'a que trente-trois ans), ma mère est une fée respectée. Par sa lignée, d'abord. Par sa puissance, ensuite, car son talent avec les plantes est reconnu. Et parce qu'elle a mis au monde quatre enfants, dont des jumeaux, à une époque où notre espèce peine à se perpétuer. Certes, l'un des enfants en question est raté. Il en reste tout de même trois de réussis.
Je profite de cette accalmie pour frapper à la porte et entrer.
La pièce est saturée d’une énergie que je ressens jusque dans mes os. Avec Maman, Grand-mère et six fées du Cercle de Bretagne (sans compter les innombrables plantes qui colonisent chaque espace disponible ici, comme partout ailleurs dans la maison), notre petit salon-salle à manger est plein comme un œuf. Toutes ces dames ont pris place autour de la table, une tasse de thé fumante devant elles. Si ma mère m'adresse un sourire rassurant quoiqu'un peu crispé, les autres fées gardent un visage de marbre et me scrutent avec froideur. Le fait d'avoir apparemment été traité par elles d'anomalie il n'y a pas plus tard que quelques secondes ne m'aide pas à avoir l'air aimable de mon côté.
— Ah, Vivien, me dit Grand-mère d'un ton sec qui coupe l’air comme un couteau, approche. J'ai à te parler, mon enfant.
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Janikest
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Il y a 4 mois
Herrade_Riard
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Il y a 4 mois
cedemro
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Anthony Dabsal
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Krrkippaal
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Emmy Jolly
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Herrade_Riard
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Il y a 5 mois