Fyctia
Chapitre 1 (2)
Notre petite maison ressemble à l'intérieur d'une serre, à un havre de verdure et de vie caché au cœur de Saint-Malo. Des lianes de lierre serpentent autour de la rambarde de l’escalier. Chaque marche est occupée par un ou plusieurs pots. Des fougères luxuriantes s’étendent. Des petites fleurs colorées hochent la tête à mon passage. Des plantes rares frémissent. Je laisse mes doigts glisser doucement sur les feuilles tandis que je descends. L’odeur subtile du mélange de terre et de mousse m’apaise.
Nous autres, les fées, sommes de créatures liées aux forêts et à la nature. Même si nous nous efforçons de vivre discrètement parmi les humains, il nous est impossible de nous couper totalement de nos racines.
Je suis apparemment le dernier à débouler dans la cuisine. Déjà assise à sa place habituelle, Morgane, ma jumelle, contemple son reflet dans le dos de sa petite cuillère. Affirmer que les fées sont coquettes est un euphémisme. Dans le cas de Morgane, cela tourne même au narcissisme, même si elle refuse de le reconnaître.
Oriande, ma dernière sœur d'un an, m'accueille d'un grand sourire édenté depuis sa chaise haute.
— Vivi !
Romain, le partenaire humain du moment de ma mère, lui enfourne des cuillerées de compote dans la bouche. Comme tous les humains enchantés, il aborde un petit sourire absent. Le charme que lui a lancé Maman le rend imperméable à toute manifestation magique. Au lieu de voir Mélusine voler au ras du sol, il doit s'imaginer qu'elle est en train de courir, ou quelque chose comme cela. Je pourrais lui poser la question, mais à quoi bon ? Je n'aime pas beaucoup parler aux Envoûtés. Ils me mettent mal à l'aise. Je sais bien que nous devons préserver le secret de notre existence, mais ce n'est pas pour autant que j'approuve ce genre de manipulations. Oh, certes, les Envoûtés conservent une part de libre-arbitre, quoique ténue. Il est même arrivé que l’un ou l’autre d’entre eux décide de mettre fin à sa relation avec ma mère plutôt que l'inverse. Rarement. Maman dit souvent que c'est parce qu'elle est vraiment bonne au lit. Voilà le seul commentaire que j’en tire : les fées ne sont pas réputées pour leur pudibonderie.
Enfin bref. Une fois que la liaison a pris fin, ma mère lève le sort et les anciens Envoûtés retrouvent leur vie ordinaire. Cela arrive souvent, puisque Maman change sans arrêt de partenaire. Romain n'est là que depuis le début de l'été. Il n'est pas, bien sûr, le père d'Oriande qui doit être cet Étienne. Ou peut-être Francis ? Je m'y perds. Peu importe, en réalité. Seule la mère compte, chez les fées.
Je plante un baiser sur le sommet de la tête d'Oriande en arrivant au niveau de la table. Sa douce odeur de bébé fait remonter un peu mon humeur.
— Coucou Ori !
Je ne veux pas avoir l'air de me vanter, mais j'ai toujours été son préféré. "Vivi" est le second mot qu'elle a appris, juste après "Maman".
Mélusine rétracte enfin ses ailes et ressemble désormais à une petite fille de six ans tout à fait ordinaire. Du moins jusqu'à ce qu'elle entreprenne de faire léviter le lait depuis la bouteille jusqu'à son bol de céréales, comme s'il était trop compliqué de le verser de manière ordinaire. Je me demande souvent comment les fées arrivent à conserver leur existence secrète avec des individus comme ma sœur cadette.
Je lui jette un regard réprobateur. Elle m'ignore.
— Maman ! clame-t-elle après avoir renversé du lait partout. Est-ce qu'on pourra adopter un chien, maintenant que Vivien quitte la maison ?
Je lui adresse une grimace depuis l'autre côté de la table.
— Je reviendrai pendant toutes les vacances scolaires et peut-être même certains week-ends, je lui précise.
Elle me tire la langue.
— Tu n'auras qu'à dormir dans le jardin. Je te construirai une cabane au milieu des rosiers.
Ma mère intervient d'une voix distraite, très affairée à couper une montagne de légumes en morceaux.
— Mélusine, voyons, nous ne pouvons pas avoir de chien. Tu sais bien que leurs poils rendent ton frère allergique.
Ce qui est malheureusement vrai. Je n'ai rien contre nos amis à quatre pattes, mais leur simple vue me donne une furieuse envie d'éternuer.
Ma petite sœur fait la moue et me jette un regard accusateur, comme si c'était de ma faute.
Je bâille sans me soucier plus que cela de la contrariété de cette petite peste.
— Puis-je savoir pour quelle raison j'ai été tiré du lit aux aurores ? je me plains.
Un coup d’œil à l’horloge du four m’apprend qu’il est neuf heures trente. Ce qui équivaut aux aurores, pendant les vacances.
— Ta grand-mère vient à dix heures avec quelques fées du Cercle, explique Maman en attrapant un poireau.
Je réprime un grognement. Ce genre de venue n'est jamais de bon augure.
Morgane s'arrache à la contemplation de son reflet.
— Qu'est-ce que Grand-mère nous veut ?
Un soupçon d'incertitude traverse les yeux de Maman.
— Elle souhaite parler à ton frère.
Je sursaute.
— Moi ? Pourquoi ?
Ma mère retourne à ses légumes et hache un oignon avec un peu trop d'énergie. Des composants sulfuriques parviennent jusqu'à moi et me piquent les yeux.
— Elle ne me l'a pas dit exactement. Tu verras bien.
J'échange avec ma jumelle un regard incertain.
Je n'ai jamais eu l'impression que Grand-mère avait beaucoup d'affection pour moi. Elle adore ses trois petites filles qui ont des pouvoirs très développés pour leur âge, même Oriande. Mais, moi, je n'en ai quasiment pas. Enfin, pour être exact, je n'ai qu'un seul et unique don et il est parfaitement inutile : je suis capable de changer la couleur des objets que je touche. Oh, bien sûr, ma mère et mes sœurs essaient de me convaincre que mon pouvoir sert à quelque chose. Maman me demande souvent de l'aider à préparer les teintures pour son salon de coiffure (celles dont je m'occupe durent beaucoup plus longtemps que les autres, à ce qu'il paraît). Morgane me fait changer régulièrement la teinte de ses vêtements, lorsqu'elle s'en lasse. Et Mélusine a un jour exigé que je colore en rose bonbon tous ses jouets et ses nounours, si bien que la chambre qu'elle partage désormais avec Oriande avait l'air d'être remplie de barbe à papa. Mais il faut bien reconnaître que tout cela n'est guère impressionnant à côté de ce que les autres fées sont capables de faire.
En résumé : je suis complètement nul.
65 commentaires
Janikest
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Il y a 4 mois
Herrade_Riard
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Il y a 4 mois
cedemro
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Il y a 5 mois
Herrade_Riard
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Il y a 5 mois
Anthony Dabsal
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Il y a 5 mois
Herrade_Riard
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Il y a 5 mois
Krrkippaal
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Il y a 5 mois
Herrade_Riard
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Il y a 5 mois
yumederia
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Il y a 5 mois
Herrade_Riard
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Il y a 5 mois