La_petite_plume LE JEU DU RENARD Chapitre 11

Chapitre 11

— Si je remporte les jeux, je pourrai changer certaines choses dans notre société. Felicia, la dernière gagnante, n'a pas osé faire bouger les choses. Moi, je le ferai. Ma famille sera fière et s'élèvera. Ils ne seront plus obligés d'envoyer une fille pour les prochaines années. Nous ne sommes plus très nombreuses, continua de m'apprendre Jean.


Dégoulinante de sueur, j'avais arrêté de me battre et regardais les autres s'entraîner, commençant à comprendre l'enjeu de cette compétition pour certaines d'entre elles.


— Et toi ? Qu'est-ce qui t'a poussé à —


— J'ai été vendue.


C'était la première fois que je le disais haut et fort. Je repris le combat avec un coup violent comme pour ponctuer cette phrase. Jean eut le tact de ne pas réagir excessivement ou de me regarder avec pitié. Trouvant cet exercice libérateur et sachant que, de toute façon, elle n'en avait rien à faire, je me laissai aller à la confession.


— Je suis de la cité des Échanges.


J'essuyais mon front avec mon bras avant de reprendre ;


— Mon père trouvait que je ne servais à rien et que je n'avais aucun avenir. Ma mère est malade et il l'aime plus que moi. Il n'avait pas les moyens de payer son lourd traitement, surtout avec les placements qu'il avait faits dans certains échanges commerciaux. Lesquels ? J'en sais rien, car je ne sais jamais rien. Il disait que c'est depuis qu'elle m'a mise au monde qu'elle est malade et que je leur devais ça. Le lendemain, on était venu frapper à la porte et le Renard m'a embarqué.


Alors qu'elle semblait déséquilibrée et moins concentrée, j'en profitai pour abattre mon bâton sur elle, qu'elle dégagea avec son bras. J'avais eu peur de l'avoir blessée, mais son bras semblait aussi dur que du béton et la seconde d'après, elle avait attrapé mon arme, m'obligeant à la confronter les yeux dans les yeux.


— Le Renard ?


— C'est tout ce qui te choque dans ce que je viens de te dire ? m'exclamai-je essoufflée, ressentant subitement une pointe de côté.


— Ton père est un enfoiré, et alors ? Comme les trois-quarts des hommes sur cette planète. Peut-on en revenir au Renard ?


Je ne relevai pas sa froideur et son désintérêt. Nous étions loin d'être amies. Je remis une mèche derrière mon oreille et fis quelques pas dans le carré de combat pour détendre les muscles de mes jambes.


— Bien. Pourquoi ce détail de mon histoire te choque ?


— Parce que je ne savais pas qu'il venait chercher les proies chez elles. Je ne savais pas qu'il se montrait même au grand jour. Il reste toujours terré ici. Il ne sort jamais, d'après les rumeurs.


Quoi ?


Ne comprenant rien, alors que le sang chauffait mes tempes, je tournai lentement mon corps pour balayer la salle du regard, cherchant désespérément à localiser notre sujet de conversation. Mes yeux parcoururent chaque recoin jusqu'à ce qu'ils se posent enfin sur lui, à l'autre bout de la salle. Nos regards se croisèrent brièvement, mais il détourna immédiatement le sien, feignant l’indifférence, comme si je n'existais pas.


Après quelques secondes, il osa enfin relever les yeux vers moi. Nos regards se croisèrent à nouveau, cette fois plus intensément. Il ne détourna pas le sien, soutenant nos œillades avec une fixité troublante. Une tension palpable s’installa entre nous, une sorte de duel silencieux où chaque clignement d’œil, chaque souffle semblait chargé de défi.


Ses yeux, perçants et calculateurs, semblaient vouloir pénétrer les secrets de mon âme. Et j'espérais bien en faire autant. J’essayais de comprendre ce personnage complexe, cet homme insaisissable rempli de mystères encore non révélés. Je sentais mon cœur battre plus fort, chaque pulsation résonnant dans mes tempes à cause du combat qui s'était déroulé il y a quelques secondes.


— Harper ? m'interpelle Jean.


Je secoue la tête et reporte mon attention sur elle.


— Ce n'est pas lui qui est venu te chercher ? l'interrogeai-je Jean en me recentrant sur notre conversation.


— Non, c'étaient des membres de la cavalerie. C'est pour ça que j'étais étonnée quand tu m'as dit que...


Je ne l'écoutais plus et je sortais du carré.


— Hé, je n'avais pas fini !


Je m'en fichais complètement, j'avais besoin de réponses maintenant, et je savais qui savait tout sur tout et pouvait m'éclairer avec des réponses nettes. Lyse était plongée dans ses livres, je retirai son bouquin de ses mains. Son regard semblait vouloir assommer l'auteur qui l'avait arrachée de sa lecture, mais son expression se radoucit à ma vue puis se fit plus inquiétante.


— Oh Harper, tu as pris des coups...


— Dis-moi, qui est venu te chercher pour le jeu du Renard. Chez toi, je veux dire.


Elle cligna plusieurs fois des yeux face à mon ton et ma façon de changer de sujet et de la couper.


— Des gardes ? Pourquoi ?


— Ça ne pouvait pas être le Renard ?


Seul un petit rire nerveux sortit de ses lèvres, comme si j’avais perdu la tête. La frustration monta en moi, brûlante et inflexible. J’en avais vraiment ras le bol d'être vue comme l'ignorante.


Est-ce que c’était de ma faute si j’avais été enfermée presque toute ma vie ?Si personne ne me disait jamais rien, me jugeant indigne de la vérité et du savoir ?


Ces pensées tourbillonnaient dans mon esprit, un murmure d’injustice qui ne cessait de grandir. Chaque regard dédaigneux, chaque mot non-dit alimentait ma rage silencieuse depuis toujours. Ils ne voyaient en moi qu’une enfant naïve, ignorante des réalités du monde. Mais comment pouvais-je être autre chose alors que j’avais été privée de tout, cloîtrée dans une ignorance imposée par ceux qui prétendaient savoir ce qui était mieux pour moi ?


Je serrai les poings, sentant une colère sourde gronder en moi. Lyse semblait s'en rendre compte rapidement car elle se tut immédiatement et attrapa délicatement ma main.


— Pardon, excuse-moi... c'est juste que je trouvais ça drôle d'imaginer Le Renard marcher dans les rues des "communs des mortels", se pavanant entre nos maisons. Je ne me moquais pas de toi, promit-elle.


— Alors explique-moi au lieu de rire, je ne comprends rien à tout ça, et je crois que je suis sur le point d'exploser, avouai-je.


— Il ne sort jamais de sa tanière. Non, sans mauvais jeu de mots, il ne quitte jamais ses lieux. Soit c'est trop dangereux pour lui de sortir au grand jour, car beaucoup sont en colère, soit...


Elle s'interrompit dans ses pensées.


— Oh non, Lyse, je t'interdis de taire ces pensées maintenant. Dis-moi ! la pressai-je en tirant une chaise en face d'elle et refermant ma main libre sur la sienne.


— Tu n'as jamais réfléchi ou pensé à la possibilité qu'il était peut-être coincé ici comme nous et que cet endroit était une grande cage dorée dont il ne peut s'échapper ?

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1 commentaire

Jessica Goudy

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Il y a un an

Je te soutiens dans ton écriture 👏 N'hésite pas à me lire aussi si le coeur t'en dit 🙏😘
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