Fyctia
Chapitre 24 partie 1
Aodren serra les dents lorsqu'il aperçut en contrebas la ville fortifiée de Toren. Le lieu qu’il avait visité enfant avec son père avait étonnamment changé depuis. La muraille qui protégeait autrefois la ville était désormais encerclée par un second mur, plus haut et plus épais, qui abritait de nouvelles habitations. À l’extérieur des remparts, des champs et des fermes avaient également vu le jour.
Le prince ne put réprimer un grognement en songeant aux fausses informations qui parvenaient au palais depuis des années. Celles-ci décrivant Toren comme une petite ville fortifiée qui subsistait tant bien que mal, luttant contre les monstres de la frontière. Nombre de gens, comme le collecteur d’impôts ou les marchands qui circulaient dans tout le royaume, se rendaient à Toren pour faire ensuite leurs rapports à la capitale, pourtant aucune information sur l’agrandissement de la ville n’avait été donnée.
Il adressa un signe discret à l’un de ses hommes qui descendit de selle pour se défaire de sa cape et de son armure. Une fois débarrassé de son équipement, le chevalier remonta sur son cheval et se dirigea tranquillement vers l’entrée de ville.
Aodren se tourna alors vers le reste des troupes et donna l’ordre de monter le camp dans les bois, loin de la route.
La nuit était tombée depuis quelques heures lorsque le chevalier revint de la ville et s’annonça à la tente du prince. Aodren, qui discutait avec Marwen, ordonna qu’on le laisse entrer. Une petite fille apeurée suivait le chevalier en serrant ses mains contre sa poitrine. Ses cheveux bruns étaient noués en deux fines tresses, ses mains et ses joues recouvertes de crasse.
— Qui est cette enfant Laren ?
— Une marchande de Toren, répondit le chevalier en jetant un rapide coup d’œil à la fillette. J’ai jugé qu’il valait mieux qu’elle vous répète de vive voix ce qu’elle m’avait appris...
Aodren se releva de son fauteuil et s’approcha de l’enfant. Elle ne devait pas avoir plus de onze ou douze ans.
— Comment t’appelles-tu ?
— Y... Yrua, bégaya la petite apeurée.
Le prince s’accroupit pour se mettre à sa hauteur.
— Et où sont tes parents Yrua ?
— Je n’en ai pas.
— Elle vit dans l’orphelinat du cercle intérieur de la ville, entre les deux murailles, intervint Laren.
— Viens t’asseoir et prendre un verre d’eau, dit Marwen à la petite fille en lui adressant un sourire encourageant.
Cette dernière hésita puis vint s’asseoir sur la banquette où était installé le mage, à l’autre extrémité. Marwen lui remplit une tasse d’eau et la lui tendit, il poussa également vers elle le pain qui restait sur la table. Elle accepta avec empressement, but goulûment et se mit à dévorer le pain, tout en continuant à jeter des regards inquiets autour d’elle. Ses vêtements, trop grands et délavés, ne pouvaient camoufler la maigreur de son petit corps.
Aodren s’installa dans son fauteuil, face à la banquette, Laren restant debout à ses côtés. Ils attendirent qu’elle ait fini son bout de pain pour l’interroger.
— Donc, il semblerait que tu aies raconté une histoire intéressante à notre ami Laren, commença le prince.
Yrua acquiesça silencieusement.
— Tu veux bien nous répéter ce tu lui as dit ? Continua-t-il avec un gentil sourire.
— Oui... Je lui ai parlé de l’empereur.
— Tu le connais ?
— Non, moi je ne l’ai vu que de loin, mais Léon et les autres le voient souvent, et ils n’arrêtent pas de me parler de lui.
— Qui sont Léon et les autres ?
— Les autres enfants de l’orphelinat, énonça la petite fille. Léon a découvert qu’il avait un don pour la magie et depuis, lui et les autres passent leur journée à la maison du maire. Ils apprennent avec le mage de la ville, Rainir.
Elle finit sa phrase avec une grimace de dédain, sans doute pour camoufler l’envie qui brillait dans ses yeux.
— Et toi, tu n’y vas pas ?
— Non ! Tout ça pasque j’ai pas de don ! Mais je m’en fiche, moi au moins je ne suis pas devenu un pantin !
— Un pantin ? Comment ça ?
— Léon passe son temps à parler de son empereur par ci, son empereur par là. En plus, il lui a offert un de ces fichus bracelets en or et il n’arrête pas de me le montrer, comme si j’étais jalouse ! Il ne joue plus avec moi et si je dis du mal de l’empereur, il me gronde. La dernière fois, il m’a poussé par terre, finit la petite fille en touchant inconsciemment son bras.
— Je comprends, intervint Marwen. Tu te retrouves seule du coup.
— Non, on est plusieurs à pas pouvoir aller chez monsieur le maire. Seuls ceux qui font de la magie ou savent se battre y vont.
— Ah, et il y en a beaucoup qui vont voir l’empereur ? Demanda-t-il.
— Oh oui ! Même des adultes. Les étrangers leur offrent des trésors et des bijoux. Ils ont de la chance ceux qui peuvent y aller, eux, ils peuvent se payer à manger, pas comme d’autres... Du coup y a plein de commerçants qui travaillent plus, enfin ça, c’est tant mieux pour moi, hein. Comme ça, je vends plus.
— Qu’est-ce que tu vends ? L’interrogea Aodren.
— Des plantes. Je les cueille ici, dans ces bois. Je suis très doué pour repérer les plantes médicinales, annonça-t-elle avec fierté.
— Ah ça, c’est aussi un sacré don, lui dit Marwen avec un clin d’œil. Nous pourrons venir t’en acheter demain ? Tu nous feras visiter la ville ?
La petite fille rougit sous le compliment.
— Je ne suis pas sûre que vous pourrez venir, dit-elle cependant avec inquiétude. Les gardes demandent un laissez-passer pour rentrer dans la ville maintenant. Beaucoup se font rejeter et ne peuvent plus entrer. C’est pour ça que je tiens mon stand hors des murs, j’ai plus de clients comme ça.
— Mais ce n’est pas dangereux de rester hors des murs ? Demanda Marwen avec inquiétude. La frontière est proche, tu n’as pas peur des monstres qui pourraient en sortir ?
La petite fille fit non de la tête.
— Les étrangers défendent la cité contre les attaques de monstre depuis presque deux ans. C’est assez rare qu’ils s’approchent de la ville maintenant, on dit qu’ils ont peur de l’empereur et ses guerriers.
Aodren fixa la petite fille pensivement. Ils défendent les murs de la ville. Mais pour quelle raison ?
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