Fyctia

Eylen était assise par terre dans l’herbe fraîche, le petit Aaron âgé de six mois désormais, lové au creux de ses jambes pliées. La jeune fille venait régulièrement rendre visite à la petite famille qui s’était prise d’affection pour elle, depuis qu’elle avait sauvé Rose. Cette dernière la traitait presque comme sa fille, lui préparant de bons plats, lui proposant de rester dormir ou de s’occuper du petit Aaron. Charmy aussi s’était attachée à elle, lui confiant ses secrets ou autres ragots entendu au village.

Eylen redécouvrait peu à peu, avec une certaine nostalgie, ce qu’était d’avoir une famille. Mais elle ne s’autorisait pas à s’y attacher, refusant de dormir dans la chaleureuse maison, ne restant qu’une demi-journée tout au plus. La compagnie de son amie Elie lui était tout aussi agréable et moins douloureuse.

Les souvenirs de son passé resurgissant presque toutes les nuits pour lui rappeler ce qu’elle avait perdu par sa faute. Elle ne voulait pas risquer de commettre la même erreur, en remettant des gens qui comptaient pour elle en danger. Elle prenait donc bien garde à ce que personne ne voit son visage, ne racontant jamais d’anecdotes sur son passé pour ne pas laisser échapper une information qui aurait pu la relier à Essert ou Frozir.

Charmy et Rose étaient assises à ses côtés en train d’éplucher de longues tiges de rhubarbe. Elles avaient prévu de faire une tarte et des pots de confiture dans l’après-midi et Eylen se languissait de déguster ce met qui lui rappelait son enfance.

Aaron s’agita dans ses bras, essayant de lui piquer une de ses tiges de rhubarbe.

— Non Aaron, fit Eylen en riant.

Elle lui tendit un quartier de pomme que le petit bambin tenta de mâchouiller. Sans dents, l’opération se révélait fort ardue, ce qui ne manquait pas de faire sourire la jeune fille. Il avait désormais une petite touffe de cheveux roux, identique à ceux de sa sœur et sa mère, et de grands yeux bruns qui rappelait ceux de Sacha, son père.

Ce dernier était justement occupé à lui construire un petit lit de bois pour plus tard. En plus de couper du bois pour le revendre, le grand bûcheron travaillait aussi merveilleusement la matière. Fabriquant des meubles aux lignes douces et robustes, il sculptait également de petites figurines de bois qu’il vernissait ensuite pour les revendre. Les gens de la cité royale raffolaient d'ailleurs de ses petites statues. Sacha se rendait donc régulièrement à Emlet pour proposer ses produits à un marchand itinérant, qui cheminait souvent entre la cité et les villes environnantes afin de les vendre divers produits aux citoyens.

— Wendy m’a proposé de venir chez elle dans la semaine, elle veut que l’on prépare ensemble les guirlandes de fleurs pour la nuit du Walpurgis, expliquait Charmy à sa mère.

— C’est une très bonne idée, répondit Rose en souriant. Nelye, tu ne voudrais pas y participer ?

Eylen détacha son regard d’Aaron, surprise.

— Euh... Je ne suis pas sûre. Je dois aider Elie avec les cueillettes.

En réalité, elle préférait ne pas trop s’approcher de la ville. Les gens la regardaient toujours avec méfiance, dévisageant son bandeau noir. Non pas qu’elle n’ait pas eu l’habitude des regards insistant, c’était son lot quotidien depuis qu'elle était petite, mais elle ne voulait pas attirer trop l’attention sur elle ou sur Charmy et sa famille.

— Je suis sûre qu’Elie n’y verrait pas de problème, mais si tu as peur d’y passer trop de temps, nous pourrions en confectionner ensemble ici si tu préfères. Continua la femme d’un air innocent en se concentrant sur ses brins de rhubarbe.

— Mmm... oui, peut-être. répondit Eylen en souriant légèrement.

Rose était toujours très perspicace et subtile, elle savait la mettre à l’aise en toute circonstance. C’est agréable, pensa la jeune fille en chatouillant la joue du petit Aaron.

Elle se remit à son labeur, repensant à la dernière fête du Walpurgis à laquelle elle avait participé avec sa famille. Ils étaient allés tous ensemble à Frozir avec la famille de Caleb, apportant les guirlandes et couronnes de fleurs qu’elles avaient tissés avec sa mère et celle du jeune boulanger.

Caleb avait passé la soirée à essayer de danser avec la jeune fille, ils avaient beaucoup rit, et partagé de l’alcool de fleurs de sureau. La boisson sucrée avait réchauffé le corps de la jeune fille, la mettant dans un état d’euphorie envoûtant et agréable. Bien sûr, son père avait vite fait de les rappeler à l’ordre, leur rappelant que la consommation de ce breuvage était limitée pour les jeunes. C’était une soirée presque magique, la jeune fille se rappelait avec émerveillement les feux de joie et les chants des villageois.

Plongée dans ses rêveries, elle avait perdu le fil de discussion des filles et les écouta donc d’une oreille distraite en continuant sa tâche.