Fyctia
Chapitre 4 partie 1
Eylen resta plusieurs minutes immobile au milieu de la tente, comme tétanisée. Quand elle revint enfin à elle, un fort sentiment d’oppression s’empara d’elle et elle se précipita vers le rideau de l’entrée. L’échange n’avait duré que quelques minutes, pourtant la jeune fille avait l’impression d’être restée des heures dans l’ambiance sombre de la tente. Si bien que lorsqu'elle sortit à l’air libre, la lumière du soleil lui éblouit les yeux et elle se dirigea à l’aveugle dans la cour, percutant un passant. Se retournant pour s’excuser elle reconnut la cape sombre de l’homme qu’elle avait aperçu plus tôt avec le maire.
_ Excusez-moi, dit-elle en relevant la tête pour voir le visage de son interlocuteur.
L’homme avait la peau mate et une barbe noire et luisante taillée en pointe. Leurs regards se croisèrent et elle se remémora les paroles de la vielle voyante en découvrant les yeux foncés de l’homme. “ fuis l’homme aux yeux noirs”. Elle eut un mouvement de recul quand l’homme avança sa main pour lui attraper le bras.
_ Dorogaï … ! souffla-t-il, la colère se peignant sur son visage.
Ni une, ni deux, Eylen se retourna et passa à toute vitesse devant la garde qui rêvassait contre le mur d’entrée. Jetant un coup d’œil par-dessus son épaule, elle vit l’homme en capuche qui continuait de la fixer, immobile, une main sur la dague recourbée qui pendait à sa taille, les dents retroussées dans une expression de haine animale. Elle accélérât le pas pour passer le rideau d’entrée et ne prêta attention ni au garde qui se redressa à son passage, ni à Eugène qui l’interpella en l’apercevant.
Quelques mètres plus loin une main se posa sur son épaule gauche, et la jeune fille sursauta en réprimant un cri.
_ Oh ! Quelle mouche t’a piqué ? la questionna Eugène en fronçant les sourcils.
Eylen posa une main sur sa poitrine pour essayer de calmer les battements de son cœur et regarda derrière le garçon pour être sûre que l’homme en noir ne l’avait pas suivi.
Elle secoua la tête et reprit sa route en direction de la place principale.
_ Je dois retourner auprès de Brion, mon père va s’impatienter.
_ Ne sois pas si pressée, fit Eugène en lui attrapant le bras.
Eylen se retourna pour le fusiller du regard et tenta de se libérer.
_ Lâche-moi !
_ Tu pensais vraiment repartir sans même me remercier pour la balade ? Continua-t-il lui adressant un sourire lubrique. Vous les paysans, vous ne savez vraiment pas comment vous comporter avec les nobles.
Il tira sur son bras pour la rapprocher de lui. La jeune fille lui agrippa le poignet de sa main libre pour essayer de le faire lâcher prise, mais il ne s’en soucia guère et continua à la trainer à l’angle d’un bâtiment. Elle freina des pieds en grognant pour résister, son cœur déjà affolé s’accélérant de plus belle.
_ Je vais t’apprendre comment les gens comme toi sont censés remercier les gens au-dessus d’eux.
Eylen n’en pouvait plus de cette journée, tout allait de mal en pis ! Dans un élan de rage primaire elle se laissa tirer par le garçon, et quand elle fut suffisamment près, lui envoya de toutes ses forces un grand coup de pied dans l’entrejambe. Le garçon poussa un cri de douleur avant de tomber recroquevillé sur le sol et perdre conscience. Le sang d’Eylen se glaça lorsqu’elle comprit qu’elle avait certainement frappé un peu trop fort. Elle blêmit, puis s’enfuit à toute jambe en direction de Brion et des autres enfants.
Merde, merde, merde ! Pensa-t-elle en courant à toute allure. Il allait finir par se réveiller, et là ça allait être un gros problème. Je dois vite rejoindre papa, ensuite je lui expliquerai.
Le chemin de retour fut étonnement facile à trouver, et elle déboucha très vite sur le carrefour où jouait joyeusement le petit groupe. Elle s’approcha de Brion qui construisait une dune de terre pour la future piste de course.
_ On doit y aller Brion, dit-elle en lui tapotant l’épaule.
_ Quoi ? Déjà ? Oh non, encore une partie s’il te plait ! La supplia le garçon.
_ Non, dépêche-toi, papa nous attends !
Elle le tira par le bras pour le presser. Eugène n’allait certainement pas tarder. Il fallait qu’elle parle à son père avant qu’il n’arrive ! Brion râla mais la suivit sans résister. Il récupéra sa toupie et salua ses amis.
_ A plus les gars !
_ Salut Brion !
Martin leur adressa un salut de la main auquel Eylen ne put répondre, trop gênée pour le regarder dans les yeux.
Arrivés devant la boutique, ils aperçurent Owen qui garait justement la charrette déjà chargée avec les morceaux de mouton que Gill avait dû lui rendre.
_ Ah vous tombez bien ! Allez, montez on y va !
Il se tourna vers la boutique et salua Juden et sa femme avant de grimper à l’avant.
Brion le rejoignit et Eylen s’installa à l’arrière.
_ Papa ? commença-t-elle la gorge serrée.
_ Ah ! On a fait une bonne affaire finalement ! L’interrompit son père sans l’écouter. Juden a pas mal de clients en ce moment, je reviendrais rapidement le livrer je pense !
Eylen l’écoutait à moitié, concentrée sur la ruelle pour vérifier que personne n’arrivait. Il continua à parler des livraisons à venir et du travail qu’il y aurait à faire tout en guidant la jument entre les derniers passants qui flânaient.
_ … Ça fera certainement plaisir à votre mère.
_ Quoi ?
Owen la regarda par-dessus son épaule.
_ Tu m’écoutes ? J’ai dit que tu irais choisir le pain pour ce soir, ça fera certainement plaisir à votre mère.
_ Ah, oui... Répondit-elle en se retournant à nouveau vers la boutique de Juden.
Le stress lui serrait la gorge, plus les secondes passaient et plus Eugène risquait de débouler du carrefour. Allez papa, accélères ! Pensa-t-elle en fermant les yeux.
Alors qu’ils tournaient sur la droite elle aperçut au loin Josie et Bonie qui arrivaient en courant vers l’entrée de la boutique. Le cœur d’Eylen s’affolât. L’avaient-ils trouvé ? Non probablement pas ! Les autres ne savaient pas où nous allions. Il a dû se réveiller... Peut-être qu’il ne dira rien ? Ils étaient déjà à la sortie de la ville quand Eylen décida d’attendre d’être arrivée à la maison pour en parler à ses parents. Après tout, peut-être qu’elle n’avait pas frappé si fort que ça ? Et puis il ne se vanterait pas de s’être fait battre par une fille. Oui, elle expliquerait tout en rentrant et ça serait réglé.
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