Fyctia

La fraîcheur de la limonade ne servant pas à grand-chose, Mesdrak finit par vider le verre d’une traite. Ce que Hyko avait fait depuis déjà plusieurs minutes avec sa bière.

- Toujours mal à la tête ?

- Il y a encore quelque chose au sommet de mon cou ? demande le Dieu dont le front est posé sur la table de métal gris.

- Je pense que oui, répond-il en riant.

- Alors oui.

- Bon viens, marcher te fera peut-être du bien, lui propose Hyko en se levant.

Mesdrak l’observe retourner à l’intérieur avec leurs verres avant de revenir rapidement.

Ils marchent en silence durant de longues minutes. Cette ville est étonnante. Deux-cents mètres devant eux, une large route coupe la rue calme. Or, d’où ils sont, ni les voitures ni les gens ne semblent faire du bruit. Des oiseaux et des cigales se font même entendre dans les arbres qui bordent chaque trottoir.

- On va prendre un raccourci si ça ne te dérange pas, sinon ça va être trop long.

Hyko ignore royalement le regard peu rassuré que Mesdrak lui lance pour se diriger vers un petit appartement de pierres brunes, abîmées par le temps et les longs hivers de ce pays.

- Euh… on va où ? Tu sais qui habite là ou tu fais juste t’incruster ?

Le Dieu hausse les épaules et s’arrête devant le boîtier vissé au mur. Les numéros sont effacés et des araignées s’y sont même installées. Durant de longues, très longues secondes, Hyko reste planté devant, à réfléchir sur quel bouton appuyer.

- J’oublie toujours lequel est le bon… souffle-t-il avant de finalement appuyer sur le zéro, dérangeant les petites bêtes à huit pattes qui s’éloignent rapidement.

Instantanément, la porte se déverrouille et l’homme entre, tirant un Mesdrak incertain derrière lui. Il se dirige directement vers les escaliers menant au sous-sol.

- Hyko, tu m’expliques ce qu’on fait ici ?

- C’est voyant, non ? Je t’emmène quelque part !

- Étant donné que nous sommes déjà quelque part, non. Ce n’est pas voyant. Du tout.

Le sous-sol possède un long couloir où, sur chaque côté se trouve une porte. Une troisième porte se dresse au fond du corridor et c’est vers cette dernière que Hyko se dirige. Mesdrak ne cherche plus à comprendre et attend simplement de voir ce qui va arriver. Il hésite entre un placard à balais et le disjoncteur de l’immeuble…

Il est donc peu surprit lorsque le panneau central d’électricité apparaît derrière la porte. Ici aussi, les toiles d’araignées ont envahi l’espace, donnant certainement peu envie aux arachnophobes d’y mettre les doigts. Hyko ne l’est sûrement pas car il n’hésite pas une seconde pour baisser et monter certains interrupteurs. La tâche est vite accomplie et, le peu de lumière qui, jusqu’à maintenant les éclairait, disparaît, les laissant dans le noir total.

- Mauvaise manip’, rit Hyko en replaçant les interrupteurs et en rallumant la faible ampoule du couloir.

- À cette vitesse là, on aurait mieux fait d’y aller normalement… marmonne Mesdrak en l’observant recommencer.

- Roooh ! Ça va hein ! Je n’ai pas une mémoire d’éléphant !

Au grand désespoir de Mesdrak, il lui faut cinq autres essais pour enfin parvenir à ce qu’il tentait de faire. Et c’est à la fin de ce cinquième essai que quelque chose se passe enfin.

Sous les yeux lassés du plus jeune et surexcités de Hyko, le panneau électrique s’efface afin de laisser voir une grande salle circulaire où un grand nombre de personnes sont regroupées.

La lumière soudainement éclatante aveugle Mesdrak, mais il n’a pas le temps de râler que Hyko le tire à l’intérieur.

En se retournant, il aperçoit le disjoncteur reprendre sa place et la porte se fermer d’elle-même.

Les regards se posent alors sur eux, certains perplexes face à Mesdrak, d’autres agacés, pour Hyko. Ce dernier arbore un sourire gêné en guise d’excuse.

- J’avais oublié la combinaison, dit-il simplement.

- On ne s’en serait jamais douté ! Merci de l’avoir précisé ! s’exclame une femme sur un ton sarcastique.

Son sourire en coin dément tout de même une quelconque colère qu’elle pourrait ressentir à l’écart de l’homme.

Durant ces dernières vingt-quatre heures, Mesdrak n’a rencontré que des femmes violentes, voulant sa peau voir sa disparition totale de la surface des Univers. Or, celle-ci lui lance un grand sourire. Ses yeux sont d’un marron clair et ses cheveux tirent légèrement sur le noir.

- Si tu es ici c’est que Hyko a confiance en toi, mais je vais tout de même te le dire, ne révèle ce moyen de transport à personne. N’en parle pas.

- Je n’en avais pas l’intention, la rassure Mesdrak en souriant à son tour.

Elle hoche la tête avant de faire un signe de la main à un homme derrière elle. Celui-ci claque des doigts et au grand désespoir de Mesdrak, la pièce se met à tourner. Étant une personne qui a facilement le tournis, il se cramponne à Hyko pour ne pas tomber.

Ce n’est que trente secondes plus tard que tout s’arrête enfin. Le paysage a complètement changé. D’une simple pièce sans décoration ni rien, ils ont atterri dans une grande salle de réception, où tableaux célèbres, lustres de cristaux et tables recouvertes de nappes blanches prennent place.

- Bienvenu au Manoir des Dieux ! s’exclame la femme. Bon, théoriquement ça devrait être « des Dieux Déchus », mais nous sommes tous ici pour injustice, alors ça serait donner raison à ces imbéciles, marmonne-t-elle.

Le Manoir regroupe plus de cinq-cents chambres, toutes possédant leurs propres salle d’eau, trois salles de réceptions, deux piscines, un jardin de trois hectares, cinq bibliothèques et sept cuisines.

Les cuisiniers et les jardiniers sont des esprits errants à la recherche d’une destinée perdue depuis longtemps et qui passent l’éternité de leur temps ici.

Les résidents sont des Dieux Déchus qui ont abandonné leur mission et préfère vivre paisiblement sur Terre pendant que les autres s’ennuient du haut de leurs trônes. Mais l’idée d’une rébellion, bien que jamais prononcée, reste très perceptible…