Fyctia

Un Dieu peut se souvenir de tout. Des moindres détails d’un monde et de son fonctionnement. De la géographie et de l’histoire, des événements peu importants, des personnes qui en ont fait partie, des dates, de tout. Mais sa vie d’avant reste principalement un brouillard épais d’incompréhensions et de de mystères. Car les mortels ne connaissent pas les plus infimes détails de l’ancienne vie de cet être qu’ils vénèrent. Ils ne peuvent donc pas les ajouter à son histoire, privant ainsi le nouveau Dieu de précieux souvenirs.

Malheureusement pour Mesdrak, sa vie était peu connue. Sa personne oui, mais ça s’arrêtait là. Donc mis à part sa famille et la guerre, il ne lui reste rien de son passé.

Le nom qui n’a été prononcé qu’en un murmure fige Mick et laisse l’interpelé perplexe. Car il ne reconnaît pas ce visage. Il n’a même absolument rien de familier. Or, l’homme le connaît.

Son père ferme la porte d’entrée et pousse le petit groupe dans la pièce d’à côté où sont installés deux fauteuils, un canapé et une télévision. Freki et Geri bondissent instantanément sur les uniques fauteuils afin de patienter en étant confortablement installés.

- Tu t’appelles comment ?

- Mesdrak c’est ton prénom ?

- Comment papa te connaît ?

- Tu es un ami ?

- Ton prénom il est bizarre !

Le Dieu lance un regard paniqué à Mick, mais ce dernier l’ignore, il entraîne son fils à l’écart. Les deux fillettes ont quelques centimètres de différences et observent l’inconnu avec des yeux remplis de curiosité.

- Moi c’est Clara et elle c’est Éléa ! Pourquoi tu es avec papi ?

- Est-ce que Freki et Geri t’ont attaqué ? demande la plus grande en sautant sur le canapé. Ils aiment pas les inconnus.

Mesdrak a l’impression d’être noyé par le flot de paroles des deux petites, qui ont toujours quelque chose à rajouter à la phrase de l’autre.

- Les filles, laissez-le tranquille, intervient Mick avant de reporter son attention sur son fils.

Sur les visages pratiquement identiques, une moue boudeuse apparaît et elles s’asseoient côte à côte sur le canapé, les bras croisés. Lorsque le Dieu se retourne vers la porte du salon devant laquelle le père et le fils se tiennent, en pleine discussion silencieuse. C’est à son tour d’avoir une moue agacée. Il imite alors les filles et s’asseoit sur le canapé, à côté de la plus petite.

Les yeux sombres se posent sur lui avec un éclat de joie.

- Tu t’appelles vraiment Mesdrak ? demande Clara en chuchotant.

- Oui. Est-ce vraiment un prénom bizarre ? la questionne-t-il à son tour, un sourcil haussé.

- Oui, je l’avais jamais entendu, répond Éléa à la place de sa sœur.

- Oh… bah, ce n’est pas très grave, ce n’est pas gênant les prénoms originaux, dit-il en haussant les épaules.

- Bon ! Les filles, vos affaires sont prêtes ? demande soudainement Mick aux compagnes d’ennui du Dieu.

- Oui ! s’exclament-elles en chœur, vrillant l’oreille de Mesdrak qui leur lance un regard choqué en portant une main à son côté désormais sourd.

Le fermier n’étant pas à l’autre bout de l’appartement, de tels cris sont inutiles, mais elles ne sont visiblement pas du même avis…

Alors que Clara et Éléa quittent le salon en courant, Mick et son fils viennent s’installer en face de Mesdrak, faisant partir les chiens qui n’ont apparemment pas le droit de s’installer sur les fauteuils.

Le Dieu hausse un sourcil perplexe.

- Mesdrak, voici mon fils, Hyko, le présente-t-il.

L’invité a la très nette impression qu’il est sensé réagir comme s’il le connaissait, comme si ce visage et ce nom devaient lui être familiers. Mais ce n’est pas le cas. Ils lui sont parfaitement inconnus.

- Enchanté, dit-il avec un sourire gêné face à cette situation.

Une étrange lueur traverse les yeux couleur nuit, mais il ne dit rien. Face au silence pesant qui s’est installé, Mick décide de reprendre la parole :

- Je t’avais dit sur la route, qu’il voudrait certainement s’impliquer dans ton bazar, et j’avais raison. Mais je ne peux pas choisir à ta place, donc c’est à toi de décider.

- Mais… vous ne savez même pas ce pour quoi je suis ici, fait remarquer Mesdrak avec une pointe d’incertitude dans la voix.

- Nous connaissons les grandes lignes, c’est le principal, répond Hyko avec un sourire amusé.

- Ah…? OK… comme me l’a fait remarquer votre père un peu plus tôt, je ne sais pas tout sur tout, donc un peu d’aide ne devrait pas me faire de mal, accepte-t-il.

Mesdrak se rend bien compte qu’il fait quelque chose d’interdit, mais tant qu’ils n’en savent pas trop, ça ne doit pas être bien grave… enfin, c’est ce qu’il espère.

- Parfait ! s’exclame Hyko. P’pa je te confie les filles et dès que Mesdrak n’a plus besoin de moi, je passe à la ferme !

Mick hoche la tête et l’entrée fracassante des sœurs coupe court à la conversation. Elles s’arrêtent devant leur grand-père, montrant fièrement les petits valises qu’elles ont sûrement remplies d’un nombre surprenant de babioles et éventuellement de vêtements.

- On s’en va quand ? s’exclame Clara en attrapant le collier de Freki, assit à sa gauche.

- On va bientôt y aller. Mettez vos chaussures et j’arrive, répond Mick en leur offrant un doux sourire.

Alors que les fillettes trottinent hors du salon, le fermier pose son regard sur Mesdrak.

- Tu ne dois pas comprendre grand-chose à notre étrange petite famille, mais dis-toi que selon ton futur choix, nous pouvons aussi bien être de précieux alliés que de terribles ennemis. Ce petit paradis que nous sommes parvenus à créer, nous ne te laisserons pas nous le prendre, tranche-t-il sans une once de bonté avant de quitter la pièce à son tour.