Fyctia

Séléné était assise sur une chaise en plastique bleu, les doigts crispés sur ses genoux. La lumière blafarde de la salle d’interrogatoire clignotait par intermittence, projetant des ombres vacillantes sur les murs nus. Elle n’avait pas l’habitude de ce genre d'endroit, et l’odeur de la pièce, un mélange de tabac froid et de poussière, ne faisait qu'ajouter à son malaise.

En face d’elle, un jeune inspecteur, Aaron Davis, feuilletait un dossier. Dans d’autres circonstances, elle l’aurait trouvé beau gosse, avec son visage fin et ovale et ses yeux d’un noir insondable. Mais ce soir, elle n’avait ni le cœur ni l’envie de s’attarder sur ce détail.

Aaron finit par poser bruyamment le dossier sur la table, la faisant sursauter.

— Vous comprenez pourquoi vous êtes ici ? demanda-t-il enfin d’une voix douce et grave.

Séléné hocha la tête. Bien sûr qu’elle comprenait. Depuis que cette photo avait été publiée sur Facebook, son monde s’était une nouvelle fois écroulé.

L’homme fit glisser une feuille plastifiée vers elle.

— Vous avez vécu avec Émilie Beaumont-Walker, vous étiez son amie. Toute information que vous pourriez nous donner pourrait être cruciale pour retrouver votre sœur.

Séléné déglutit. Elle prit une profonde inspiration, avant de commencer à parler. Aaron prenait des notes, son stylo raclant doucement la surface du papier.

— Émilie était franco-américaine. Ses parents sont morts dans un accident de voiture quand elle avait huit ans. Ils vivaient à New York. Son père était avocat, sa mère dirigeait une galerie d’art. Après la tragédie, sa grand-mère, une Française, l’a recueillie.

Elle marqua une pause, cherchant ses mots avec une nervosité palpable.

— Iris et Émilie étaient dans le même lycée, mais je ne savais pas qu’elles se connaissaient. Les filles du proviseur étaient de vraies ordures, car elles harcelaient Émile. Elles se moquaient d’elle, l'insultaient

… Et quand elle s’est plainte au proviseur, elles l’ont frappée. L’administration a fermé les yeux.

L’inspecteur Davis hocha la tête, l’encourageant à continuer.

— Un professeur d’anglais, Mr Robbins, a essayé de l’aider mais il a été viré.

— Avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel ? Des menaces, des disputes, un changement dans son comportement ?

Séléné secoua la tête, ses yeux baissés, fuyant le regard insistant de l'inspecteur.

— Non… Elle agissait normalement, je suppose.

La tension dans la pièce devenait presque palpable. L'inspecteur Davis tourna une page de son carnet et, avec un soupir, poursuivit.

— La police française a retrouvé le propriétaire du taxi grâce à la plaque d’immatriculation visible sur la photo. L’entreprise s’appelle Snabb Taxi. Mais, et c’est là que ça devient étrange, cette société a fait faillite en 2015, et tous les véhicules ont dû être envoyés à la casse. L’ancien dirigeant, un suédois expatrié en France, n’a pas pu être interrogé : il est décédé en 2016 d’une crise cardiaque. Le propriétaire de la casse nous a dit qu’un inconnu lui avait acheté un véhicule avant qu’il ne soit détruit, via un intermédiaire… un certain Liang Wei.

Il s'arrêta, observant la réaction de Séléné avant de reprendre.

— La police chinoise l’a retrouvé : c’est un étudiant qui a fréquenté la même université que votre sœur en 2018. Il était fauché. Quelqu'un l’a payé pour se faire passer pour un entrepreneur intéressé pour ouvrir une entreprise de taxi en France. Mais la personne qui l’a contacté, s’appelle Dara Serey, et… la police cambodgienne a découvert qu'Alma Anderson avait un faux passeport à ce nom.

Le silence se fit. Séléné leva les yeux, le cœur battant.

— Alma… Alma Anderson, murmura-t-elle, l’esprit envahi par une sensation d’effroi.

— Nous ne savons toujours pas où elle se trouve, mais elle a été adoptée dans un orphelinat au Cambodge. Et tenez-vous bien… Mr Robbins, a enseigné l’anglais dans cet orphelinat avant l’adoption d’Alma. L’orphelinat reçoit des fonds de l'entreprise Nutriska. Mais cette dernière refuse de coopérer et prétend ne plus avoir de lien avec Oscar Anderson …