Fyctia

Iris se figea. Pourquoi cette inconnue connaissait son prénom ? Et comment avait-elle obtenu son numéro ? Peut-être que Lys était une hackeuse travaillant pour un groupe complotiste persuadé que les pyramides égyptiennes avaient été construites par des extraterrestres ? Ou peut-être qu’elle s’emballait un peu trop et qu’il s’agissait simplement d’une arnaque… Après tout, des escrocs se faisant passer pour son banquier l’appelaient tous les jours.

Rassurée par cette dernière hypothèse, Iris bloqua le numéro et sanglota devant Le Roi Lion. Plus tard, elle brûla les affaires de son ex au-dessus des toilettes, priant pour que le détecteur de fumée ne se déclenche pas. Elle ne voulait pas réveiller l’immeuble à minuit moins le quart.

Un peu apaisée, elle décida de sécher les cours le lendemain et de prendre du temps pour elle. Dolores Ombrage pouvait bien attendre un jour de plus pour corriger sa dissertation sur l'évolution de la représentation des femmes dans la littérature anglaise. Et puis, après tout, elle aurait comme d’habitude une mauvaise note. Elle ne s’intéressait pas du tout à la littérature, et les seuls mots anglais qu'elle connaissait étaient ceux qu’elle avait appris en regardant un mème de Hollande disant : « be proud of you».

Après une courte nuit, Iris arpenta les allées étroites de la friperie du quartier. Elle s’arrêta devant un portant débordant de pulls en laine et choisit un pull noir avec un col en V. Elle s’apprêtait à l’essayer quand elle reçut un autre message de Lys, envoyé avec un nouveau numéro : « Tu as été trahie, Iris. Mais tu n'es pas seule. Moi aussi, j'ai été brisée. Mais j'ai retrouvé la force de me reconstruire, et je sais que toi aussi, tu peux le faire».

Elle releva la tête et croisa son propre regard dans le miroir. Pourquoi Lys continuait-elle de la contacter ? Qui était-elle et que voulait-elle ?

Soudain, une notification apparut sur son écran : Manelle56, une de ses amies sur Instagram, venait de la taguer. Intriguée, elle ouvrit l’application et découvrit une nouvelle publication de son ex-meilleure amie, où elle apparaissait main dans la main avec Esteban.

Manelle avait commenté : « C’est quoi ce bordel ? Esteban n’est plus en couple avec Iris ? ».

Iris sentit son estomac se nouer. Elle ferma Instagram d’un geste brusque et inspira profondément. Ce n’était pas le moment de s’effondrer. Elle devait garder le contrôle. Mais une chose était certaine : elle ne pouvait pas rester là.

Elle reposa le pull et quitta le magasin. Cependant, en passant devant un bar, elle décida impulsivement d’y entrer et d’y commander de la vodka. Le serveur la regarda bizarrement — ce qu'elle ne pouvait pas lui reprocher puisqu'il était onze heures — mais il finit par lui servir des shots.

Elle enchaîna les verres, espérant oublier son ex et supprimer la douleur qui comprimait sa poitrine. Mais la douleur resta et s'intensifia quand elle repensa malgré elle à sa première rencontre avec Esteban. Elle l’avait rencontré dans une boîte de nuit à Ibiza, où ses parents possédaient une maison de vacances. Un pervers avait tenté de la peloter sans son consentement, mais Esteban était venu à sa rescousse, tel un prince charmant…

Son téléphone vibra. Elle regarda et vit que Lys l’appelait. Elle décrocha et demanda difficilement :

— Comment a-t-elle pu faire ça ? Elle était ma meilleure amie… Et lui, mon petit ami… Ils m'ont trahie, tous les deux…

Une voix féminine et compatissante répondit :

— Je sais à quel point ça fait mal. Ils t'ont brisée, et maintenant, c'est à toi de te reconstruire, loin de tout ça.

— Je ne veux plus souffrir. Peux-tu m’aider ?

— Il y a un endroit, en Suisse, où tu pourras guérir. C’est une forêt magnifique, avec des lacs naturels. Là-bas, je pourrai t’aider. Par contre, c’est un voyage que toi seule peux entreprendre.

— Mais, Lys, je ne peux pas partir comme ça. Il faut que je prévienne ma famille, je suis sûre qu'ils comprendront…

— Vraiment ? Tu crois qu'ils savent ce que tu ressens ? Non, ils te jugeraient. Ils te diraient que tu dois pardonner. Mais toi, tu sais que la douleur ne s'efface pas comme ça. C’est pour cela que tu dois partir.

Iris resta silencieuse, le téléphone serré entre ses doigts tremblants. Lys avait raison. Personne ne comprendrait. Personne ne pourrait ressentir cette douleur sourde qui lui vrillait la poitrine. Pas sa famille, pas ses amis. Ils lui diraient d’oublier, de passer à autre chose. Mais ce n’était pas une trahison anodine.

Elle inspira profondément et ferma les yeux. Une forêt en Suisse… Un endroit où elle pourrait disparaître et se reconstruire. Cela semblait irréel, presque trop beau pour être vrai. Mais pourquoi pas ? Elle n’avait plus rien à perdre.

— D’accord, souffla-t-elle. Dis-moi quoi faire.

Un silence, puis la voix de Lys, douce et rassurante, glissa à son oreille :

— Ne dis rien à personne. Fais ton sac avec juste le nécessaire. Quelqu’un viendra te chercher. Et dès que tu seras en route, je t’expliquerai la suite.

Iris hésita une seconde, une infime seconde où une alarme intérieure tenta de se déclencher. Mais elle l’étouffa aussitôt.

— D’accord, répéta-t-elle, plus fermement cette fois.

— Parfait. Avant de raccrocher, enregistre mon numéro.

L’appel se termina dans un bip sourd. Elle resta un moment immobile, fixant l’écran de son téléphone, puis se leva en titubant. Elle devait rentrer pour se préparer. Un long voyage l’attendait …