Fyctia
CHAP.6 ~ Kout Ba 2/2 ♫
Kalindra raconte brièvement mon parcours au neurochirurgien qui l'écoute attentivement. J'ai l'impression d'être à une consultation avec ma mère, comme lorsque j'avais 14 ans. C'est une situation désagréable mais il faut l'avouer, j'aime mieux qu'elle explique tout ça, que moi.
— Mme Bayi ?
— Oui, Docteur ?
— J'aimerai savoir quelles sont vos sensations. Racontez-moi.
— Elle vous a tout dit !
— Non. Je veux avoir vos mots, votre ressenti. C'est important si je veux vous aider.
— Je suis moi sans être moi, Docteur ! Je ne sais plus exactement qui je suis.
La consultation dure près de 45 minutes, durant lesquelles je détaille absolument tout de ma vie parfaite avec Bailey et Keziah. Je lui raconte aussi ce que j'ai vécu là-haut dans les étoiles. Le silence absolu, la sérénité, Papa, Papili, les êtres de lumière, l'amour incommensurable que j'ai ressenti, les 147 jours avant Noël.
Je lui explique que j'ai la sensation que mon esprit n'est pas dans le bon corps ou vis-versa, je ne sais pas... L'impression que je vis dans deux mondes parallèles et qu'on me fait une mauvaise blague.
Il m'écoute sans me couper et prend des notes que seul un pharmacien pourrait déchiffrer. À la fin de mon récit, il pose son stylo et me fixe intensément :
— Eh bien ! Nous sommes là dans un cas extrême et précis d'une EMI.
— De quoi ? demandons-nous en même temps.
— Une EMI. Une Expérience de Mort Imminente. En réalité, votre cerveau à continuer de fonctionner alors que vous étiez dans le coma. On ne sait pas encore l'expliquer scientifiquement, mais votre expérience est vraie et ne doit pas être niée. Il y a des milliers de personnes dans votre situation.
— Ah oui ?
Une onde de soulagement traverse mon corps tout entier. Je ne suis pas folle !
— Oui Madame. Un grand nombre de mes collègues ignorent ou minimisent cet aspect des choses, mais vous n'êtes ni menteuse, ni délirante.
Il l'a bien dit... Je ne délire pas !
— Alors j'étais morte et je suis revenue à la vie ?
— Vous n'êtes jamais morte et votre cerveau s'est mis à exploiter 100% de ses capacités en toute autonomie.
— On peut donc dire qu'elle est bionique maintenant ? s'excite Kalindra.
— C'est-à-dire ?
— Je sais des choses que je ne devrais pas savoir et j'entends parfois le cœur des gens, leurs sentiments, leurs pensées. C'est beaucoup moins exagéré depuis que je suis sortie de l'hôpital, mais j'ai parfois l'impression d'être extra-lucide. Vous voyez ce que je veux dire, Docteur ?
— Parfaitement. Ce sont des choses que ni vous, ni moi ne pouvons maîtriser.
— Ça va disparaître, dites ? Je voudrais redevenir normale.
— Mais vous êtes normale Mme BAYI. Simplement, votre expérience a été si particulière et si intense que vous fonctionnez différemment aujourd'hui. Parfois, ces manifestations s'estompent. Parfois elles disparaissent totalement, parfois pas. Vous verrez avec le temps. L'important, c'est d'accepter ce que vous êtes vraiment.
— Et que suis-je ? Hein, Docteur ?
— Soyez indulgente avec vous-même. Tout va rentrer dans l'ordre. Il faut laisser le temps au temps.
Je sors de cette consultation complètement retournée. Je n'ai pas dit un mot depuis que nous sommes sorties du cabinet. Kalindra, que toute cette histoire a rendu fébrile, ne cesse de bavarder dans mes oreilles, me rendant presque chèvre.
— Tu vois Maï, t'es pas une **guedin ! Faudrait l'expliquer à ta mère.
— Tu parles ! Elle est persuadée que je suis folle, ce diagnostic ne la convaincra pas.
— Même venant d'un éminent Neurochirurhien ?
— Pire, elle ira chercher tous les Pasteurs d'Haïti et de la Caraïbe pour qu'ils fassent une prière d'autorité en ma faveur.
— Oh c'est sûr que c'est déjà fait ! s'esclaffe Kalindra qui a conscience du niveau de religiosité de ma chère Maman.
Mon amie passe le reste de la soirée avec moi. Je lui raconte ma vie dans les étoiles et elle fait le lien avec la réalité dès que c'est possible : Je lui dit que j'étais prof de danse et elle m'indique que j'ai toujours aimé la danse, mais peut-être pas au point d'ouvrir ma propre école. Elle me dit aussi que je suis plus douée pour le dessin, que pour la danse et que ma mère a toujours considéré les artistes comme des ratés. Raison pour laquelle je n'ai pas fait les beaux-arts, comme je l'aurais tant souhaité. Je lui parle de Keziah et elle me raconte que je rêvais d'avoir une petite fille aux yeux clairs comme Pierrick.
Lorsque j'attrape, le burger qu'on vient de nous livrer, j'enlève directement les cornichons, ce qui l'a fait halluciner. Apparemment, avant l'accident, j'étais capable de m'enfiler un pot de cornichons devant un bon film.
Je déteste les cornichons !
En six mois, je suis devenue une autre personne et cette transformation intérieure me perturbe profondément. Malgré tout, Kali reste là, à mes côtés. J'admire sa capacité à m'entendre raconter des histoires instables et irréelles, sans jamais me juger. Pas sûre que j'en aurais été capable, à sa place. Toutefois, plus Kali me parle de moi, plus j'ai envie de me retrouver et de me donner une chance de reprendre ma vie en main.
— Tu es une chic fille, Maï. Et tu as toujours été apprécié, malgré ton fichu caractère.
— Ah oui ?
— Oui. Il n'y a que Marie-So qui te déteste. Et ça, depuis la nuit des temps.
— Qui c'est celle-là ?
— Marie-Solenn Royer, ta super collègue de travail ?! Si elle peut te la mettre à l'envers elle, le fait !
— Je suis encore moins pressée de reprendre le travail.
— Faudra bien que tu y retournes Maïra. Tu ne vas pas vivre toute ta vie sur tes petites économies.
— J'ai peur.
— De quoi ? T'es la meilleure assistante dentaire du cabinet. Les enfants veulent toujours que ce soit toi à leurs côtés. Toi au moins, tu es professionnelle, drôle et sympatique. Marie-So en revanche, euh...
— Je ne suis pas prête.
— Prête ou pas, tu n'y échapperas pas.
— Mwouai...
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