Fyctia
CHAP.4 ~ I’ll be home 1/2♩
11 Septembre
Je suis triste. Je voudrais fuir et m'en aller loin des tracas qui s'amoncellent dans ma vie, comme des déchets dans une décharge à ciel ouvert. Je ne veux plus vivre. Je veux repartir là-haut. À chaque fois que je m'endors, je prie pour qu'on me ramène à mon merveilleux réveillon de Noël.
Si seulement je pouvais être morte !
✩
30 septembre
À part mon amie Kali, personne ne me fait plus confiance. Les médecins me disent fragile et considèrent que j'ai besoin d'être accompagnée. Tout ça, parce j'ai piqué une crise de nerf du feu de Dieu, lorsque j'ai réalisé que je ne portais pas d'enfant. Échographie à l'appui, on m'a affirmé que si ça avait été le cas, ce serait l'enfant de Pierrick et pas d'un Bailey qui n'existe pas.
J'ai « pété une durite » et ne pas faisant pas les choses à moitié, j'ai atterri dans cet établissement pour dégénérés chroniques. Là-bas, on me bourre de cachets pour tromper ma folie.
Sauf que je ne suis pas folle ! Déconnectée de la réalité – peut-être – mais pas folle pour un sou !
Je me lève et colle mon front sur la baie vitrée. Mon souffle génère de la buée que j'essuie d'un coup sec avec la manche de mon gilet. Dehors, la douceur de l'automne a envahi le parc environnant.
Alors que j'observe les feuilles mortes tourbillonner, mon esprit m'embarque dans des pensées que je ne parviens pas à ignorer : 147 jours avant Noël, avaient-ils dit. Était-ce un rêve, ça aussi ?
Comment le savoir puisque toutes mes certitudes ont été broyées en une fraction de seconde, par un bulldozer nommé réalité ? De toute façon, je n'ai pas trente-six mille solutions, si je veux m'en sortir :
1 - Je dois accepter que Bailey et Keziah n'existent pas
2 - Je dois cesser de jubjoter
3 - Je dois éviter de penser à Noël
Augustina, mon infirmière référente, entre dans ma chambre apportant avec elle sa gaité habituelle :
— Eh bien Maïra, vous êtes bien matinale ! D'habitude je suis forcée de vous secouer les puces, ne serait-ce que pour terminer votre petit-déjeuner.
— Aujourd'hui, ça va, réponds-je avec entrain. Mieux que les autres matins.
Elle prend ma tension, avant de me tendre ma portion de cachets et un gobelet rempli d'eau.
— Pas aujourd'hui, s'il vous plaît. J'aimerai garder les idées claires. J'en ai assez d'être shootée.
— Voyez-vous ça ? s'étonne-t-elle en calant sa main libre sur sa hanche.
— Dites Augustina, pensez-vous que le Dr Gerlan acceptera de revoir mon traitement?
— Je ne sais pas Maïra. Je lui en parlerai, si vous voulez. En attendant, prenez vos médicaments. C'est le protocole.
Il a bon dos ce protocole.
Perso, je suis déterminée à ne pas finir mes jours chez les fous. Ma place n'est pas ici.
Où est-elle ma place d'ailleurs, hein ? Ça, je n’en sais plus rien.
Après ma toilette, j'enfile ma plus jolie tenue. C'est la première fois depuis la fin de mon coma que je daigne me vêtir autrement qu'en pyjama. Jusqu'ici, j'étais une loque pleine de colère et de ressentiments. Incapable de raisonner, je m'enfonçais dans mes obsessions. Je veux aller mieux maintenant.
Je passe le reste de la matinée à zapper. Une chance que ma sœur ait insisté pour que j'aie au moins la Télé – à défaut de mon téléphone portable, pour tromper l'ennui.
Cela me permet surtout de me mettre à jour. J'ai par exemple appris qu'en mai dernier, nous avons changé de président et de gouvernement. Et aussi, qu'un second volet de « Black Panther » sortira dans quelques temps. Keziah adorerait aller le voir au ciné.
Qu'est-ce que je raconte ?
KEZIAH. N'EXISTE. PAS.
Je dois me répéter cette phrase mille fois pour reprendre corps avec la réalité. C'est difficile de refouler mes espoirs mais si je veux m'en sortir, je dois absolument m’ôter toutes ces fausses vérités de la caboche.
✩
En début d'après-midi, le Dr Gerlan entre dans ma chambre, entouré de deux jeunes médecins – certainement des étudiants.
— Mademoiselle Bayi, j'ai cru comprendre qu'il y avait du mieux ?
— Exact.
— C'est bon signe. Avez-vous toujours ces hallucinations ?
— Plus du tout. Je ne sais pas pourquoi j'ai rêvé si fort.
— Plus aucune ? En êtes-vous sûre ?
— Je ne suis pas folle, vous savez ? Et je ne l'ai jamais été.
— Ce n'est pas la question Mademoiselle.
— Pourquoi me gardez-vous ici, alors ?
— Parce que vous montriez des signes de défaillances psychologiques. Notre devoir était de vous protéger.
— J'entends, mais je vais mieux à présent.
— Il parait.
— Du coup, pouvons-nous envisager une sortie ?
— Pas dans l'immédiat.
— Comment ça ?
— Il y a un protocole à respecter, nous devrons nous assurer de certaines choses, avant de programmer votre départ. Et votre famille doit être informée.
— Je suis majeure et vaccinée, ma santé ne concerne que moi !
— Ne vous fâchez Mademoiselle, mais on vous a vous admise ici avec l'accord de votre mère. Il me semble normal que votre sortie se prépare avec elle à vos côtés.
— Si vous le dites...
✩
09 Octobre
Trois entretiens psychiatriques, deux visites chez l'ergothérapeute et l'assistante sociale, voilà ce que j'ai dû subir pour gagner ma liberté. Ma date de sortie est finalement actée. Demain matin, je serai chez moi. Sauf que chez moi, c'est aussi chez Pierrick. Si l'on considère que cohabiter avec ma mère peut être un calvaire, vivre avec Pierrick est l'option la moins pire !
Plus pieuse et envahissante qu'une mère haïtienne, il n'y a pas. Donc vivre ma convalescence, chez elle ? Jamais ! Et puis, j'en veux encore à Maman pour son manque de confiance qui a conduit à mon internement.
Ça, je ne suis pas près de lui pardonner !
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