Fyctia
CHAP.4 ~ I’ll be home 2/2♩
Sagement assise sur le bord de ce lit que je ne regretterai pas, j'attends qu'on vienne me chercher. Le centre a commandé un taxi et il a déjà quinze minutes de retard. Les yeux dans le vague, je fais mentalement ma To Do List des prochains jours :
✓ Dîner chez Gino avec Kali et m'enfiler une burrata généreuse et bien crémeuse.
✓ Faire un tour chez le coiffeur. D'ailleurs, vu l'état pitoyable de mes cheveux, c'est par là que je devrais commencer !
✓ Rencontrer les jumelles de deux mois de ma soeur... Encore un mystère que je n'éclaircirai jamais.
— Bonjour, ma chérie !
La voix grave de Pierrick me surprend. Ce dernier se tient debout à l'entrée de ma chambre. Je le dévisage.
— Mais qu'est-ce que tu fiches là, réponds-je sèchement.
— Je trouvais que c'était plus sympa de te ramener chez nous. Le taxi c'est impersonnel, tu ne trouves pas ?
Pour seule réponse, je hausse les épaules.
— Tu... Tu viens ?
Quel ironie ! Entre un chauffeur de Taxi et Pierrick, il n'y a aucune différence pour moi. Quoi qu'il arrive, je suis en train de suivre un homme que je ne connais pas.
Ma vie est pire qu'un Drama coréen !
Apparemment ensemble depuis cinq ans, notre mariage est prévu pour le printemps prochain. J'essaie de rassembler tous mes souvenirs, mais aucune image d'une demande en mariage ou même d'une sortie avec Pierrick, ne me revient à l'esprit.
Comment est-ce possible de passer à ce point, à côté de sa propre vie ?
Je suis Pierrick jusqu'à sa voiture et pose mon sac – que j'ai refusé qu'il porte – dans son large coffre. J'aurai du le lui laisser finalement, il était bien trop lourd pour moi. Galant, ce dernier m'ouvre la portière et la referme une fois que je suis bien installée. Il entre à son tour dans l'habitacle et expire lourdement avant de démarrer.
Il semble autant stressé que moi.
Le pauvre.
Le silence omniprésent me mets mal à l'aise. D'ailleurs, je ne sais pas pour qui de nous deux c'est le plus difficile. Lui, parce qu'il marche en permanence sur des œufs à chaque fois qu'il doit me parler ou m'approcher ? Ou moi, parce que je ne me souviens pas de lui comme je le devrais ? En réalité, peu importe, je n'ai pas le choix. Si je veux que les choses s'arrangent, je vais devoir prendre sur moi et oublier Bailey et Keziah. Je dois accepter, cette « réalité ».
Alors que nous roulons à travers la ville, je me rends compte que je connais cet endroit comme ma poche. Et en même temps, je m'en sens totalement étrangère. Au fur et à mesure que nous progressons, mes yeux s'emplissent de larmes. Ces six mois dans le coma ont causé de lourds dommages et je ne sais pas si je m'en remettrai complètement un jour.
— Ça va ? me demande Pierrick inquiet.
— Ça va, merci.
Je n'ai aucune envie de lui dire que je suis chamboulée. Lui-même fait ce qu'il peut pour contenir son émotion, alors...
— Ça y'est. Nous y sommes.
— Je sais.
J'ouvre la portière et descends du véhicule en lançant un regard furtif vers le haut de notre immeuble.
— Nous habitons au cinquième étage, annonce Pierrick, en sortant mon bagage du coffre.
Cette fois-ci, je le laisse faire. Rien ne sert de jouer les guerrières. Ce fichu bagage m'a explosé le bras tout à l'heure !
— Je m’en souviens bien.
Mon « fiancé », affiche un sourire rassuré.
Une fois dans l'ascenseur, mon malaise s'accroit. Je me rends compte que je ne suis pas certaine de supporter la promiscuité avec lui. Ce qui est sûr, c'est qu'il est prévenant et charmant et je peux comprendre pourquoi je l'ai aimé. Malheureusement, je ne ressens absolument rien pour lui aujourd'hui.
Pierrick pose mon sac au sol, et sort son trousseau de clés. Il ouvre la porte et me laisse entrer la première :
— Bienvenue chez toi Maïra, clame-t-il solennellement.
— Merci.
— Tu veux quitter ta veste et te mettre à l'aise ?
Je hoche la tête et ce dernier me tend une paire chaussons en forme de licorne, qui me laisse circonspecte.
— Ce sont bien les tiens. Tes préférés !
Sa réflexion me tire un sourire. Le premier depuis très longtemps.
— J'adore !
Soulagé par ma réaction, le regard vert de Pierrick s'éclaire.
— Veux-tu boire quelque chose ? Un thé, un chocolat, un jus de fruits ?
— Un jus d'Ananas s'il te plait.
— Comme d'habitude... Je vais te le chercher. Je t'en prie, installe-toi !
J'avance dans le séjour où tout est parfaitement rangé. Des cadres photos trônes sur un petit meuble en bois vieilli. Il y a des photos de Pierrick et moi. Nous semblons très heureux et amoureux. Je n'en reviens pas que toute cette histoire soit vraie.
— Ah ça, c'était le jour où je t'ai demandé en mariage. Et ça c'était au concert de Carimi*, dit Pierrick en s'approchant.
— Tu fais quoi dans la vie exactement ?
Surpris par ma question, Pierrick met quelques secondes à répondre. Il est ingénieur en aéronautique. Il conçoit des moteurs et des réacteurs ou je ne sais quoi de trop compliqué pour mon cerveau blessé.
— Tu viens ? C'est prêt, propose-t-il en dirigeant sa main droite en direction du petit encas installé sur la table basse.
— Oh ! du pain d'épice. J'adore ça. Comment tu sais ça toi ?
— Ben, tu es ma fiancée... Et je t'aime depuis cinq ans Maï !
Instantanément mon visage s'assombrit. Je m'en veux de ne pas retrouver tous mes souvenirs ; tout est brouillé dans mon esprit. Pierrick, voit que je me referme et il tente de me prendre dans ses bras. Ma réaction est brutale, je le repousse sans crier gare.
Personne n'a le droit de poser ses doigts sur moi, si ce n'est : Baile…
L'impossible réalité me rattrape de plein fouet. Sans rien commander, mes larmes se mettent à rouler sur mes joues creusées par l'épreuve.
— Je suis désolée...
C'est tout ce que j'arrive à baragouiner. Pierrick patient, me conseille de prendre le temps nécessaire pour me retrouver. Il dit qu'il ne m'en veut pas et que ma réaction est normale. Il me dit aussi qu'il est heureux que j'aille mieux et que c'est l'essentiel.
Et si l'essentiel n'était pas réel ?
*Carimi : Un trio haïtien de musique kompa.
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