Fyctia
Chapitre 4
La porte était bloquée mais je réussis à m’insinuer à l’intérieur. Chaque centimètre carré était obscurci par de la mousse qui proliférait sans relâche. Le pare-brise était absent, remplacé par des branchages. Les sièges élimés par l’absence d’élèves et le sol jonché de déchets. Bouteille en plastique, vieux magazines, bottes…
Attendez une minute… Des bottes ?
Elles dépassaient entre une rangée de sièges au milieu. Je braquai mon téléphone dessus en m’avançant. Chaque pas produisait un son sourd, résonnant contre le métal vidé de substance. C’était l’aspect neuf de ces souliers qui m’avait interpellée. Tout le reste paraissait moisir ici depuis des années. Pas eux.
J’avançai lentement mon pied pour y donner un coup, persuadée qu’elles ne bougeraient pas en retour. Qu’elle ne fut pas ma terreur de les voir disparaître dans l’ombre.
- AH !
Mon cri répercuta contre les parois métalliques avant de se bloquer dans ma gorge lorsqu’une main m’agrippa pour me tirer à terre. Je tombai comme une vulgaire masse et m’apprêtai à pousser une nouvelle fois de la voix quand la même main se plaqua contre ma bouche. Le visage de Clémence sortit de l’ombre et se colla à moi. Elle plaça un doigt sur ses lèvres pour me signifier le silence.
Au même moment, un rayon de lumière traversa les vitres sales du bus et fit dérailler mon souffle. Clémence appuya plus fortement sa paume contre mon visage. L’éclat sérieux dans ces yeux me dissuada de faire le moindre mouvement. Je hochai légèrement de la tête pour lui montrer mon assentiment. Elle s’écarta alors que la lumière ne cessait de passer d’un bout à l’autre de l’habitacle. Je m’aplatis un peu plus au sol, rejetant mes haut-le-cœur à l’idée de tout ce qui pouvait le parsemer. En particulier les insectes. Je fermai les yeux pour bloquer cette vision quand le souffle lâché par Clémence m’indiqua que la menace, quelle qu’elle soit, était passé. Elle se redressa sur les talons, se haussant par à-coups pour jeter des coups d’œil rapides à l’extérieur.
- Je crois que la voie est libre, murmura-t-elle si bas que je dus me rapprocher pour l’entendre.
- Tu peux me dire ce qui se passe ?
Je m’adressai à elle sur le même ton, si bien que je n’étais pas sûr que mon anxiété soit perceptible. Sinon, mon souffle rapide lui donnerait un indice supplémentaire.
- Ravie que tu sois venue, répondit-elle simplement en m’adressant un léger sourire.
Je ne pus plus retenir ma panique face à sa légèreté.
- Tu te fous moi ! C’est quoi ce délire ?
Elle jeta un nouveau regard à l’extérieur.
- Baptiste a repéré cet endroit depuis la route quand François nous a ramenés. On a cherché un point d’accès mais rien ! Même sur une carte, cette décharge n’est pas mentionnée !
- C’est… étrange.
- À qui le dis-tu ! À force de chercher, on est tombé sur la ligne de chemin de fer. En partant depuis chez Baptiste, on l’a suivis et ça nous a menés à l’ancienne gare.
- Oui, j’ai trouvé vos sacs là-bas.
- Ils y sont toujours ? Super ! On n'a pas eu le temps d’aller les récupérer…
- Clémence, pourquoi tu m’as appelé ?
- Parce qu’on n’est pas tout seul ici !
Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale alors qu’elle crachait cette vérité entre ses dents serrées.
- Cette lumière qui nous cherchait…
- C’est ce type !, me coupa-t-elle. On était tranquillement en train de travailler dans le conteneur d’un camion, juste de l’autre côté des voies, lorsqu’on a entendu quelqu’un hurler !
- Hurler comme quelqu’un qui s’est fait mal ?
- Non… Plutôt comme quelqu’un qui ne nous voulait pas que du bien.
Un fracas métallique nous fit violemment sursauter.
- Qu’est-ce que c’est ?, demandai-je en sentant la panique montée.
- On ne devrait pas rester ici.
- Sans déconner !, m’insurgeai-je.
Clémence s’avança en restant agenouillé et me tira par la main en direction de l’avant du bus.
- Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
Je tentai de la retenir mais elle persista à sortir en me traînant derrière elle. À moitié courbées, nous nous enfonçâmes parmi les carcasses qui n’avaient ni de début ni de fin. Un amoncellement infini de cadavres dépecés de leurs membres.
- On doit trouver les autres, annonça Clémence.
- Pourquoi vous vous êtes séparé ? Pour des étudiants en cinéma, vous devriez mieux connaître la mécanique des films d’horreur…
Car on était clairement au milieu de l’un d’eux. Je tins le bras de ma coéquipière à deux mains pour ne pas la perdre et répéter le cycle.
- Quand on a entendu les cris, on n’a pas réfléchi. François est passé sous le camion pour éviter de devoir faire le tour comme Baptiste et moi. J’ai voulu me cacher dans le premier véhicule possible…
- Le bus.
- Oui. Baptiste n’était pas de cet avis et a continué. J’ai paniqué toute seule là-dedans. Alors je t’ai appelé.
Je m’arrêtai net. Un détail n’allait pas dans cette histoire.
- Ça fait 1 heure que tu attends ?
Clémence se retourna vers moi, troublée.
- Il est quelle heure ?
- Plus de 23 heures.
- Oh… Je n’ai pas vu le temps passer.
- Oh ?
Dites que moi que c’est une blague !
- Vous vous baladez dans une espèce de décharge qui n’apparaît sur aucune carte, poursuivi par je ne sais quel psychopathe et, au lieu d’appeler la police, c’est à moi que tu demandes de rappliquer illico… Tout ça pour me sortir un "Oh" !
J’avais dû légèrement hausser la voix sur la fin car elle se précipita pour me faire taire.
- Chut !
Je me dégageai en lui donnant des tapes sur la main et me préparai à en remettre une couche lorsqu’une des épaves, au loin, se mit à briller.
- Merde !
Clémence partit en courant et m’attrapa par le col du manteau. Nous sautâmes par-dessus un capot pour nous écarter du passage et nous mélanger aux décombres. J’espérai que mon vaccin contre le tétanos était à jour.
Nous nous serrâmes l’une contre l’autre dans le fin espace entre deux carrosseries, ralentissant notre souffle par peur qu’il ne soit entendu.
- Je sais que vous êtes là !, beugla une voix rauque.
Clémence se plaqua la main contre la bouche, les yeux grands ouverts de stupeur.
Je serai les poings dans l’espoir que le picotement de mes ongles s’enfonçant dans mes paumes détourne mon esprit de la panique qui le submergeait au point de secouer tout mon corps.
Un faisceau de lumière se braqua dans notre direction et je sus que nous étions découvertes.
Alors, plus rien ne retint mes tremblements.
10 commentaires
Inès Takeya Ruiz
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Il y a 4 ans
cedemro
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Il y a 4 ans
cedemro
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Il y a 4 ans
Malauu
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Il y a 4 ans