Fyctia
Chapitre 2
Baptiste habitait dans une petite commune à une demi-heure de chez moi.
Normalement.
À cette heure-ci, entre les correspondances et les temps d’attente, je n’étais clairement pas rendu.
Je descendis la grande artère menant à la station de métro en changeant de trottoir dès qu'un groupe d’hommes ne marchant pas très droit se présentait. Je ne voulus pas prendre le moindre risque en présumant de la bonne conduite de ces messieurs.
L’entrée de la station était situé sur une place en face d’un fast-food que des jeunes ne manquaient jamais de fréquenter. Je baissai la tête sur mon portable pour éviter d’attirer l’attention et vérifier une nouvelle fois si mes messages à Clémence restaient sans réponses en m’enfonçant dans les entrailles souterraines de la ville.
La rame ne tarda pas à arriver. Sous son défilement, je repérai les wagons vides et ceux remplis. Un choix qui pouvait paraître anodin. Le premier m’assurait une tranquillité jusqu’au prochain arrêt mais ne me garantissait en rien que je ne me retrouverai pas isolé avec un individu douteux par la suite.
Je choisis donc celui rempli. Plus de témoins en cas de problème.
Je m’assis dans un coin reculé. Quelques personnes solitaires, rentrant sûrement du travail, étaient concentrés sur un livre ou leur portable. Ma jambe ne cessait de s’agiter alors que les minutes défilaient. Déjà quinze depuis l’appel de Clémence. Je tentai de joindre les autres mais aucun ne décrocha. Plusieurs scénarios se jouèrent dans mon esprit, aussi alambiqués les uns que les autres.
Tu regardes trop de film, me sermonnai-je.
Mon arrêt se rapprochait à une allure d’escargot alors que la rame se remplissait de groupes alcoolisés ou de simples voyageurs, la main greffée à une canette de bière. Je restai focalisée sur les miennes, ignorant les sons suspects qui m’entouraient. Je n’avais qu’une hâte : arriver le plus rapidement possible.
Lorsqu’une voix dénuée d’humanité annonça mon arrêt, je bondis de mon siège, comme s’il venait de prendre feu, pour me jeter contre les portes qui s’entrouvrirent lentement. La station était vide et la sueur perla sur mon front. J’accueillis l’air frais extérieur avec bonheur avant de me souvenir d’où je me trouvai.
L’arrêt de bus qui me mènerait directement au centre de la commune de Baptiste était perdu au beau milieu d’une zone industrielle. Les quelques lampadaires qui fonctionnaient encore clignotaient à intervalles réguliers, donnant au carrefour une ambiance inquiétante. Le grésillement des ampoules était le seul son perceptible dans le silence de la nuit. Je resserrai mon manteau autour de moi, autant pour me réchauffer que pour me rassurer. L’écran indiquant le temps restant avant le prochain bus ne cessait de changer.
Quelques minutes d’avance.
Plusieurs de retard.
Je cessai de le regarder pour me concentrer sur mon portable. J’avais dit à ma mère de ne pas s’inquiéter tout en lui envoyant régulièrement ma position. Mes autres messages restaient sans réponse. Mes nerfs étaient mis à rude épreuve.
- Tout va bien, Lily, me rassurai-je.
Les volutes de fumée de ma respiration s’ajoutèrent à la brume qui se levait doucement. J’étais aux abords de la ville. Le brouhaha de la circulation tendait à s’effacer au profit de la faune nocturne. Ce qui n’était pas pour me tranquilliser.
La pensée que mes amis avaient besoin de moi m’aida à garder la tête froide. Ils ne m’auraient pas urgé de venir sans une raison importante. C’était l’occasion de me rattraper pour toutes ces fois où je n’avais pu répondre présente.
Un pneu roulant sur la chaussée attira mon attention alors que des phares m’éblouirent.
Le bus était enfin arrivé.
- Bonsoir, saluai-je le chauffeur.
Il répondit par un grognement agacé. J’étais la seule présente dans l’habitacle. À 22 h 30 passées, ça n’aurait pas dû me surprendre. Le trajet se fit au son discret de la radio. De vieilles musiques entraînantes des années 80 contrastant avec mon état d’esprit et la conduite nerveuse du chauffeur, pressé de terminer sa journée.
Lorsque fut enfin prononcer le nom de la commune, j’appuyai sur le bouton d’arrêt à plusieurs reprises pour m’assurer d’être entendu. Le conducteur freina brutalement, me projetant contre les sièges.
Aïe !
Je frottai mon épaule endolorie en descendant. À peine eus-je posé le pied-à-terre que la porte se referma et le bus disparu dans la brume. Si j’avais pensé que le carrefour était désert, le centre de ce patelin était une véritable zone fantôme en comparaison. Un simple aboiement lointain me signifia que je n’étais pas complètement seule.
Je fis appel à mes souvenirs pour me rappeler du chemin conduisant à la maison des parents de Baptiste. Pendant les vacances, j’y étais venu plusieurs fois pour tourner avec les autres.
La commune était implantée en hauteur. Le centre en bas, les habitations en haut. Derrière elles se trouvaient d’anciennes usines, des champs ou carrières depuis longtemps abandonnés avec l’exode vers la grande ville.
Des bouffées de chaleur m’envahirent alors que je grimpai les routes pentues. La rue était seulement éclairée par quelques éclairages disparates d’une couleur froide me glaçant le sang. Je reconnus malgré tout la forêt au loin qui masquait le revers de la colline, tel un mur de la honte, symbole de l’inactivité de ces villages, forcés de voir leur population s’amoindrir.
Je longeai les arbres jusqu’aux maisons les plus reculées. Celle de Baptiste était la plus excentrée. Une faible lumière s’échappait des fenêtres de la façade. Il était 23 heures maintenant. Je ne voulais pas déranger ses parents mais je n’avais toujours aucune nouvelle des autres. Sans solution, j’appuyai sur l’interphone à côté du portail et attendis.
La porte d’entrée ne tarda pas à s’ouvrir. Une ombre se découpa dans l’encadrement de la porte. Prudente, elle resta en retrait, ne me permettant pas de distinguer de qui il s’agissait. Je songeai alors que je devais renvoyer la même image inquiétante, ainsi immobile, seulement soulignée par la froideur des éclairages communs.
- C’est pourquoi ?, hurla une voix bourrue.
C’était le père de Baptiste. Je n’étais pas sûr qu’il se souvienne de moi.
- Bonsoir, Monsieur Treveau. Excusez-moi de vous déranger aussi tard mais je suis une camarade de classe de Baptiste. Il m’a envoyé un message me demandant de le retrouver ici.
- Liliane ?, s’étonna-t-il en s’avançant légèrement.
- Oui, c’est moi.
- Baptiste t’a demandé de venir aussi tard ?
- En réalité, c’est Clémence qui m’a appelé.
- Elle était ici avec François, effectivement. Mais ils sont partis tous les trois il y a plus d’une heure.
- Est-ce que vous savez où ?
- Vers l’ancienne gare. Derrière la colline.
Il tendit le bras vers un chemin s’enfonçant dans les ténèbres et l’isolement.
- Super…, soupirai-je en m’armant de courage.
9 commentaires
Inès Takeya Ruiz
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Il y a 4 ans
Thylia Andwell
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Il y a 4 ans
Sonyawriter
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cedemro
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Malauu
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Il y a 4 ans