Hedgye Le Capitaine des Abymes Nuit mouvementée

Nuit mouvementée

Pauvre Cameron la voilà attachée pour toute la nuit!


*


La nuit est glaciale, je grelotte de froid, mes dents s’entrechoquent et ma mâchoire me fait un mal de chien. J’ai les bras engourdis à force, mes muscles sont en train de hurler de douleur. La corde me brûle les poignées, j’ai la peau à vif au niveau des poignets et je peux sentir le sang bouillant couler le long de mes paumes.


Je rage intérieurement, à force de gigoter comme une forcenée j’ai réussi à défaire légèrement mes nœuds et m’asseoir au sol. Je suis épuisée, à bout de nerf j’ai envie de hurler de colère. Mais à part un pauvre rat hideux et gras qui passe de temps à autre devant moi personne ne m’entendra. Les marins sont tous rentrés dans leur chambre. De temps à autre, celui qui doit monter la garde longe le pont en m’ignorant.


J’ai dû faire une sacrée bêtise pour me retrouver dans cette situation. J’inspire profondément, plus le temps passe, plus la douleur s’estompe, plus j’ai dû mal à distinguer le réel de l’imaginaire. Est-ce que je cauchemarde ? Est-ce qu’au contraire je suis bien réveillée ?


– Capitaine Courge… ris-je seule en repensant à la scène que j’avais trouvé comique il y a un mois de ça dans la cuisine en compagnie de ma mère.


Aujourd’hui le sourire n’y est plus et à vrai dire quand ce dernier m’a annoncé son identité, j’ai eu soudainement peur. J’ai ressentie la frayeur dont ma mère ou Fiona m’avait parlé. Être ici assise sur ce bateau complètement noire, naviguant je ne sais où, sous une Lune presque effrayante c’est totalement différent des récits.


Il y a ce quelque chose en plus sur le bateau que je n’ai ressentis en les écoutant, comme une présence, une âme qui rode et qui me glace le sang. Un craquement me fait sursauter, c’est mon ami le rat qui a dû trouver quelque chose à manger.


Mon estomac aussi gargouille, je suis crevée mais je n’arrive pas à m’endormir. J’éclate de rire, mes nerfs sont en train de me lâcher. Je tape des pieds contre le sol en bois, peut-être que j’arriverai à réveiller un de ces idiots en dessous.


– J’en ai marre ! Laissez-moi partir ! J’ai rien à faire ici !


Le silence est ma seule compagnie malheureusement. Je soupire longuement, mourir desséchée contre un poteau sur un navire maudit selon la légende ce n’est pas ce que j’avais espéré. Je lance ma tête en arrière, mon crâne résonne contre le bois, ça fait mal en plus. Je reprends une grande inspiration pour de nouveau appeler à l’aide, quand des gémissements étranges s'interrompent.


Plus loin, une ombre passe précipitamment, je ne distingue pas cette personne mais je la vois se tordre de douleur et s’appuyer sur la rambarde. Je crois que c’est un homme, quelque chose scintille sur son large dos. C’est d’un rouge sang impressionnant. Je n’arrive toujours pas à voir de quoi il s’agit, mais l’homme se met à hurler de douleur alors qu’il s’accroupit au sol, ses bras tenant toujours la barre.


L’instant d’après je l’entend vomir toutes ses tripes, il geint et j’ai presque l’impression de l’entendre sangloter. J’en ai des hauts le cœur alors que mon estomac est vide. Je tente de me concentrer sur autre chose, le ciel est couvert ce soir. La lune fait sa timide derrière les épais nuages noirs. Et puis soudainement, elle daigne se montrer et brille de mille feux en cette nuit sans étoile.


Je n’ai pas le temps d’admirer ce superbe spectacle que des cris de douleur retentissent à nouveau à l’autre bout du pont. Toujours à terre, son dos s’illumine aux rayons de la lune et j’ai l’impression qu’elle puisse son énergie en lui. Les cris ne cessent pas, je meurs d’envie de me boucher les oreilles. C’est horrible, j’ai la sensation de ressentir sa douleur.


D’un effort surhumain, il tente de se relever, son visage trempé de sueur se tourne vers moi. Je ne le reconnais pas, mais les deux perles bleues qui m’observent me déstabilisent complètement, tant elles brillent dans la nuit. Il prend la fuite, plongeant le navire dans un silence inquiétant.


*


De l’eau glacée recouvre tout mon corps, j’inspire fortement en découvrant un poisson encore gigotant de vie entre mes jambes. Je ne retiens pas le cri de stupeur qui me réveille par la même occasion. Mes cordes tombent alors au sol et je peux découvrir Eliott debout à côté de moi, un seau rempli de poisson à la main. Le traître, il n’a pas osé faire ça ?


– La nuit fut bonne matelot ? Ton petit-déjeuner t’attends faut que tu prennes des forces avant la prochaine attaque ?


– Pardon ? demandé-je en découvrant l’état de mes poignets.


– Un peu de rhum et tes mains seront guéris, rétorque Eliott en sortant une fiole en acier de sa poche.


– Merci mais non merci, je préfère souffrir.


– Tu es un peu plus bavard que la veille, petit, tu aurais pu parler au capitaine hier au lieu de jouer au plus malin, viens donc avec moi, je vais te faire découvrir « La Chimère » !


Je bloque sur le nom du bateau, jusqu’à hier soir j’avais encore un infime espoir de n’être que dans un rêve. Mais me réveiller, toujours au même endroit, avec un poisson à moitié mort entre les jambes, entendre le nom du bateau me rappelle que je suis toujours coincée quelque part entre mon imagination et la plage.

Eliott me tire par le coude pour m’installer à table autour d’autres pirates dévorant comme des porcs leur repas. Non même les cochons ont plus de tenues, car je reçois un morceau de poissons à moitié mâché sur la poitrine, je le retire du bout des doigts en grimaçant.


– Toi t’es vraiment un marin d’eau douce, pas vraiment fait pour l’aventure, je me demande comment tu as pu appeler le bateau hier soir.


– J’ai appelé aucun bateau, rétorqué-je.


– Bien sûr que si, sinon tu ne serais pas là. La Chimère ne prend à son port que les âmes déchirées.


– Une âme déchirée ?


– C’est ce qui arrive quand on perd un parent par exemple, on se scinde. Tu apprendras avec le temps moussaillon. Ton petit prénom c’est Cameron déjà ?


Tout en me servant d’une patate bien chaude et d’un peu de poisson pas très frais, je repense à mon père. Est-ce que mon âme s’est vraiment fissuré lorsqu’il est mort ? Et celle de maman ? Et si je la perdais aussi est-ce que mon âme disparaîtrait ?


Eliott me donne un coup de coude, dans le fond il n’a pas l’air vilain dans sa tenue de corsaire vieillie, ses cheveux mi- long bruns sales qui retombent sur ses épaules et ses dents toutes jaunes. Il gratte sa barbe de plusieurs jours comme s’il réfléchissait.


– Parle-moi de toi Cameron, tu fais partie de notre flot maintenant.


– Euh non sans façon, je vais trouver un moyen de sortir d’ici.


Le pirate en face de nous stoppe son repas pour ne regarder intensément. Il a l’air plus vieux, ses anciens cheveux blonds ont décolorés tout autant que sa barbe. Il nous observe Eliott et moi et nous annonce :


– Je vais vous dire un secret mes enfants, la clef pour quitter le navire se trouve sur le dos du capitaine…

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1 commentaire

Emilie May (Bookofsunshine)

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Il y a 7 ans

OK donc elle le drogue ou elle le charme et le tour est joué !
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