Serina Le berger et le loup Chapitre 5 - Partie 1

Chapitre 5 - Partie 1

Goran inspira de manière prolongée, puis relâcha sa respiration. Il avait l’impression que son tir avait résonné tellement fort qu’on pouvait l'entendre depuis le village. Il n’osait plus bouger. Pourtant, il allait devoir vérifier que la bête était bien morte. Si ce n’était pas le cas, il le saurait rapidement. Le fauve se serait soit enfui et terré dans un coin, soit il ne pouvait plus remuer, mais attendait que l’homme s’approche pour le mordre de sa puissante mâchoire. Zeus continuait à émettre un grognement sourd. Goran y lut un bon présage, le chien ne manquerait pas d’attaquer. Il se releva et tâta sa ceinture. Il en extirpa un long couteau. Il avança le long du bois, en se dissimulant derrière les fourrés pour n’être pas aperçu. Il n’avait pas besoin de se cacher du loup, qui, s'il vivait, le sentait. Il sursauta lorsque Zeus vint se coller contre ses jambes en gémissant. 


— Que se passe-t-il ? On l’a eu cette sale bête ! 


Il s’agenouilla, attrapa la tête du patou entre ses mains et lui prodigua des caresses pour l’apaiser. Pourtant, lorsqu’il se releva, Zeus continua de gronder et se mit à japper. Goran l’ignora. Son séjour de convalescence ne lui avait pas réussi, Amaya l’avait trop gavé de sucreries, le chien en sortait ramolli. Il prit mille précautions pour approcher de l’endroit où il pensait que le fauve se trouvait. Il le vit enfin. La bête était couchée sur le flanc et du sang coulait de son pelage. Elle haletait. Goran resta à distance prudente pour l’observer. Le loup leva ses yeux vers l’homme. Quel gâchis, songea Goran, un magnifique spécimen. Cet imbécile d’Édouard Chevallier-Bloch pouvait être fier de lui, tout ce qu’il avait gagné à essayer de protéger le carnassier l’avait en fait mené à sa perte. Zeus tournait en rond dans le taillis, au bord de la barrière. Il poussait de brefs jappements, comme pour inviter Goran à le rejoindre.  


— Ça suffit Zeus ! Aux pieds ! 


Le patou revint et se coucha docilement devant son maître. Celui-ci se décida à s’approcher du fauve. Il devait en finir. La pauvre bête souffrait. Il leva son couteau de ses deux mains, prêt à asséner le coup fatal. L'agonisant le regardait de ses yeux verts. Le berger eut pitié. Il hésitait sur la conduite à tenir. Il ne pouvait pas prévenir un vétérinaire. On l’arrêterait immédiatement et son acte lui couterait cher. Zeus émit un nouveau grognement. Goran ne se résolut pas à abattre son arme sur sa victime. Il avança une main, certain que le fauve allait la lui arracher. Au lieu de cela, la bête se laissa toucher. L’agonie avait commencé. Le berger caressa la somptueuse crinière, dans le même geste que pour son chien auparavant. Une profonde tristesse s’empara de lui. Quand enfin, la tête du loup se fit plus lourde, il comprit que la fin arrivait. Il était soulagé. Il resta là un moment, et frôla le pelage du fauve de la main. Il aurait souhaité lui rendre un hommage. Après tout, ils s’étaient livré bataille avec rage et Goran avait l’impression de perdre un vieil ami. Zeus sentit la détresse de son maître et vint poser son gros museau sur ses genoux. Ce contact rasséréna un peu Goran. Il n’avait plus beaucoup de temps à présent avant qu’Amaya se demande où il était passé, il devait appliquer la suite de son plan à exécution. 


Goran attrapa une brouette qu’il avait laissée dans le coin du champ cet après-midi là. Il hissa la bête sur l’engin en la tirant par les pattes. Le fauve pesait lourd. Quand enfin il fut chargé, il s’apprêta à repartir du côté du hangar. Zeus se remit à japper. Qu’est-ce qu’il avait ce chien ? Goran pensait qu’un seul loup rôdait dans les environs, tout danger qui visait le troupeau était en conséquence écarté. Il haussa les épaules et s’empara des poignées de la brouette. Il devait s’occuper du corps avant toute chose. Il poussa l’engin le long du pré. Par moment, la roue se bloquait contre des racines et il devait lutter pour passer l’obstacle. Enfin, il parvint à la limite du champ, là où l’allée rejoignait la partie du hangar qui n’était pas entourée. Il fit un détour par la gauche et s’enfonça de quelques mètres dans le sous-bois. Il ne souhaitait pas qu’un promeneur tardif le surprenne sur le sentier. Les arbres touffus cachaient le reflet de la lune. Goran ralentit le pas. Il restait une centaine de mètres à parcourir avant de bifurquer de nouveau vers le chemin et ainsi se retrouver tout près de son bâtiment. Les palissades qu’il avait fixées le matin même le protégeraient du regard des curieux. Il commençait à être fatigué et manqua de chuter lorsqu'un objet contra la roue du chariot. L'engin se renversa et le loup tomba sur le flanc. Goran soupira. Il allait devoir le ramasser une nouvelle fois. Un filet de lumière perçait entre les arbres et il s'inclina pour dégager l’obstacle. Il sursauta. La brouette avait buté contre un pied. Un homme gisait sur le sentier et il paraissait plutôt mal en point. Goran se pencha et tenta de lui prendre le pouls, sans succès. L’inconnu était mort. Goran n’osa pas retourner le cadavre, de peur de laisser des traces de son passage. Le macchabée semblait bien habillé, il portait un costume sombre et des chaussures de ville, une tenue peu pratique en forêt.  


Goran décida de ne pas s’éterniser dans le coin. L’expérience lui avait appris à toujours suivre le plan établi. Jusqu’ici, cela lui avait plutôt réussi. La seule fois qu’il n’avait pas appliqué ses résolutions à la lettre, il avait dû épouser Amaya. Sur le moment, cela lui avait paru une idée brillante. Elle affichait plusieurs qualités non négligeables, la beauté, la jeunesse et l'intelligence. Et elle portait son bébé. Un futur petit berger, costaud comme son papa. Le bonheur promis n’avait malheureusement pas eu lieu. Il ne restait qu’un couple aigri. Goran haussa les épaules. Il ne reproduirait pas la même erreur et s’en tiendrait au plan, à savoir enterrer le loup. Une fois sa tâche accomplie, il aviserait de la suite à donner à cette histoire. Il chargea le fauve sur la brouette et reparti, sans un regard pour le cadavre. Avant de sortir du sous-bois, il vérifia que personne ne pouvait l'apercevoir. Il traversa rapidement le chemin et s’engouffra avec son encombrante cargaison derrière la palissade toute neuve. Il souffla un peu. Personne ne pouvait le voir ici.

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